Le Printemps du Corpus appartient à une série dont trois volumes ont déjà été publiés, dont plusieurs autres, peut-être, le seront ; quelques-uns, déjà constitués, ne sont pas destinés à l’être.
Un livre modèle peut faire le nom global, et inapproprié – puisqu’il s’agit d’ores et déjà de plusieurs livres –, sinon de la série elle-même, du moins du projet dont elle se présente alors comme l’exécution, peut-être volontairement, manqué.
Il existe, parallèlement au projet, et qui en est la première condition, un ensemble de quelque deux ou...
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Le Printemps du Corpus appartient à une série dont trois volumes ont déjà été publiés, dont plusieurs autres, peut-être, le seront ; quelques-uns, déjà constitués, ne sont pas destinés à l’être.
Un livre modèle peut faire le nom global, et inapproprié – puisqu’il s’agit d’ores et déjà de plusieurs livres –, sinon de la série elle-même, du moins du projet dont elle se présente alors comme l’exécution, peut-être volontairement, manqué.
Il existe, parallèlement au projet, et qui en est la première condition, un ensemble de quelque deux ou trois mille pages, non destiné à la publication, auquel on se réfère sous le nom de Corpus. On peut regarder cet ensemble comme celui des notes de travail – réflexions, projets de livre avec amorces de traitement, voire larges pans d’exécution, plus rarement considérations d’ordre privé – qu’auraient recueillies un auteur, ou plusieurs supposés collaborer, sur le cours d’un nombre indéterminé années. La définition de cet auteur, ou de ces auteurs, lui-même ou eux-même relevant de la fiction, peut faire l’objet de beaucoup parmi les notes dont se constitue le Corpus.
Chacun des volumes publiés, publiables, ou seulement établis sans intention de publication, obéit nécessairement à une forme, ou structure particulière ; il peut ne reprendre du Corpus que les éléments – personnages, lieux, formes, fragments d’intrigue – qu’il lui revient de mettre en œuvre à nouveaux frais ; mais il peut aussi, et tel est le cas du Printemps du Corpus, ne consister qu’en le montage – ainsi qu’on fait d’un film – de fragments préalablement rédigés tout du long dans le Corpus. C’est, dans ce cas, le montage seul qui doit obéir à un principe strict, nécessairement différent d’un volume à l’autre, et présenté ou non comme tel dans le texte. Son principe de montage, quoique aisément repérable, n’est pas énoncé dans Le Printemps du Corpus.
Il s’agit d’un principe simple. Il est emprunté, en manière de dédicace à L’Année des poètes de Michelle Grangaud. L’Année des Poètes se présente comme la succession des anniversaires, du premier janvier au trente et un décembre, d’événements, faits ou fictions, tous relevant du monde littéraire. D’une manière à la fois plus humble et plus égocentrique, et selon un mode de prélèvement dont il est laissé à l’appréciation du lecteur de décider s’il est plutôt aléatoire, plutôt arbitraire, ou encore autrement fondé, Le Printemps du Corpus enchaîne, sans lacune dans la succession des jours compris entre le 21 mars et le 20 juin (inclus), ni considération de l’année de rédaction, des fragments préalablement établis et datés dans le Corpus.
Sans doute le moins autonome entre les volumes appelés à constituer la série, et le contemporain, par endroits, de leur préhistoire – ainsi présentant à l’état naissant des personnages ou enjeux mieux connus, ailleurs, au terme de leur course ; d’autres fois seulement déplaçant ce terme –, Le Printemps du Corpus se flatte de présenter au passage, sur les mécanismes de la production romanesque (car on ne crée pas), et ces inquiétudes qui font le lot de maint auteur, de quelquefois non-négligeables aperçus. Des épisodes, en même temps, s’y esquissent, desquels on peut se divertir.
Conçus et exécutés dans la foulée, et sur le même schème, L’Été, L’Automne, et L’Hiver du Corpus ont semblé ne rien apporter de suffisamment neuf pour être retenus.
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Danielle Mémoire parle d’une «loi de la dispersion fictionnelle» et ses livres sont passionnants parce que justement, ils échappent aux lois traditionnelles du roman et même pire. Son univers d’écrivain est un peu déroutant au départ, assez complexe pour tout dire. Et pourquoi la difficulté ne serait-elle pas source de plaisir? Le sujet de ses livres, c’est l’écriture ou plus précisément, la structure d’un livre. Pourtant, Danielle Mémoire n’est pas formaliste. Il y a tentative d’osmose entre ce qu’elle pense et ce qu’elle écrit. Pense-t-elle comme elle écrit? Écrit-elle comme elle pense? C’est peut-être un peu ça et elle s’en explique. « J’applique directement à la pensée la forme », écrivait-elle dans son roman Parmi d’autresP.O.L,1991).
Danielle Mémoire a inventé son monde à elle, son Corpus. Elle invente l’auteur, les auteurs qui signent ses livres. Les personnages aux noms inattendus (Athanase, Eulalie Cyméa, Esclarmonde, Archambaud Blot, Conrad … ) et les lieux fictifs (Brioine, Saint-Ulmère) sont légion. Ils sont aussi interchangeables, c’est-à-dire qu’ils peuvent tour à tour vivre la même histoire et même la revivre différemment. Tout cela cohabite comme ça peut, c’est-à-dire le mieux du monde. Rapidement, on ne se préoccupe plus de savoir qui est qui, qui fait quoi, on suit tout simplement les errances de l’auteur, son imagination féconde, ses digressions, ses raisonnements à l’emporte-pièce.
Le Matricule des anges, n° 34, avril-mai 2001