Cela commence à New York avec Dieu le Père et un tableau qui le représente, volé au Louvre par la bande du fameux gangster roumain, Gigi Kent. Cela continue à Paris, à Vienne, à Budapest, pour finir au fin fond du Maramures (prononcer Maramouresh), région inspirée du nord de la Roumanie où se trouve, paraît-il, le centre de l’Europe.
Mais le Maramures, (prononcer Maramouresh), existe-t-il ? Est-il un simple rêve, ou bien un cauchemar ? Dans le Maramures, (prononcer Maramouresh), de Tsepeneag, en tous cas, les ovnis remplacent les aigles, les désenvoûtements tournent à la science-fiction et la sorcellerie n’est d’aucun secours à l’auteur...
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Cela commence à New York avec Dieu le Père et un tableau qui le représente, volé au Louvre par la bande du fameux gangster roumain, Gigi Kent. Cela continue à Paris, à Vienne, à Budapest, pour finir au fin fond du Maramures (prononcer Maramouresh), région inspirée du nord de la Roumanie où se trouve, paraît-il, le centre de l’Europe.
Mais le Maramures, (prononcer Maramouresh), existe-t-il ? Est-il un simple rêve, ou bien un cauchemar ? Dans le Maramures, (prononcer Maramouresh), de Tsepeneag, en tous cas, les ovnis remplacent les aigles, les désenvoûtements tournent à la science-fiction et la sorcellerie n’est d’aucun secours à l’auteur de ces pages. Il n’échappera pas à son sort, son sort écrit, bien sûr. Et puisque, tel Dieu le Père, il est fait à l’image de ses créatures, il paiera pour les personnages qu’il a commis : seul coupable, en vérité, il doit disparaître. Quelle autre issue possible, d’ailleurs, pour un écrivain arrivé au terme d’un récit qui est, entre autres, un polar érotico-comique, une fable politique, une équipée délirante, un traité de savoir-écrire, un monstrueux apologue ?
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Le rire déclenché par l’absurde
Alors que ses compatriotes roumains occupent (voire tuent) le temps de leur exil avec des parties de trictrac et des gloses de préférence politiques, le narrateur les observe, essaie de prévoir leur évolution dans les méandres d’une nostalgie patriotique. Ainsi, matériau d’un roman en train de se faire, les personnages côtoient l’auteur et certains, insatisfaits de leur traitement littéraire, n’hésitent pas à l’admonester. Ils seraient cependant en mal de reprocher à l’écrivain de les vampiriser, tant celui-ci se sacrifie pour eux : il laisse du coup le sfemmes lui filer entre les doigts, s’abstient de la finale du Mondial, bref, il travaille.
Même s’il clôt une trilogie, ce livre ne requiert pas la lecture préalable d’Hôtel Europa et du Pont des arts. Néanmoins, son écriture en trompe-l’oeil pénètre dans des territoires difficiles à abandonner d’où le risque (délectable) de ne pas résister aux péripéties délirantes des deux premiers volets. Chef de file dans les années 60 et 70 de l’onirisme - le seul courant littéraire à s’opposer au « réalisme socialiste » officiel - et déchu en 1975 de sa nationalité roumaine par Ceausescu, Dumitru Tsepeneag n’a de cesse de dérober son récit à la réalité. De son invention langagière à ses images puisées dans le fantastique, il choisit le rire, le rêve, plutôt que la plainte, face à l’absurde de la condition humaine.
Elisabeth Vust, 24 heures, avril 2001
Histoires à dormir debout
On pourrait dire de certains livres qu’ils exigent qu’on les lise cul sec, d’un trait. C’est le propre de « gros » romans dont on sent qu’un courant - souvent d’imagination débridée - a présidé à leur écriture. C’est le cas de celui-ici ; troisième partie d’une trilogie dont il n’est pas forcément utile de connaître les deux précédents tomes pour en apprécier la verve.
Qu’Au pays des Maramures soit la suite d’une saga déjà entamée n’est un mystère pour personne puisque dès les premières pages, le romancier-narrateur introduit un lecteur qui, au téléphone, lui demande des nouvelles de ses personnages. Cette façon qu’a Dumitru Tsepeneag de miner le récit par une mise en abyme de la création en tirant la manche de son lecteur pour qu’il n’oublie jamais qu’il est en terrain de fiction ajoute du piment à l’affaire. La narration est en fait piégée du début à la fin tant et si bien qu’on perd toute notion de réalité sans que le plaisir de lire une histoire en soit altéré. Ainsi, le narrateur ne se prive pas d’intégrer des digressions - sorte de théorie du roman et de ses avatars postmodernes - et des collages du même texte en guise de clins d’oeil. Tout comme il exprime l’incertitude de l’écrivain quant au destin des personnages, à la tournure que va prendre le récit, aux pannes d’imagination. Tout ceci dans un contexte onirique très prégnant puisque le narrateur n’en finit pas de rêver son livre, de se réveiller et de se rendormir. Il est des moments particulièrement réussis sur le plan de la confusion des genres lorsque le romancier, alors même qu’il vient de souligner que ses personnages sont de papier, les croise dans la rue ou s’inquiète de ne pas recevoir de leurs nouvelles et s’interroge sur l’opportunité d’en prendre par téléphone.
La trame du récit - puisque malgré tout, récit il y a - se situe à Paris. Le narrateur écrit la suite d’Hôtel Europa et de Pont des Arts. A vrai dire, il peine un peu. Son épouse a été hospitalisée, atteinte d’une drôle de maladie : elle rapetisse. L’homme s’en console assez bien avec Smaranda, sa maîtresse (l’assistante du professeur qui soigne sa femme), une jeune Asiatique affriolante, toujours vêtue d’une minijupe. Il ne la voit pas aussi souvent qu’il le voudrait, commence à douter de sa virilité. A Paris toujours, Fanica et Zoe Rotaru se disputent à la terrasse du Cluny (café qui fermera ses portes au cours du roman dans la réalité) en attendant Grigore, le neveu toujours en retard. A Paris encore, suit edes péripéties burlesques : le peintre Vasile se trouve en possession d’une miniature de Fra Angelico volée au Louvre. Il s’enfuit à New York avec son butin et son amie japonaise Myoko qui l’a persuadé de remettre aux malfaiteurs une copie de l’original... ce qui les conduira à une funeste fin. Il y a aussi le mafieux dans son fauteuil roulant et son amie, l’allumeuse, une multitude d’autres personnages sans parler des figurants tirés de la réalité, de Jacques Chirac au traducteur Alain Paruit en passant par l’actuel président Contantinescu. La satire politique et l’actualité événementielle (les matchs de football, l’éclipse du soleil) flirtent avec des scènes d’une fantaisie débridée et ce sont ces glissements de l’un à l’autre qui, tout en le déstabilisant, grisent le lecteur. L’auteur qui raille « l’onirisme slave » dont certaines lectrices qualifient sont son oeuvre ne se prive pas d’en jouer : ballet ans le métro, apparitions réitérées de la femme à l’aigle, retour au pays des Maramures, mariage pertubé par une arrestation dont le narrateur préfère s’éclipser comme on sort d’un acuchemar qui tourne mal...!
Anne Thébaud, La Quinzaine Littéraire, juin 2001