— Paul Otchakovsky-Laurens

Sker

Liliane Giraudon

Face à la domestication sociale, dans la fureur des noms (communs ou propres, ceux qui vous désignent comme ceux qui légendent le monde), une femme découvre l’énigme du prénom qu’elle porte.
« Je suis née un 13 avril. Je n’étais pas seule à naître. Avec moi, il y avait aussi un garçon. Longtemps on a parlé de nous deux globalement, sans distinction... Parce qu’il y avait trop de membres on avait craint un monstre. Puis à travers la peau du ventre on distingua deux corps. Un seul nom fit l’affaire et qu’on sectionna. Celui d’une star du muet : Lilian Harvey... Désignée à partir d’un corps détruit par...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Sker

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Sker, en suédois, signifie : il arrive, il se passe. Dans la vie de Liliane Giraudon, il arrive un nom : le sien, Liliane. La fabricante de mots découvre qu’il vient d’une actrice du muet, éliminée par le cinéma parlant : par les mots. Aujourd’hui, le monde bavarde et cet excès de mots masque mal la grande soumission sociale. D’Oslo à La Havane, de Kleist à Strindberg, Liliane résiste en constituant mot à mot son herbier intérieur. Ces onze chapitres d’un faux journal sans date condensent le langage en impressions, souvenirs, observations, réflexions, citations, pour que sans cesse, sur la page « il arrive » un mot.


Libération, juin 2002



A chaque époque, son écriture dominante. Faut-il s’étonner que la nôtre d’époque, caractérisée par un retour à l’ordre dans les domaines de la vie sociale, politique et intellectuelle, continue de produire ces récits bien policés qui envahissent les rayons des librairies ? Il existe, heureusement, des forces - minoritaires en nombre et en occupation des espaces éditoriaux, mais d’autant plus agissantes - qui mettent en péril ces édifices « littéraires » aux allures bétonnées mais reposant sur de très branlantes fondations. Sker, de Liliane Giraudon, est une de ces opérations poétiques qui font voler en éclats les proses et les moi figés dans leurs narcissiques certitudes. Un journal, Sker ? Oui, mais « sans bord », sans centre, ou n’est-ce pas plutôt une sorte de sphère dont la circonférence serait partout et le centre nulle part ? Pas surprenant, dès lors, qu’une telle machine d’écriture jouant perpétuellement le décentrement, et la rupture, englobe les lieux géographiques les plus éloignés les uns des autres : Cuba, le Tibet, le Mexique, Haïti, la Norvège... ; rameute maintes figures mythologiques ; fait se croiser Munch, Bataille, Lezama Lima, Proust, Büchner, Kleist, Artaud, Jorn, Duchamp, une clocharde (la « Marquise »), un poète mort, un torero énuclée... ; dédouble le moi de la narratrice et en multiplie les reflets ; fait se répondre les deux états de notre monde : « tragédie » et « foire » ; traque le présent, pas plus saisissable que « la vérité dans le sexe », pour constater que le temps ne s’écoule pas mais à tout instant « s’écroule ». Aucune graisse métaphorique, une écriture sèche, précise, un grand sens visuel, une attention au détail concret, le mouvement d’une herbe, la couleur d’un ciel, d’une terre... Et si, loin de toute « littérature de goût », c’était cela, et que cela, la poésie, la force de la poésie ?


Jacques Henric, Art Press, juillet/août 2002

Vidéolecture


Liliane Giraudon, Sker, Sker 1 videopoem