Ce troisième livre de Catherine Henri fait naturellement suite aux deux précédents. Il y est comme dans De Marivaux et du loft et comme dans Un professeur sentimental question de l’enseignement, de la transmission et de la place de la culture dans notre société telle qu’elle est, telle qu’elle évolue. Mais, outre d’extraordinaires analyses de textes, le thème principal de Libres cours est comme son sous-titre l’indique l’articulation qui y est décrite et analysée entre langue et exil.
Côté analyse de textes, c’est un régal de finesse et d’intelligence didactique pour montrer toutes les implications actuelles comme...
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Ce troisième livre de Catherine Henri fait naturellement suite aux deux précédents. Il y est comme dans De Marivaux et du loft et comme dans Un professeur sentimental question de l’enseignement, de la transmission et de la place de la culture dans notre société telle qu’elle est, telle qu’elle évolue. Mais, outre d’extraordinaires analyses de textes, le thème principal de Libres cours est comme son sous-titre l’indique l’articulation qui y est décrite et analysée entre langue et exil.
Côté analyse de textes, c’est un régal de finesse et d’intelligence didactique pour montrer toutes les implications actuelles comme intemporelles d’un conte de Perrault, ou de La Princesse de Clèves à propos de la polémique déclenchée par Nicolas Sarkozy.
Côté société, c’est le meurtre d’un élève, et ce qui s’ensuit dans son lycée, l’onde de choc, les répliques…
Côté langue et exil, c’est la description du sort fait aux expulsables, la mobilisation des autres élèves et des professeurs mais aussi la volonté d’apprendre, et de s’intégrer, et de quelle manière la langue joue un rôle considérable dans ce processus.
Libre cours est un livre engagé. Il l’est avec subtilité, nuance, et fermeté tout à la fois. D’autant plus convaincant, d’autant plus efficace.
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Ces mots qui divisent et partagent
Pour Catherine Henri, enseigner est davantage un « état d’éveil » qu’un métier. Professeur de français au lycée Louis- Armand à Paris XVe, elle vient de consacrer un ouvrage à son expérience sur trois années scolaires, dans un établissement considéré en secret, par le rectorat, comme un lycée de « fond de secteur » à cause de son caractère « intercontinental » et de sa section professionnelle. Cette mauvaise réputation n’entrave cependant pas l’engagement de Catherine Henri : « Pour moi, un professeur, surtout de littérature, n’est pas seulement un corpus d’œuvres, ou un fournisseur de méthodes. C’est aussi un sujet, avec ses goûts, ses faiblesses, sa mémoire, c’est aussi, peut-être surtout, avec cela qu’il enseigne », explique-t-elle.
Si la parole de l’enseignante est à la destination des lycéens, elle n’est pas une autorité bloquée sur elle-même. Son travail consiste à conduire les élèves sur le chemin d’un langage partagé (dont la littérature serait le modèle idéal), mais aussi à rester à l’écoute de tout ce qui se dit. Car son métier lui donne le privilège d’être aux premières loges pour entendre ces faits de langage qu’elle relève sans les stigmatiser, attentive « à ce qui se passe dans les mots des élèves ou dans leur silence, dans leur regard, dans leurs gestes ».
Boubacar ne parle pas. Sa bouche est constamment occupée par un petit bâton pointu qu’il mâchonne, fait saigner ses lèvres, manie qui provoque l’ire de ses professeurs, impuissants à le sortir du mutisme. Et lorsque leur insistance devient intolérable pour l’adolescent, ce n’est pas par le cri qu’il exprime d’abord sa colère, mais par des « coups sur la table renversée » suivis d’injures incompréhensibles.
« Ça me gave »
Si le silence peut être rompu, le recours à la parole n’est pas forcément la garantie d’une communication. C’est la « précarité langagière » qui intéresse Catherine Henri – symptomatique de ce qu’elle a pu entendre : un autre rapport à la langue qui passe par le code ou le cryptage et dont les conséquences (voulues ou non) excluent l’autre de son propre discours.
Car pour l’auteur, ce langage obéit d’abord à une pulsion qui ne débouche pas sur l’échange. Il lui préfère l’injonction, l’insulte – toute forme de pouvoir, là où règnent l’affrontement et le rapport de forces, pour seulement obtenir le dernier mot. C’est un langage où l’affect prend le dessus sur tout autre projet et où le négatif semble souvent l’emporter (le « ça me saoule », « ça me gave » qui reviennent sans fin).
De fait, celui qui cherche à parler, malgré le flux incessant de communications à sa disposition, ne trouve plus d’interlocuteur qui l’entende : « Ils tentent de s’atteindre avec les mots sans y parvenir ; ils se lancent des syllabes que personne ne rattrape ; les mots sont devenus des ballons qui rebondissent au hasard et finissent par éclater gonflés de frustration et de cris. »
Un tel constat suffirait à décourager l’enseignant, à l’instar de François Bégaudeau (auteur d’Entre les murs), à qui Catherine Henri reproche de ne plus croire à la transmission. Rien de tel dans son expérience intime. Avec un certain courage, elle cherche ce lien entre le texte et les élèves, sans doute pour les détourner d’une langue qu’ils croient vraie : « Enseigner la littérature, c’est peut-être tenter de faire coïncider l’action de cette transmission et le temps que les élèvent vivent », écrit-elle. En somme, que l’étudiant puisse retrouver une distinction (et donc une médiation) entre autrui, lui-même et le réel.
Amaury da Cunha, Le Monde, 25 décembre 2010.