Tous les après-midi, le notaire déchu délaisse son étude et parcourt dans sa BMW les routes départementales du Maine-et-Loire à la recherche de la phrase décisive qui ouvrira son anti-testament. Il laisse derrière lui un fils idiot inlassablement occupé à ses puzzles.
Il écrase un chien. Il cherche un vétérinaire.
Son errance le conduit jusqu’au fermier germaniste qui, retranché dans sa ferme, a renoncé un jour aux travaux de réfection pour se consacrer à la lecture des auteurs allemands. Le fermier germaniste vient de se pendre et sa femme fait au notaire déchu le récit de leur vie : le froid, les travaux impossibles à...
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Tous les après-midi, le notaire déchu délaisse son étude et parcourt dans sa BMW les routes départementales du Maine-et-Loire à la recherche de la phrase décisive qui ouvrira son anti-testament. Il laisse derrière lui un fils idiot inlassablement occupé à ses puzzles.
Il écrase un chien. Il cherche un vétérinaire.
Son errance le conduit jusqu’au fermier germaniste qui, retranché dans sa ferme, a renoncé un jour aux travaux de réfection pour se consacrer à la lecture des auteurs allemands. Le fermier germaniste vient de se pendre et sa femme fait au notaire déchu le récit de leur vie : le froid, les travaux impossibles à terminer, la lecture des auteurs allemands, des philosophes allemands, si ennuyeux, si désespérants, et les années qui passent jusqu’à ce que l’on en oublie son nom.
Quelque part, ailleurs, au cœur profond du livre, un homme chute dans le monde des apparences, s’envase. Il dessine inlassablement la carcasse d’un animal mort, vache, aurochs, peu importe, tant dans son crâne se confondent et se répondent dans un même écho le mugissement de l’espèce disparue et les râles sourds de la bête que l’on abat en série. Chaque trait, chaque mot, fore la réalité ; à chaque trait, à chaque mot, c’est le désert qui perce, une steppe immobile.
Place forte nomme ce désert qui est dans le roman, ce lieu d’expérience et de retournement de la phrase dans une tête qui travaille à sa ruine et à dépeupler. Si l’idée de leur enfermement obsède les trois personnages du livre, ça n’est pas dans la perspective d’y trouver refuge, mais pour éprouver la capacité d’être horrifié : pour ne pas mourir vivant.
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Avec ses mystères, son étrangeté, la fable tien d’elle-même, solidement attachée à sa propre noirceur et en même temps allégée par un humour froid, impassible. […] « La littérature doit donner quelque chose à penser en même temps qu’à éprouver », dit Sébastien Brebel. Ce qui est beau, et même saisissant, dans Place forte, c’est son avancée propre, son déploiement. On dirait que l’auteur se dirige dans la nuit de son imagination, qu’il ne sait rien, positivement de son histoire. Et ce qu’il va nous apprendre nous sera, à nous aussi, « donné à penser ».
Patrick Kéchichian, Le Monde, 23 août 2002
Sur les races de Thomas Bernhard, Sébastien Brebel livre un texte étrange et nourrissant, celui d’aventures intérieures poussées à leur destruction. Où la force de la pensée aboutit au désastre.
Jean-Patrice Dupin, Le Matricule des Anges, septembre 2002
Le talent de Sébastien Brebel est d’écrire sur un fil, à la frontière de l’essai métaphysique et de la fiction. Ce numéro d’équilibriste est avant tout un exercice de style. La simulation d’une pensée des limites, d’une méditation obsessionnelle, borgésienne, est obtenue au moyen d’une grande maîtrise de la répétition et d’une économie de mots et de situation plus grande encore.
Nicolas Faucher, La Croix, 5 septembre 2002