Ce livre arrive (et renvoie) à un moment d’un travail d’écrivain où la grande question de l’enfance, « est-ce que j’peux placer un mot ? », en instant rappel du besoin d’existence, affleure à nouveau. Pour le dire à peine différemment, j’ouvre à un moment dans le temps et l’espace de mon travail où je suis mieux à même, et comme obligé, de comprendre pleinement le sens,la nécessité, les implications, en somme l’actualité d’écriture de cette question.
Le livre se divise en une vingtaine de textes de longueurs inégales qui posent et reposent la question sous des angles différents. Et...
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Ce livre arrive (et renvoie) à un moment d’un travail d’écrivain où la grande question de l’enfance, « est-ce que j’peux placer un mot ? », en instant rappel du besoin d’existence, affleure à nouveau. Pour le dire à peine différemment, j’ouvre à un moment dans le temps et l’espace de mon travail où je suis mieux à même, et comme obligé, de comprendre pleinement le sens,la nécessité, les implications, en somme l’actualité d’écriture de cette question.
Le livre se divise en une vingtaine de textes de longueurs inégales qui posent et reposent la question sous des angles différents. Et s’il devait s’avérer qu’un mot soit possible sur la page, tout serait possible. Mais.
Le centre, ou plutôt l’un des centres du livre (qui a en fait autant de centres que de pages, l’ensemble des centres composant sa voix) est un texte intitulé Tout arrive, qui donne à voir que c’est le mot l’événement majeur – l’arrivée, l’arrivage le plus important d’une vie. Besoin d’être au monde qui ne peut prendre corps que dans le risque du mot, puisque c’est le mot le monde. Ce n’est pas une demande de délivrance. Les livres si tu changes une lettre tu as les lèvres, et inversement, dit la même question. C’est dans ce va-et-vient que consistent les trajets de ce livre, lequel réitère et récidive tous les refrains possibles, et demande de la façon la plus exposée, la plus rigoureusement enfantine et formellement adulte, si je puis être au monde – ce que rien ne saurait confirmer. La méthode pour, non plus, n’est pas confirmée.
La situation est impossible au sens où : c’est seulement si je pouvais placer un mot que j’aurais accès à la vie, cependant pour placer un mot il faut d’abord être vivant. En attendant, sans le vouloir et sans le savoir, le livre aménage en aveugle, une plateforme d’arrivage pour le mot (bien que ne l’attendant pas). Cette plateforme n’est pas dans la vie, pas dans la mort. Ce faisant, il traite comme il le peut du maternel, et de l’accentuation.
D. F.
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Son travail poétique est l’exercice d’un brouillage permanent, une déclaration de révolte contre les formes fixes de la pensée et de la fiction, de la poésie aussi, cela va de soi. L’imaginaire, l’autobiographique, l’analytique et le spéculatif marchent au même rythme – qui est soutenu –, avec détours fréquents par la musique et la peinture. Le mot est ici le sujet du livre, le héros de la fable. Et le mot est toujours en retard, ou en avance, sur l’idée, jamais à sa place. D’ailleurs, il n’en a pas ! Déplacements, débordements, ententes illicites… C’est le sort ordinaire de celui qui veut s’exprimer. Car l’enjeu est de taille, ni seulement esthétique ni seulement intellectuel : « Si vous arrêtez le babil, vous arrêtez tout, il faut le savoir. » Bien sûr, cela grince souvent, fait mal… Mais qui voudrait d’une poésie inoffensive, indolore ?
Le Monde, 30 mars 2001
La nouvelle clématite qui fleurit au mur des clématites, dit un poème, « ne dépend d’aucun mois de mai ni d’aucun mois de juin mais de beaucoup de poésie ». Cela peut se comprendre ainsi : les choses n’existent pas toutes seules, elles sont la conséquence des mots, elles occupent une place précise sur la page. […] Les poèmes mêlent vers et proses comme un moyen de faire aller la page à des vitesses différentes. Utiliser tous les leviers de la langue pour que tout arrive, de tous les cotés. Ou bien impulser parfois une ruade de jument qui libère, autant de mots placés-criés.
Libération, 26 avril 2001
Au final, le livre de Fourcade nous fait voir comment la créativité est affaire de légèreté, mais aussi que cette dernière est affaire de profondeur (c’est-à-dire d’aptitude à l’apesanteur du vide). La surface ne se décrète pas ; elle se conquiert en s’incorporant (en conservant donc) la densité des mots par une syntaxe, une mélodie et un rythme qui les déracinent. L’ouvert (pour la signification et le thème), la surface, la lumière, et le rythme d’un vers-prose (pour le style) : ou comment Manet le peintre explique son métier à Fourcade le poète, la méthode à suivre (je suis sûr que seule une méthode rend plausible que tout arrive, autrement c’est infondé). À moins que ce ne soit l’inverse. Surfer, glisser, dessus, dessous, agencer une ligne de flottaison mobile : c’est ce savoir poétique, tout entier stylistique et littéralement planant, que le vers-prose de Dominique Fourcade déploie de façon souveraine.
Jérôme Game, Cahier critique de poésie, n° 3, 2001