Il est probable que certains de ces sonnets commençaient à circuler dès l’époque de La Tragédie du roi Richard II (1595). Quatre cents ans plus tard, on réécoute avec stupeur la franchise de ce quiproquo amoureux qui nous fait régulièrement aimer celle ou celui qu’il ne faudrait pas. Qui célèbre la trop grande beauté de l’ami, la noirceur d’une maîtresse aux amours pluriels, le trouble parfois morbide de la passion, l’irritation du désir, les paradoxes narcissiques de la gloire, de l’amour, la vanité de l’existence...
Le sonnet shakespearien est une petite machine poétique proche du chant bref qui tient en...
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Il est probable que certains de ces sonnets commençaient à circuler dès l’époque de La Tragédie du roi Richard II (1595). Quatre cents ans plus tard, on réécoute avec stupeur la franchise de ce quiproquo amoureux qui nous fait régulièrement aimer celle ou celui qu’il ne faudrait pas. Qui célèbre la trop grande beauté de l’ami, la noirceur d’une maîtresse aux amours pluriels, le trouble parfois morbide de la passion, l’irritation du désir, les paradoxes narcissiques de la gloire, de l’amour, la vanité de l’existence...
Le sonnet shakespearien est une petite machine poétique proche du chant bref qui tient en équilibre sur des paradoxes, des renversements, des antiphrases et autres oxymores. La voix poétique de ces sonnets est celle d’une existence contrariée, de sentiments doubles, de passions inversées. La voix légère et grave de l’existence.
La forme sonnet a atteint ici son efficacité presque magique. Interpellations, malédictions, serments, regrets, éloges, prières et supplications…
Pourquoi retraduire, une fois de plus, les sonnets de Shakespeare, ou Tragédie du roi RichardII ? Pour Frédéric Boyer, traduire n’est pas une simple opération linguistique. C’est d’abord une forme d’engagement, une confrontation sur un sol nouveau avec une patrie qui ne sera jamais tout à fait la nôtre. Mais en nous déportant dans l’autre langue d’une œuvre nous apprenons alors que nous n’étions d’aucun sol particulier, d’aucune patrie. Traduire, et retraduire, est une nécessité pour nous sauver, collectivement et individuellement, de l’oubli dans lequel nous sommes. Nous sommes oubliés des œuvres et de leurs langues. Les retraduire c’est réveiller leur mémoire de langage. Leur dire nous sommes là nous aussi, et faire en sorte que nous puissions nous entendre. Leur faire dire: faites-vous entendre en nous, réveillez-nous, je vous prends dans mes mots, dans ma langue imparfaite et inachevée.
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Les Sonnets de Shakespeare constituent une énigme de la littérature en même temps qu’un de ses sommets. Ils ont tenté bon nombre d’écrivains ou de traducteurs, parmi lesquels Henri Thomas (1959), Jouve (1969), Malaparte (1992), Daniel et Geneviève Bournet (1995), Bonnefoy ou Ellrodt (2007). Les choix de Frédéric Boyer gomment une part du maniérisme de l’œuvre de Shakespeare, pour en donner une interprétation plus immédiate. La disposition strophique des sonnets (un douzain et un distique) se rapproche de celle utilisée dans la version originale sans pour autant la suivre (celle des Bournet et d’Ellrodt le font). Et comme Frédéric Boyer fait le choix de ne mettre aucune majuscule au début des vers et de supprimer la ponctuation (à l’exception de quelques parenthèses), le livre accède à une sorte de hors temps (est-ce le vers shakespearien ou celui plus libre d’Apollinaire ?) où le traducteur rejoint Jouve, bien que ces deux versions soient très éloignées l’une de l’autre, dans l’expression du lyrisme. Bien que versifié, le Shakespeare de Frédéric Boyer prend sa force dans son prosaïsme ! Et cette version d’être réjouissante avec un seul bémol : une publication bilingue donnerait toute sa dimension au travail du traducteur !
Alexis Pelletier, CCP, mars 2011.