— Paul Otchakovsky-Laurens

TOTEM

Suzanne Doppelt

Les hommes pêchent de moins en moins, un beau-frère irrité par un garçon l’abandonne définitivement croit-il, la grand-mère enfonce son bras dans un arbre perforé, la magie transforme les hommes en poissons, les enfants inhument leurs parents dans un terrier de tatou, lequel tatou doit creuser un nouveau terrier
« Ce livre a pour objet le totem, ou plutôt son idée.
L’idée du totem suggère le montage, le bricolage, l’agencement. A la façon d’un kaléidoscope, selon le rapprochement qu’en fait Lévi-Strauss, qui contient des bribes et des morceaux réalisant des arrangements. Associés à d’autres, ces fragments perdent en...

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La presse

Sorcellerie photographique



Depuis bien longtemps Suzanne Doppelt manipule l’image photographique : elle la prend, la jette dans un bain de lumière, la retourne dans un réducteur chimique pour en révéler les propriétés cachées, ajoute un soupçon d’encre, quelques notes de musiques, deux ou trois lentilles optiques pour myopes et hypermétropes, un racloir et quelques pieds de mandragore, un ou deux doigts de la main. Le tout finit par prendre, au bout de longues journées en laboratoire, l’allure d’images noir et blanc de petit format publiées dans des livres en collaboration avec des poètes (Pierre Alferi, Kub Or, P.O.L, 1994 ; Anne Portugal, Dans la reproduction en 2 parties égales des plantes et des animaux, P.O.L, 1999) Cette fois, TOTEM qui paraît aussi chez P.O.L est tout entier doppelt, c’est-à-dire impeccablement double, textes et images étant assumés par le même auteur.
Quand on regarde ces photographies, on a le sentiment de pénétrer à l’intérieur de mondes emboîtés sans savoir dans lequel on se situe exactement. Question d’échelle sans doute, les repères que l’on pense pouvoir isoler ne nous permettant cependant pas de décider à quel niveau de réalité on se trouve. Ce que l’on croit flou se manifeste peut-être dans sa forme la plus nette au plan sur lequel on se situe. Inversement ce que nous pensons pouvoir identifier comme une baignoire ou un portrait n’est peut-être qu’un effet de surface qui manifeste une forme sous-jacente, invisible à première vue mais sans laquelle ce qui semble se donner si précisément à nos yeux ne serait qu’un ensemble flottant de particules.
Ces fibres tremblées où se dessine comme un bateau reflètent elles une image ou sont-elles produites par une source lumineuse qui nous donne l’impression de vibrer ? Ce profil découpé appartient-il à une carte, à un visage ou à une nébuleuse qui nous fait voir l’un et l’autre en même temps ? Si le brouillard se levait verrais-je la terre ou les vapeurs d’encre émanées des lignes de latitude et de longitude encore mal fixées sur le territoire dessiné par la tête de géographe en Celluloïd dont les reflets se multiplient dans les miroirs embués ? Mais peut-être sont-ils plusieurs visages flottant dans l’air chargé de particules d’eau. Une raie dessinée à côté d’un maquereau semble glisser vers les fonds d’algues que le microscope découpe sur une lamelle de verre dépoli. Ce que je prends pour une fourchette n’est peut-être que la main d’un enfant au bout d’un bras que la lumière dévore comme s’il était sectionné. Boutons, animalcules, sexe de pendu, grilles, oreilles, pudeur et obscénité nous prennent à rebrousse poil et nous irisent l’œil.
Le monde de Suzanne Doppelt est fait d’analogies et de similitudes ; les choses s’y renvoient mutuellement les unes les autres sans que l’on sache très bien ce que signifient ces assemblages ni quelles réalités ils désignent. C’est un monde sans couleur ou l’alchimie des sels d’argent compose un vaste grimoire qu’il nous faut patiemment déchiffrer sans espoir d’en trouver la clef. Ici comme dans l’univers de la Renaissance, le réseau des ressemblances compose une forme invisible capable de rendre les choses visibles ; celles-ci alors comme autant de chiffres, de blasons ou d’emblèmes manifestent à leur tour cette forme pour mieux en creuser le mystère. Tel est l’art de Suzanne Doppelt : au milieu des images froides de la banalité quotidienne que l’on trouve si souvent aujourd’hui elle nous tend un miroir de sorcière aux charmes envoûtants.


Gilles A. Tiberghien



Mouches mortes, dent humaine sculptée en forme de tête de poupon, fourchette à cinq doigts, pomme oxydée, sol de gros sel, oreille sur lit de glace… Les images (en noir et blanc, petits formats) de Suzanne Doppelt transforment le regardeur non en crapaud (la photographe a travaillé sur la magie corse) mais en archéologue d’un temps qui est pourtant le nôtre.
Doppelt additionne, classe des tessons, des morceaux, des bouts de chose ramassés ici et là, en restitue l’étrangeté ou les parentés aléatoires. […] Suzanne Doppelt fait subir au texte le même sort qu’aux images.


Libération, 20 mai 2002

Vidéolecture


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