Un représentant en parfums accro à Radio Nostalgie, une jeune héritière qui entend des cris, une station balnéaire. Bientôt un couple ? Les ingrédients de base sont là, la recette est connue mais la lutte des classes (ça existe encore ?) peut prendre la forme d’une croquette aux crevettes et l’humour apparaître comme le seul recours face à la tranquille férocité des déterminismes.
Ce premier roman est tout imprégné de l’atmosphère post-moderne qui règne dans notre littérature. Il la maîtrise en tout cas avec beaucoup de rigueur et la dépasse peut-être grâce à un sens incroyable des...
Voir tout le résumé du livre ↓
Un représentant en parfums accro à Radio Nostalgie, une jeune héritière qui entend des cris, une station balnéaire. Bientôt un couple ? Les ingrédients de base sont là, la recette est connue mais la lutte des classes (ça existe encore ?) peut prendre la forme d’une croquette aux crevettes et l’humour apparaître comme le seul recours face à la tranquille férocité des déterminismes.
Ce premier roman est tout imprégné de l’atmosphère post-moderne qui règne dans notre littérature. Il la maîtrise en tout cas avec beaucoup de rigueur et la dépasse peut-être grâce à un sens incroyable des détails et grâce aussi à la générosité qui baigne les deux protagonistes de cette histoire qui n’advient pas…
Réduire le résumé du livre ↑
Radio Nostalgie
Un homme, une femme, une plage : comment ne pas penser à Lelouch ? Enfin, pas forcément, si l’on en croit le premier roman de Joël Baqué…Bienvenue à Knokke-le-Zoute, sorte de « Saint-Tropez du Nord ». Un séducteur français, « lunettes de soleil fichées dans les cheveux » invite une jeune Belge à quitter sa serviette pour aller déjeuner. Au menu : des « croquettes de crevettes », spécialité locale rappelant la nourriture pour chats. Mais qu’importe le mets pour ce latin lover bas de gamme qui parle trop de son métier à son hypothétique conquête. Représentant en parfums, ce quasi-sosie de Franck Dubosc écume les routes de l’Hexagone dans son break Renault, écoutant à fond la caisse Radio Nostalgie. Il aime en effet « l’éternel retour des chansons qui ont façonné son adolescence et laissent planer le doute sur son statut actuel d’adulte, le temps d’un refrain ».
Il n’est toutefois pas sûr que ce petit jeu amuse longtemps la jeune femme, rentière, dont le père était surnommé Midas et dont la mère a « toujours l’air de sortir d’un salon de coiffure ». Rapidement, une question s’impose : coucheront-ils ensemble ? Les effluves de parfum accumulés sur les vêtements de ce « célibataire mobile » le gêneront-ils dans sa parade ? Toujours est-il que les deux protagonistes partent se balader à vélo… Derrière sa façade pochade, Aire du mouton (quel drôle de titre !) s’avère un roman plus politique qu’il n’en a l’air.À la manière d’Olivier Cadiot ou de Jean-Charles Massera, Baqué joue avec les clichés sociaux qu’ils concasse joyeusement, dans une langue faussement naïve. Il nous livre la version littéraire d’une bonne chanson des Rita Mitsouko, qu’on entendrait sur l’autoroute menant à Boulogne-sur-mer. Devinez sur quelle station ?
Baptiste Liger, Lire, juillet-août 2011
Croquettes aux crevettes à Knokke
Un homme et une femme. Chabadabada. Lui est Français, représentant en parfums, accroc à Radio Nostalgie. Il vit dans sa voiture, minée par diverses effluves. Elle est de Belgique, plutôt désoccupée. Une héritière qui adooooooooore la peinture contemporaine.
Ils se rencontrent sur la plage de Knokke-le-Zoute. Tout de suite, il est question de manger ensemble des croquettes aux crevettes, de se promener sur le sable. Et si c’était parti pour une histoire d’amour ?
Il a réussi à ne pas la transporter dans son auto pourrie. Elle lui a montré son magnifique appartement design. Se passera-t-il quelque chose entre eux ? Là n’est pas l’essentiel dans ce premier roman prometteur, où l’écriture prend autant de place, si pas plus, que l’intrigue.
Beaucoup d’interrogations, de l’humour, un titre étrange qui ne s’explique qu’à la fin, la littérature peut aussi se pratiquer à la Joël Baqué, loin des habitudes.
Lucie Cauwe, Le Soir, vendredi 24 juin 2011
Les histoire d’A
Sur fond de roman-photo décalé et de réjouissante absurdité, Joël Baqué livre une version désabusée de la lutte des classes.
Un premier roman qui commence comme un mauvais film : « un homme, une femme, un bord de mer, n ’importe laquelle aurait fait l’affaire ». Se laisserait-on aller à fredonner un chabada réminiscent que Joël Baqué coupe court à toute effusion : ses « personnages », désincarnés et sans nom, demeureront des silhouettes vagues se détachant sur le fond d’un ciel « d’un bleu de saison&nbps;», sans autre précision. Pour se prémunir de la mélasse sentimentale et de toute tentation romanesque, rien de tel que de réduire le monde, comme le texte, à sa version géométrique (la trajectoire de l’homme qui marche dessine une « parallèle […] au rivage », le sandwich qu’il termine est « triangulaire »), statistique (« quatre-vingt-trois pour cent des usagers droitiers de la cuiller l’utilisent dans le sens des aiguilles d’une montre ») ou proverbiale (avec des sentences définitives du genre « Comme on fait son lit on se couche » ou « Le pain au seigle se conserve mieux que le pain au froment »).
Sur cette plage huppée de Knokke-le-Zoute, ce « Saint-Tropez du Nord », « ils se rencontrèrent, néanmoins ». Ils ? C’est-à-dire lui, un représentant en parfum très classe moyenne en transit pour Boulogne-sur-Mer où l’attend son équipe commerciale pour de fiévreuses réunions, et elle, ci-après « la JF », jeune femme de la haute languissant sous ses verres fumés. Lui, « célibataire […] chronique … » dont la vie est « une succession de temps morts entrecoupés d’actions, commerciales », percevant la réalité au filtre des tubes diffusés par « Radio Nostalgie, sa station fétiche ». Elle, fille de Midas (son père ne gagne pas d’argent, il en fait) et de la Femme Élastique (une mère dont la fermeté siliconée et la blondeur étudiée « représentent près de trente ans d’investissement soutenu »), jeunesse dorée absente à elle-même, interdite de désir, de plaisir, prisonnière des apparences. Lui, travailleur laborieux avalant du bitume à longueur de journée, vendant du prêt-à-rêver frelaté. Elle, oisive chic contemplative, appréhendant la réalité sur un mode esthétique, admirant une installation d’art contemporain comme elle admire « cette harmonie entre travail salarié et mauvaises manières, comme on admire toute adéquation du fond à la forme ». Lui, Français. Elle, Belge. Entre eux, une frontière. Théorème improbable, la rencontre de « elle-femme et […] lui homme, la somme des deux = couple » a lieu, « néanmoins », comme si la kyrielle d’oppositions binaires qui définit leurs mondes respectifs pouvait être un seul instant dépassée (plage privée vs plage publique, « croquettes (de crevettes) » vs « beignets (de crevettes) », art conceptuel vs survêtements aux « couleurs de casaque de jockey »).
De ces clivages si écrasants qui fondent les déterminismes, il advient que « Tout peut donc arriver, mais tout n’arrive pas. » Dans cette société de masques et d’apparences, les êtres sont sans visage – n’opposant au regard de l’autre que son reflet dans les verres fumés précités ; et quand par hasard l’intériorité apparaît, elle est un vertige violent et un cri muet. Enfouie sous la brume d’éther d’une conscience cotonneuse, la terreur panique d’être au monde fait de l’être un ectoplasme passif (l’esprit de « la JF » est « une masse opaque parcourue de courants imprévisibles où les pensées ondulent comme des algues en suspension ») : tout le reste n’est que représentation et jeu de cirque, incandescences dérisoirement épidermiques incapables de rompre l’atavisme poisseux qui empèse les « personnages ».
Tragique ? Oui, mais on ni de la drague laborieuse du VRP, toujours référée au « module Construction de l’échange verbal de son BTS Action commerciale ». On rit de son incompréhension déconfite face au mutisme têtu et ambigu de la donzelle, de ses stratégies de conquête hésitantes ou exaltées selon le morceau diffusé par la radio (de La Maladie d’amour à Eye of the Tiger), de son indéfectible bon sens (« même l’amour le plus sincère ne peut faire l’économie d’une étude de marché »). On rit aux séquences chaotiques des dialogues (de sourds) dans le flottement étrange d’une anesthésie généralisée. On rit surtout de la capacité à l’autodérision dont fait preuve Joël Baqué – poète et officier de police, il fallait l’inventer –, à son sens aigu du décalage, de ce ton unique, mélange d’« excentricité britannique » et de « surréalisme belge », aussi ironique et absurde que les lièvres du sculpteur Barry Flanagan – bronze face auquel le VRP, suivant « la JF » à dos de vélo jusqu’à la réserve ornithologique du Zwin, demeure médusé sous un tsunami d’incompréhension.
On rit de cette langue étrange, traduite d’on ne sait quel idiome, capable d’emballements soudains comme d’ankyloses obstinées dans un bon sens pas piqué des vers, d’associations saugrenues, de comparaisons loufoques. Ainsi la morale de l’histoire :
« Vu de l’extérieur rien n’évolue vraiment. […] Vue de l’intérieur des personnages la situation reste stable quoique moins nette que le paysage, c’est normal les paysages sont mieux éclairés ».
Valérie Nigdélian-Fabre, Le Matricule des anges, juin 2011