— Paul Otchakovsky-Laurens

Romans d’un regard

Bernard Noël

Bernard Noël a regardé travailler onze peintres contemporains : Christian Jacard, Mathias Pérez, Bertrand Dorny, Bernadette Prédair, Michel Mousseau, Anne Walker, Christian Bouillé, Anne Slacik, Danièle Perronne, Robert Brandy, Leonardo Rosa, il leur a parlé pendant qu’ils travaillaient, a noté leurs gestes, leurs propos ; il a analysé leur travail, bien sûr, mais aussi son propre regard tant sur les œuvres achevées que sur leur processus d’élaboration, il a étudié la formation de l’image, ce qui se passe entre la toile et le mental de celui qui regarde, au travail de l’artiste répond son propre travail d’écrivain.
On pourrait...

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Romans d’un regard fait inévitablement penser à la lointaine mais inoubliable livraison Onze romans d’oeil. Voici réunis comme autant d’enquêtes romanesques onze visites d’ateliers, prétextes à de surprenants échanges et d’admiratives contemplations.


On peut phénoménologiquement, voir et comprendre l’image comme image ("l"image, dit Bernard Noël, précède la pensée"), l’inscrire dans l’horizon de son émergence, l’articuler comme ce qui montre et se montre et, dans ce mince intervalle, glisser tout le drame du sens. On peut, dans la même perspective, reprendre la question de la peinture, celle aussi bien de la représenation ou de l’absence de représentation. L’histoire de l’art en a d’une certaine façon épuisé les modalités. Mais c’est alors faire l’économie de celui qui produit l’image et de proche en proche la peinture, c’est ne pas prendre en écharpe celui qui les contemple ou qui, dans sa contemplation et par un paradoxal renversement, se trouve à son tour contemplé par ce qu’il contemple. Bernard Noël s’attache à sonder, presque en clinicien, cet aspect qui fait oeuvre, notant chaque phase de la création, analysant chaque opération, récolant le moindre détail.


Plotin avait ce propos : "Chaque âme est et devient ce qu’elle regarde." C’est à peu près ce que Bernard Noël reprend à son compte, mais pour en modifier la portée : "Le regard est ce qu’il regarde." C’est le "volume du regard" envahi par celui de l’oeuvre, c’est le don et l’accueil d’une transfiguration, mais aussi d’une révélation. A situer l’essence et le devenir du regard, se creuse le subtil écartement entre la vue et la vision qui dialectise le rapport entre le sujet l’objet, dialectique qui fonde et qu’en même temps problématise l’émotion que suscite l’oeuvre.
Il y a longtemps, écrit Bernard Noël, que la peinture est sa propre mimésis, qu’elle s’est retirée du champ de la représentation pour manifester, dans un acte de pure présence compris comme un "éveil" du réel, le lieu même de son exercice. Et pas seulement : elle est "devenue son propre sujet en même temps que celui de la présence de l’artiste la faisant. Cela crée en elle une sorte de récit nouveau", l’occasion somme toute de ces romans qui en prédiquent les accidents : romans des noeuds, roman des corps, roman de papier, roman des passages, roman des nuances, et ainsi de suite. Voilà posés les paramètres d’un questionnement qui mêle observation, description et dialogue. Cela donne remarquables métamorphoses, entre autres les estampages, cuirs, noeuds et brûlages de Christian Jaccard, les papiers pliés et les collages mnémoniques de Bertrand Dorny, les transparences aériennes de Bernadette Prédair, les palimpsestes gouachés d’Anne Walker, les dépôts et fleurisssements d’Anne Slacik, les fêtes d’ondulations de Danielle Perronne ou encore la floraison gestuelle et le souffle matérialisé de Robert Brandy. L’invention au sens rhétorique de la peniture multiplie les opérations qui en scandent l’épiphanie : mises en abyme, répétitions, proliférations, concordances, permutations, gestuelle, désordres, raisons et "résons", pour, dit Michel Mousseau, "rapatrier l’unité... cette chose qu’on désire montrer, (qui) existe en dehors de nous, mais (qui), si on ne travaillait pas à la montrer, disparaîtrait. Incroyable qu’avec si peu on puisse retrouver le présent, sa densité, son intensité." Au bout de la chaîne, point l’émotion ou plutôt sa mémoire, qui est aussi celle, dit Robert Brandy, de la peinture, se consomme le temps ramassé dans ses "présents successifs", à la co-naissance, se livrent le donné à voir dans son intimité, la lumière dans sa sensualité, s’exercent les seules nécessités de la sensation, qui n’set pas l’autre de l’entenement, mais une forme quitessenciée de rationalité, enfin s’épanouit et s’exténue la dimension éminemment physique de ce qu’on appelle "peindre".


"Il y a une quinzaine d’années, dit Bernard Noël, que j’écris dans l’espoir d’assister au suintement physique de la pensée, toujours en vain. Ceci est-il tracé dans la même matière que l’émotion ? Evidemment non..." Et pourtant, penser ne se dissocie pas du ressentir. Romans d’un regard, visitant "les vastes palais" de la peinture, en est la fascinante illustration.


Jean Sorrente, Tageblett Livres, Septembre 2003

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