Le candidat est un roman d’aventures et d’images relatant le voyage d’un jeune burkinabé, Abdou, désirant traverser le désert et connaître l’Europe. Le livre fait le récit des ruses, opportunités et subterfuges inventés par ce jeune homme à la joie de vivre intacte pour accomplir une ambition dont il n’a pas les moyens.
Il est d’une violence insupportable que l’Occident puisse intimer à la jeunesse de tout un continent, l’Afrique, l’ordre de rester chez elle. Mais ni la dénonciation d’une telle situation ni même la chronique de ces « camions de la mort » qui remontent du Niger à la Libye ne viennent...
Voir tout le résumé du livre ↓
Le candidat est un roman d’aventures et d’images relatant le voyage d’un jeune burkinabé, Abdou, désirant traverser le désert et connaître l’Europe. Le livre fait le récit des ruses, opportunités et subterfuges inventés par ce jeune homme à la joie de vivre intacte pour accomplir une ambition dont il n’a pas les moyens.
Il est d’une violence insupportable que l’Occident puisse intimer à la jeunesse de tout un continent, l’Afrique, l’ordre de rester chez elle. Mais ni la dénonciation d’une telle situation ni même la chronique de ces « camions de la mort » qui remontent du Niger à la Libye ne viennent au premier plan. La situation actuelle du migrant apparaît en filigrane et surtout pas du point de vue du reportage.
Le livre se centre sur les modalités du passage et met en valeur la fragilité de l’entreprise. Comment passer d’un lieu à un autre comme on passe d’un mot ou d’une idée à l’autre, le voyage étant l’espace de la transition et de la métamorphose. Ainsi, ce sont les glissements de sens qui créent les circonstances et rendent la progression possible. L’enchaînement des péripéties n’est pas conduit par une logique réaliste mais par des suites de déclics subjectifs occasionnés par la langue et la mémoire.
Abdou, faux candide d’une bonne volonté imperturbable, est un bricoleur qui peut ficeler deux niveaux de réalité n’ayant rien à voir ensemble et les faire tenir. Il fait feu de tout bois et saute sur toutes les occasions avec un instinct de survie d’une ténacité sans faille. Il est l’optimiste total parce qu’il part de rien. Face à l’Occidental, il n’hésite pas à jouer avec les ressorts de la mauvaise conscience et avec les renversements dialectiques de sa position. Il profite de tous les paradoxes, allant jusqu’à caricaturer ce qu’on attend de lui.
Abdou trouve une cohérence, celle de la drôlerie et du plaisir, dans un fatras de bribes irréconcilaibles qui mélange la tradition africaine, l’Islam et des apports occidentaux de seconde main. C’est un autodidacte qui trouve son profit dans un patchwork culturel et l’éclatement des langues. Il invente un vernaculaire à son usage. L’invention de sa propre langue, la façon dont il la porte et la fait entendre représentent pour lui une monnaie d’échange et son meilleur passeport.
Frédéric Valabrègue a toujours rêvé d’écrire un livre de gratitude et de remerciements pour l’adolescence qu’il a vécue au Niger. Il a voulu rassembler les impressions d’Afrique qui lui sont propres, les images intactes demeurées aussi fraîches que les montants bariolés des camions et les fresques de couleurs crues rencontrés de Lagos à Niamey. Il a autant composé avec ce qu’il a vu qu’avec ce qui a été écrit et filmé en Afrique. Enfin, il s’est souvenu des affinités particulières qui lient les écoliers africains francophones avec les fables de La Fontaine, comme si cet auteur avait repris un fond commun appartenant à leur tradition. C’est pour cela que ce roman a aussi des allures de fable.
Réduire le résumé du livre ↑
Qu’un pas de plus efface la limite
Dans son sixième roman, Frédéric Valabrègue relate le périple d’un jeune Burkinabé en partance pour l’Europe
Enfin un livre qui dépayse et sort de l’ordinaire romanesque. Rien d’exotique pourtant dans ce sixième roman de Frédéric Valabrègue, Le Candidat. Il y est question de l’Afrique – l’auteur (né en 1952) connaît son sujet, car il a vécu son adolescence au Niger – mais jamais son livre ne convoque un folklore clinquant pour distraire son lecteur. Car la littérature n’a plus aujourd’hui à rendre compte d’une expérience pittoresque.
Si l’aventure littéraire est cependant encore possible, c’est au cœur du langage, sans pourtant perdre de vue le monde. Et il y a plusieurs mondes dans le récit de Frédéric Valabrègue. Un seul homme et tant de langages possibles ! C’est Abdou qui incarne toutes ses différences. Personnage central, il est aussi le narrateur de cette histoire aux allures de conte, et sa parole semble être aussi vive et dégourdie que ses pas. Car parler et marcher appartiennent, pour lui, au même registre : pour chambarder la vie, il faut faire de même avec les mots. « Il pense je suis con parce que je mets du djerma, gouymantché, poular, tamachèque dans mon français. Je prends un peu de chaque. Je griotte en bambara. »
Fils d’un griot (raconteur d’histoires) du Burkina Faso, bâtard né à la jonction du Mali et du Niger, Abdou est un musicien qui joue du violon godjé et de la guitare mollo ; bricoleur, « tâtonner », touche-à-tout, il s’arrange au jour le jour avec la vie, pourvu qu’elle l’emmène plus loin. Car il fuit, mais il n’a rien à perdre : « Je viens du fin fond du silence. On peut rien contre moi. J’arrive du pays des chimères », annonce-t-il dans une langue poétique, en partance vers la Libye, d’où il espère traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe et « étudier la vie ».
Au début du roman, le migrant est déjà bien avancé sur la route. Quelque part au-delà de Niamey (Niger), « là où les villages en paillotes de l’exode rural sont régulièrement incendiés ». C’est un errant, mais il n’est point perdu ; c’est un voyageur qui n’éprouve aucune nostalgie ni déchirure, car son identité est déjà en morceaux – « un -patchwork rempli de trous, mais avec, aussi, quelques moments de couture ». Et s’il n’a pas de carte d’identité, il se promène toujours avec sa « liasse »0 : une feuille où il a collé son portrait devant un panneau représentant New York, et sur laquelle il a écrit : « Né peut-être. » Malgré toutes ces données improbables et loufoques, Abdou tient bon, amoureux d’un territoire en déplacement perpétuel. C’est son monde contre un pays. Mais il est ouvert cependant aux rencontres : elles font passer le temps et facilitent le déplacement.
Il est d’abord employé par un réparateur de radio, le suit sur son chemin, mesure avec lui l’étendue du vieux plateau africain et clame joyeusement que « ce n’est pas un petit désert de rien du tout qui tue l’envie ! » Plus loin, il croise un Français à qui il raconte son histoire qui n’en est pas encore une – cette histoire qui s’élabore au rythme de ses phrases cousues et décousues, dites devant l’homme blanc : « Le rougissement est pour nous spectacle merveilleux. Voir le rose fleurir sur les joues. Faire en sorte qu’un être s’empourpre de désir ou de honte, quelle joliesse ! Y’a des hommes qui rougissent. Ce sont les plus à fleur de peau. Pourquoi Dieu m’a pas donné de rougir comme une fille blanche ? »
D’un chapitre à l’autre, et sans forcément de lien logique, le roman rapporte les péripéties d’Abdou : ses rencontres incongrues de la piste à la brousse, ses chimères qui soignent l’inquiétude – et bientôt, le lecteur comprend que sa voix ne représente pas le monde clairement, mais en constitue un. Il y a une dimension primitive dans la parole d’Abdou. Un cri qui cherche à résonner par-delà les frontières. « C’est moi qui donne du goût à ma vie, pas le sable. C’est un régal que le paysage ne change pas. Que la frontière soit égale. Qu’un pas de plus efface la limite. » Mais l’idéal du jeune homme qui fuit, face au réel, ne tient pas toujours. L’aventure conduira le candide jusqu’à Tripoli, dans la vie prosaïque, là où il devra braver les sentinelles, négocier avec les passeurs pour devenir un candidat à l’exil. Qu’importe le dénouement de l’histoire. Car si ce livre veut nous dire quelque chose, c’est bien que la parole est le seul affranchissement possible et que la littérature, quand elle est puissante, donne cette consolation de pouvoir, un jour, « mourir en rêvant », comme le susurre Abdou.
Amaury da Cunha, Le Monde, 25 novembre 2011