Elle est chanteuse lyrique. Sans travail, depuis des mois et des mois.
Elle prépare une improbable audition pour jouer dans La Voix humaine de Poulenc, elle tourne en rond avec sa petite fille, dans sa grande maison, trop grande pour eux trois, une maison qui appartient à sa belle-famille, vous verrez, c’est la maison du bonheur, leur a-t-on dit en leur remettant les clés. Et aussi : il faudra penser à purger les radiateurs et tondre la pelouse et une maison pleine de phrases et de choses à faire, dans laquelle ils flottent, trop d’escaliers, trop de pièces mortes, elle se dissout dans le papier peint, elle s’égare dans les fissures du plafond, et les problèmes matériels...
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Elle est chanteuse lyrique. Sans travail, depuis des mois et des mois.
Elle prépare une improbable audition pour jouer dans La Voix humaine de Poulenc, elle tourne en rond avec sa petite fille, dans sa grande maison, trop grande pour eux trois, une maison qui appartient à sa belle-famille, vous verrez, c’est la maison du bonheur, leur a-t-on dit en leur remettant les clés. Et aussi : il faudra penser à purger les radiateurs et tondre la pelouse et une maison pleine de phrases et de choses à faire, dans laquelle ils flottent, trop d’escaliers, trop de pièces mortes, elle se dissout dans le papier peint, elle s’égare dans les fissures du plafond, et les problèmes matériels prolifèrent comme les pucerons dans le jardin, quelle chance d’habiter là, les voix ne s’arrêtent jamais dans sa tête, et la panique grandit, de tout ce qu’il y a à faire, que les gens font, qu’elle n’arrive pas à faire, à commencer par trouver du travail. Mais plus elle s’acharne en vocalises, plus sa voix s’abîme, moins l’argent rentre et plus les tuyaux fuient, plus les rues sont venteuses dans l’hiver qui arrive, et plus elle a la tête qui part en arrière : le sol se dérobe sous ses pieds, le monde danse tout à coup, mais inspire, expire, elle se rattrape toujours, jusqu’à la fois d’après…
Ce livre est le portrait d’une femme au pire d’elle-même, la radiographie d’un cerveau chauffé à blanc, rongé par la paranoïa, miné par le chômage, envahi d’herbes folles et de voix, mais qui cherche furieusement à sortir de la spirale et déploie une énergie démente pour rester debout. C’est le solo d’une imagination à fleur de nerfs, une partition minimaliste, obsessionnelle et trouée de silences, comme le texte lui-même, construit autour de ces points de butée où la pensée tombe dans le vide de la page blanche, mais repart aussitôt, toujours plus aiguisée, toujours plus vive, comme une machine à spéculer, lancée à toute vitesse, et plus le réel est pauvre, taiseux, plus il engendre un monde intérieur prolifique et ramifié, qui s’empare du moindre détail pour en faire un roman.
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Baptêmes du feu
Violaine Schwartz est française. Elle compte parmi les débutantes les plus remarquables de la rentrée littéraire. Il convient donc de ne pas passer à côté de son premier livre, plus que prometteur.
La narratrice de La tête en arrière a été un espoir de l’art lyrique avant de se retrouver au chômage. La pauvre a tendance à perdre pied. À partir en vrille, à s’inquiéter pour un rien, comme ça lui arrive encore trop souvent. Elle a pourtant quelques raisons d’être heureuse, entre un compagnon prévenant et une petite fille iscrite à la garderie. Qui plus est, la famille est censée habiter la « maison du bonheur ». Un pavillon de banlieue en pierres meulières, avec des fleurs et un rosier dans le jardin. Sauf que les pucerons y ont élu domicile.
Pour arrondir les fins de mois, louer l’une des chambres semblait une idée judicieuse. Sauf que cela va surtout générer des problèmes et des interrogations supplémentaires. Avec une rare acuité, Violaire Schwartz ouvre la porte sur les démons d’une femme à la vie quadrillée. Comme découpée en tranches, avec des jours qui se suivent et se ressemblent. L’angoisse rôde à chaque page d’un étrange roman qu’on lit d’une traite et auquel on repense longtemps après l’avoir refermé. […]
Alexandre Fillon, Madame Figaro, 11 décembre 2010
La tête en arrière
Le monologue délirant d’une cantatrice borderline. Un premier roman délicieusement névrosé.
Page blanche, trou noir. C’est la tête qui part en arrière sous le poids des angoisses. Depuis qu’elle a emmenagé dans sa nouvelle maison, la voix du texte, une cantatrice au chômage légèrement borderline, a de plus en plus d’absences, et sa vie de moins en moins de sens. Seule avec sa petite fille dans cette maison trop vaste, la « maison du bonheur » comme le lui serinent les anciens propriétaires, la jeune femme manque de repères, s’égare et divague, s’acharnant vainement à répéter pour une audition de La voix humaine, l’opéra de Poulenc adapté de l’œuvre de Cocteau. Comme la pièce de Cocteau, La Tête en arrière est un monologue. Un soliloque à la deuxième personne où le « tu » schizophrène donne le la de cette partition paranoïaque. Très vite, la mélodie du bonheur se met à sonner faux. L’illusion se fissure comme les murs de la maison, laissant voir l’araignée au plafond : « Ton cerveau n’est que pièces morts, où stagnent pensées croupies, rêves à l’abandon, projet avortés. »
Le récit bascule alors dans l’absurde. Parce que l’argent manque, la chanteuse sous-loue son sous-sol à un Gabonnais et projette sur cet homme des fantasmes troubles qui tournent au délire de persécution. Elle se perd en conjectures qui donnent lieu à un croquis surréaliste et à divers jeux typographiques : les blancs pour signifier les absences ou des capitales pour souligner l’énormité des élucubrations de la diva dévastée, persuadée que son locataire appartient à la « MAFIA GABONAISE ». Comédienne et chanteuse, Violaine Schwartz fait preuve d’audace avec ce premier roman écrit comme d’un seul souffle, à la limite de la syncope. La langue nerveuse et répétitive pourrait rebuter, mais ce phrasé obsessionnel fait corps avec la folie douce du personnage. l’écriture devient rengaine hypnotique, valse folle et désaxée. Un petit ovni littéraire, drôle et délicieusement névrosé.
E.P., Les Inrockuptibles, 1er septembre 2010
« Ton cerveau n’est que pièces mortes, où stagnent pensées croupies, rêves à l’abandon, projets avortés pièces mortes, tête morte, balayée de courants d’air, envahie d’herbes folles. » Recluse dans un pavillon de la banlieue parisienne, une cantatrice glisse doucement vers la folie. Tout a commencé par la perte brutale de sa voix, de son chant, au cours d’une représentation du Carmen de Bizet, dont elle jouait le rôle-titre, sur une scène prestigieuse. Elle tente bien d’identifier l’origine du mal, essaie de revenir à sa passion, en préparant sans enthousiasme une audition pour La voix humaine du tandem Cocteau-Poulenc, mais le cœur n’y est pas. À la manière de motifs musicaux, toute son attention va désormais se centrer, et de plus en plus exclusivement, sur des détails du quotidien : pucerons tenaces sur les rosiers, couches de sa fille, tuyau défectueux, poupée maléfique, araignée au plafond, factures non réglées. Le tout, sans variations, « La cantatrice hirsute » part à la dérive.
Petit à petit, la maison du bonheur dont elle rêvait devient celle du malheur. Et puis, il y a cet intriguant Africain, à qui elle a loué une pièce du pavillon, celui qui « bouscule tous les repères » et dont elle surveille les allées et venues. L’ensemble, mené à vive allure, jusqu’au tourbillon final, prend des airs de mélodie grinçante, inharmonique, mais littéralement ensorceleuse. Une belle illustration de ce que Giorgio Manganelli appelait « le bruit subtil de la prose », et un coup d’essai lyriquement réussi.
Thierry Clermont, Le Figaro, 2 septembre 2010