Oeuvres
Edouard Levé
« Un livre décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées. » C’est très précisément le cas de ce livre-ci, Œuvres, d’Édouard Levé, la phrase qui précède en étant un extrait exemplaire et, même, premier de tous, l’incipit en même temps que l’habile mise en abyme et le programme.
C’est une collection, un musée – un FRAC ? –, une liste, une litanie, une énumération obstinée, une invraisemblable accumulation de projets, d’idées qui recouvrent tous les domaines de l’art contemporain, de la...
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« Un livre décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées. » C’est très précisément le cas de ce livre-ci, Œuvres, d’Édouard Levé, la phrase qui précède en étant un extrait exemplaire et, même, premier de tous, l’incipit en même temps que l’habile mise en abyme et le programme.
C’est une collection, un musée – un FRAC ? –, une liste, une litanie, une énumération obstinée, une invraisemblable accumulation de projets, d’idées qui recouvrent tous les domaines de l’art contemporain, de la littérature aux arts plastiques, à la vidéo et la photo, en passant par les installations les plus diverses. Cet amoncellement tranquille de plus de 500 œuvres laisse une curieuse impression : entre dérision et excitation, en un mouvement qui ne cesse d’aller de l’une à l’autre, le lecteur réjoui et angoissé assiste à un balayage – aux deux sens du terme ? – peut-être définitif de ce qui est notre modernité artistique. On se prend d’ailleurs à penser que toute tentative dans ces domaines a vocation à prendre place dans le livre d’Édouard Levé, lequel aurait l’inquiétante propriété de tout absorber. La totale neutralité du texte, la précision des descriptions, l’économie rigoureuse des moyens ajoutent à la fascination et au vertige, tandis que l’humour induit par un dispositif dont l’effet « aspirateur » est dévastateur rend ce livre très gai.
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Traductions
Allemagne : Matthes & Seitz | Argentine : Eterna Cadencia | Grèce : Keimena | République Tchèque : Rubato | USA : Dalkey Archive Press
La presse
Si l’ouverture à l’infini donne à une oeuvre sa capacité à faire venir des visions concrètes, à leur maximum de possibles, il faut bien considérer Oeuvres d’Edouard Levé comme un étonnant défi. Celui-ci est posé de manière volontairement contradictoire, à la fois potentialité de langage, art d’écrire et de décrire, poésie fictionnelle de l’ADN génétique d’oeuvres plastiques virtuelles, mais systématiquement installations d’espaces au centre même de la littérature. C’est donc à un double débordement que l’on doit l’un des livres les plus originaux et stimulants que l’on puisse lire en ce moment.
Au commencement, il y a l’alignement numéroté de descriptions de concepts, tel un annuaire imaginaire d’oeuvres jamais réalisées. Prenons, au hasard, les notes (versets, psaumes, en quelque sorte) 345. et 346., cela donne ceci pour la première : « Un homme tire au révolver sur un autre homme. Un liquide vert jaillit du canon. Photographie. » Pour la suivante : « Les silences d’un film sont montés dans leur ordre d’apparition. La pièce porte le titre du film ». On trouve, ainsi, quelque 533 oeuvres, mélanges de Borgès, Mallarmé et Marcel Duchamp. Des sortes de rêves « ready made » qui englobent l’ensemble de l’histoire de l’art depuis la fracture de la modernité. L’un des personnages clefs de cette rupture, Baudelaire, revient d’ailleurs, comme un fantôme, hanter cette accumulation mentale.
On entre dans une zone de probabilité et de jeu sur le vrai et le faux, un trompe-l’oeil généralisé, qui constitue néanmoins un parfait traité pour qui voudrait inventorier l’histoire de sformes contemporaines. Tous les grands courants de dépassement de l’art sont finalement représentés ici, mais en tant que fictions sans cesse en mouvement, réappropriées par leur genèse.
Par Yan Ciret, Art Presse, décembre 2002.