— Paul Otchakovsky-Laurens

Déserts

P.N.A. Handschin

Déserts est une sculpture en forme d’oiseau qui prend son vol (ou qui chute).

Déserts est un mobile en fil de fer.

Déserts est la déflagration des nuages qui se déchirent.


Déserts est une machine-outil à creuser des abîmes.

Déserts est l’envers d’un décor, est inhabitable.

Déserts procède d’une indétermination puis de la remise en jeu de toute indentité.


Déserts est le crépitement des pixels dans la nuit noire, est une fréquence-radio abandonnée, est le craquement du saphir sur le vinyle.

Déserts est...

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La presse

Compilations mégalos


Dès les premières lignes, on se dit que ce jeune auteur dont on ne sait rien souffre d’une grave crise identitaire, voire d’une mégalomanie encombrante qu’un nom énigmatique, P.N.A. Handschin, pour Pierre Nicolas André, n’a pas dû arranger. « Je kidnappe Betty Boop à Oberstdorf, je ne me baigne que devant un coucher de soleil dans l’océan Indien, je réalise trois pensums décalés qui font de moi le plus américain des cinéastes espagnols, j’accepte qu’on dise de moi ce qu’on dit d’Arsène Lupin… » Qui suis-je ? Serait-on tenté de demander, question illusoire tant ce « je » minuscule, démultiplié, ce « moi » interchangeable, se réincarne à l’infini, n’existe que dans le cadre strict de son action. Une identité impossible qui se trouve bientôt diluée dans un embouteillage de saynettes improbables et absurdes, incompatibles autant qu’anachroniques : « Michel Denisot est un ex-postulant de l’Élysée, Julianne Moore rêve d’Icare ». P.N.A. joue avec nos sens, compile ses visions fugitives et poétiques avec des histoires secrètes comme en rêve Peellaert : « Rita Hayworth donne rendez-vous à Merce Cunningham… » Il compose en toute liberté « ces brèves ritournelles non-sensiques qui touchent à l’impossible à force de retourner les cartes du possible », comme le suggère Christian Prigent. On pense à Perec pour le goût du jeu, l’obsession du classement, à Boulez pour la structure et l’écriture sérielle. Comme le compositeur multiplie la polysémie des accords, tord sans relâche les fonctions harmoniques, P.N.A. enchevêtre ses histoires impossibles dans un vaste puzzle, un jeu de dominos infini dont il décide lui-même de l’ordonnancement. Les sujets deviennent à leur tour objets, emportés dans une longue réaction en chaîne, régie par une mécanique implacable qui semble obéir à des lois immuables. Témoin halluciné d’une réalité dont on n’est que le spectateur impuissant, on se sent d’un coup bien seul au milieu du désert.


Jean-Philippe Lavigne, Beaux-Arts magazine, février 2004.


To be or to be


Une avalanche de propositions absurdes dans un premier livre hilarant, où Yoko Ono joue du basson et Yvan Colonna attend Miou-Miou. Incroyable mais vrai.


Il a 25 ans, vit à Besançon, et s’appelle vraiment P.N.A. Handschin (Pascal Nicolas André…). Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il vient d’écrire un premier texte hilarant — à condition d’être sensible aux propositions délirantes qu’il contient, genre « je conduis le cuirassé Potemkine jusqu’à Odessa », qui n’est que la première d’une longue liste d’absurdités livrées en vrac. Extrait : « […] Je refuse d’épouser la nièce de sir Thomas Egerton, je fais fléchir Maximin, je fais en sorte que la bouche de Maruschka Detmers fasse scandale, je ne pars en voyage en Orient qu’avec Maxime Du Camp, je refuse d’être un obstétricien à Omsk, je construis un palais mirifique pour le petit prince Alexis hémophile, je fais en sorte que mon avion privé s’écrase à côté d’Innsbruck […]. »
« Faire en sorte », en milieu de phrase, nous renverra, pour peu qu’on mette un peu de nous-mêmes dans les livres qu’on lit, au caractère grotesque de nos volontés et autres « Résolution »(s) (terme titrant cette première partie du livre), à l’éventualité dérisoire de toute construction fixe d’un « je ».
Le « je » d’Handschin, répété infiniment au gré de résolutions toutes plus improbables les unes que les autres, perd du coup toute définition : c’est son contexte qui le contamine, et, variant d’une phrase sur l’autre à coups de propositions absurdes, finit par le vider de toute caractéristique propre, cohérente, rationnelle, et l’annule, point barre.
Qu’est-ce que ce « je » sinon une construction volontariste perdue dans une démultiplication infinie des possibles, des sens et, dès lors, des identités potentielles ? C’était un peu, en quelque sorte, l’idée force de Régis Jauffret dans UNIVERS, UNIVERS, génial roman paru cet automne, qui multipliait les histoires d’une « héroïne » rendue caduque à force de possibles fictifs, de doubles identitaires, de vies hypothétiques. Jauffret parvenait à rendre l’identité d’un « personnage » aussi floue qu’insaisissable, sujette à autant de questionnements auxquels est soumise l’idée d’identité contemporaine. Une identité en mutation, donc un personnage en transformation perpétuelle.
Le « je » d’après P.N.A. Handschin, est un « je » mouvant, mutant, auquel on ne peut pas croire, donc forcément dérisoire et comique. Il finit d’ailleurs par se muer en nom propre (souvent célèbre), par être, en toute logique, remplaçable par tout un chacun. Dans « Cluster » (« Rassemblement »), deuxième partie du livre, ça donne : « […] Brian Jones va seul à l’UGC Ciné-Cité les Halles dans le 1er Harry Baur grave des versions révolutionnaires des Passions de Bach Robert Guédiguian est influencé par Monk et Zappa Jacques Demy croise Herman Wouk à la gare de Norrköping […]. » Dans la troisième et dernière partie, intitulée « Torsion », Handschin transforme le sujet en objet, dans une torsion circulaire :
« Les Khmers rouges voient en Patrice Martin un coupable idéal Patrice Martin sombre dans le LSD le LSD n’a plus aucun secret pour le 1er régiment de tirailleurs d’Épinal le 1er régiment de tirailleurs d’Épinal décide de donner une sépulture décente à la fée Clochette la fée Clochette est un héros de la Résistance la Résistance licencie Yoko Ono Yoko Ono apprend à jouer du basson Renaissance […]. »
Le basson Renaissance aura son heure de gloire dans la litanie aussi déjantée qu’hyperréglementée d’Handschin, et le texte continuera à nous faire rire jusqu’au moment où ses propositions – milliers d’histoires, de romans condensés, comme avortés parce qu’ils n’en valaient pas la peine – finissent par suinter la déprime. Cut-up de phrases glanées dans les journaux puis retravaillées – montage de phrases toutes « faites » qui rappelle le travail artistique de Claude Closky – ou phrases inventées sur le même mode, les actions, aussi énormes qu’absurdes, et les histoires qu’elles véhiculent, se nient toutes mutuellement.
Ne reste plus alors qu’un immense namedropping : noms propres de personnes « publiques », auxquelles on ne peut au maximum que s’identifier, sans prendre l’ombre d’un risque affectif, émotionnel – sans prendre le risque d’une implication, d’un véritable engagement dans sa propre vie. Les Déserts de P.N.A. Hansdchin sont les nôtres : une vie entière désertée par soi. Une « existence » où le « je » n’aurait aucune liberté sinon celle d’obéir au formatage des propositions médiatiques ou culturelles. C’est au fond ça le plus absurde.


Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, 3 décembre 2003


C’est le genre de livres dont on pense qu’on ne les lira pas, qu’ils ont été à peine écrits – ce n’est surtout pas une critique – et qu’il suffit d’en avoir compris le système. On a tort, c’est exactement le genre de livre qu’il faut lire à la loupe, comme on examine au microscope un nouveau virus. Car Déserts est malade, un texte symptôme, victime dune infection nosocomiale contractée dans le milieu littéraire. En 3 parties, comme autant de surcontaminations, le texte met à nu une logique de la prolifération. En 1/ Résolution – un « je » hypomaniaque juxtapose les projets de vie les plus éclectiques, au hasard : « J’écrase les Francs, je fais en sorte de subir personnellement les persécutions nazies, j’improvise un sketch lors de la remise des VH-1 des Fashion Awards... » En 2/ Cluster – le « je » – subit la farce du namedropping et se remplit de toutes les identités en une définition sommaire de leur Être : « Luc Ferry est le président des Victoires de la musique Lindsay Anderson débute avec les frères Moutin “Gérard Bertot” est le pseudonyme de Laurent Voulzy… » Les virgules ont disparu, autorisant désormais la confusion des sujets puisque, en 3/ Torsion : le texte s’échauffe dans un mouvement de tête à queue permanent, entre le cadavre exquis et le marabout de ficelle « Raymond Barre est à peine moins crispé que Mathilde Seigner Mathilde Seigner écoute Opportunities le tube des Pet Shop Boys Les pet Shop Boys… » Jeu de ping-pong, sur le mode d’un texte en lui-même autofictionnel, exclusivement motivé par la saturation vertigineuse de ses noms propres. Comme si l’on avait fait rendre leur jus aux textes de Bret Easton Ellis, Patrick Modiano et Régis Jauffret. Et se retrouver devant l’immensité des possibles, seul, désorienté, en un mot « déserté ».


Laurent Goumarre, Art Press, février 2004