— Paul Otchakovsky-Laurens

Trafic 80

20 ans – 20 films

Collectif

À l’occasion d’un anniversaire


Il y a vingt ans naissait Trafic. La revue dont, après avoir dirigé la rédaction d’un mensuel (Cahiers du cinéma), puis la rubrique « Cinéma » d’un quotidien (Libération), Serge Daney eut le désir pour continuer à écrire et à faire écrire sur le cinéma. Le cinéma avait changé, il allait changer plus encore. Il était définitivement devenu minoritaire dans le grand monde des images. Mais le fantasme de sa mort commençait à passer de mode. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour voir que, dans des pays du monde de plus en plus nombreux, on produisait toujours plus de films, dans des conditions souvent difficiles, mais dont ils tiraient aussi leur force et leur nouvelle étrangeté. Le cinéma ne cesserait de se réinventer. Il fallait donc le servir autrement, librement, en prenant son temps, au rythme apaisé mais vigilant d’une revue trimestrielle.


Rassembler tous les fils, avec patience. Écrire, faire écrire : Trafic, grâce au soutien fidèle de son éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, est devenu une revue d’écriture, sans images, pour mieux écrire les images. Celles du cinéma, d’abord, mais aussi toutes celles qui de plus en plus l’entourent, à condition de bien évaluer les différences. Faire écrire tous ceux que le cinéma touche toujours au plus près : cinéastes, critiques, écrivains, philosophes, historiens d’art, essayistes de tous bords (parmi eux nombre d’étrangers, Trafic s’étant attaché à beaucoup traduire), sous condition d’un engagement personnel de style et de pensée dont le texte seul fait foi. Cela implique une attention à l’actualité, mais aussi bien à l’actualité de chaque auteur et de chaque lecteur à qui nous la demandons, à travers le passé toujours présent du cinéma.

Cela suppose d’interroger sans cesse ce qu’est et ce que devient le cinéma. Notre gros numéro 50 revisitait ainsi la question de Bazin : « Qu’est-ce que le cinéma ? » De même, récemment, une part de notre numéro 79. Mais le cinéma n’est fait que de films, un par un à aimer, à comprendre, à défendre. Questions de goût, de choix, d’engagement au coup par coup. Aussi, pour fêter nos vingt ans, cette envie de nous proposer, ainsi qu’au Conseil qui nous soutient et à quelques-uns des amis qui nous entourent, le choix avant tout personnel d’un film né au fil de ces vingt ans. Non pas le meilleur film, mais un film sur lequel on aurait aimé écrire, un film-signe pour soi. Une exception à la chronologie a été faite, Palombella rossa (1989), parce que ce fut le film fétiche de Serge au moment où Trafic s’imaginait. Ce numéro se veut ainsi un humble manifeste d’écriture critique. Si n’y figure pas un film de notre ami Jean-Claude Biette, mort depuis près de dix ans déjà, lui qui croyait tant au goût des films, hommage lui sera rendu au Centre Pompidou en ouverture de notre programmation « 20 ans, 20 films », du 11 au 30 janvier 2012.

On remarquera aussi qu’un heureux hasard de ces choix conduit de A à Z, d’A.I. de Steven Spielberg à Zefiro Torna de Jonas Mekas. Là encore, aux yeux de Trafic, il n’y a qu’un cinéma, dans toute sa diversité (« le cinéma, seul », disait Daney), composé de son centre apparent et de toutes ses marges, puisque, disait Nietzsche, « le centre est partout » : un cinéma dans tous ses états, sans cesse à ressaisir.



Raymond Bellour, Sylvie Pierre et Patrice Rollet


 


Sommaire :



  • A.I. Intelligence artificielle de Steven Spielberg par Jonathan Rosenbaum

  • Le Bassin de J.W. de João César Monteiro par Marcos Uzal

  • La Belle Journée de Ginette Lavigne par Jean-Louis Comolli

  • Café Lumière de Hou Hsiao-hsien par Frédéric Sabouraud

  • Craneway Event de Tacita Dean par Hervé Gauville

  • Crash de David Cronenberg par Mark Rappaport

  • Encontros de Pierre-Marie Goulet par Bernard Eisenschitz

  • Film Socialisme de Jean-Luc Godard par Jean Narboni

  • L’Homme sans passé d’Aki Kaurismäki par Leslie Kaplan

  • Inland de Tariq Teguia par Jacques Rancière

  • Loin d’André Téchiné par Jacques Bontemps

  • Mystères de Lisbonne de Raoul Ruiz par Jean Louis Schefer

  • Palombella rossa de Nanni Moretti par Fabrice Revault

  • Le Rêve de Cassandre de Woody Allen par Marie Anne Guerin

  • Saraband d’Ingmar Bergman par Raymond Bellour

  • Soy Cuba, le mammouth sibérien de Vicente Ferraz par Sylvie Pierre

  • 36 vues du pic Saint-Loup de Jacques Rivette par Pierre Léon

  • Val Abraham de Manoel de Oliveira par Youssef Ishaghpour

  • Wolff von Amerongen a-t-il commis une faillite frauduleuse ? de Gerhard Benedikt Friedl par Christa Blümlinger

  • Zefiro Torna de Jonas Mekas par Patrice Rollet

 

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Revue de cinéma
fondée par Serge Daney

Nous nous trouvons à un moment où, de plus en plus, nous parlons d’images. Tantôt modernes (« nouvelles images », images de synthèse), tantôt archaïques (mythologiques, religieuses, picturales). Et parmi ces images, il y a celles du cinéma.

Les images du cinéma sont très précieuses parce qu’elles constituent pour deux ou trois générations de par le monde une véritable archive de souvenirs, un trésor d’émotions stockées et aussi une usine à questions. Le temps est venu de se servir du cinéma pour questionner les autres images – et vice versa.

Trafic veut retrouver, retracer, voire inventer les chemins qui permettent de mieux savoir, dès aujourd’hui, « comment vivre avec les images ». La revue est ouverte à tous ceux qui ont l’image comme première passion, le cinéma dans leur bagage culturel et l’écriture comme seconde passion. Sans exclusive et pas seulement en France. Il est essentiel de restituer cette autre « actualité » qui est celle des autres pays et des autres cultures du cinéma. C’est pourquoi nous demanderons à un certain nombre d’amis étrangers (de New York à Moscou) de jouer ce rôle d’informateurs, voire de poser des questions ailleurs.