La plus grande aberration
Suzanne Doppelt
La plus grande aberration est comme le prolongement de Lazy Suzie, (P.O.L, 2009) qui s’inspirait des anamorphoses, c’est à dire des perspectives dépravées. Il tente de comprendre comment les images ne sont et ne montrent jamais ce que l’on croit.
Il s’agit d’une histoire à l’envers, ce livre revient un certain nombre d’années en arrière – les premières anamorphoses datent du début du XVIe siècle – il rétrograde vers l’an 1495, date à laquelle Jacopo di Barbari aurait peint son tableau appelé Luca Paccioli. Mais première énigme, la signature est à moitié...
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La plus grande aberration est comme le prolongement de Lazy Suzie, (P.O.L, 2009) qui s’inspirait des anamorphoses, c’est à dire des perspectives dépravées. Il tente de comprendre comment les images ne sont et ne montrent jamais ce que l’on croit.
Il s’agit d’une histoire à l’envers, ce livre revient un certain nombre d’années en arrière – les premières anamorphoses datent du début du XVIe siècle – il rétrograde vers l’an 1495, date à laquelle Jacopo di Barbari aurait peint son tableau appelé Luca Paccioli. Mais première énigme, la signature est à moitié cachée par une mouche.
On y voit donc le frère mathématicien Luca Paccioli, l’auteur de De la divine proportion, qui se tient à une table couverte d’instruments de calcul, pointer une figure géométrique au moyen d’un bâton et derrière lui un homme, son élève ou son assistant ou même un simple passant dont on ne sait s’il est Guidobaldo, duc d’Urbino, Dürer ou encore un autoportrait du peintre lui-même. Au-dessus d’eux une figure géométrique identifiée comme un polyèdre, une lune pleine d’eau, dont on se demande si ce n’est pas Léonard de Vinci qui l’aurait peinte.
En fait, ce tableau n’agite que du mystère. Deux hommes à l’identité floue considèrent des points inconnus, deux quasi fantômes qui nous renvoient volontiers aux deux ambassadeurs de Holbein par bien des aspects : une table, des instruments pour mesurer le monde, un religieux et son double temporel.
C’est autour de ce tableau à secret, de cette peinture prise comme point d’ancrage et prétexte que ce livre tourne. Il tente de saisir, à sa manière, ce que peut être l’expérience troublante de la vue et du retour (à la manière des fantômes qui hantent les vivants et posent inlassablement les mêmes questions).
Des images photographiques, de Suzanne Doppelt, accompagnent le texte.
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La presse
Sorcellerie évocatoire
Suzanne Doppelt est une magicienne. Une écriture poétique, à laquelle font écho de minutieux montages photographiques : telle est la double pratique qui concourt à la baudelairienne " sorcellerie évocatoire" de ses petits livres. Le pré est vénéneux (POL, 2007) s’inspirait de la production des spirites du XIXe siècle. Prolongeant Lazy Suzie (POL, 2009), La Plus Grande Aberration nous fait comprendre, en évoquant les anamorphoses, ces " perspectives dépravées ", que nous ne sommes jamais sûrs de ce que nous croyons voir. Tel un rébus, le texte évoque un mystérieux tableau de Jacopo de’ Barbari, datant de 1495 : un portrait du frère mathématicien Luca Pacioli, auteur de De la divine proportion. Or cette peinture (dissimulée dans une photo de Suzanne Doppelt) semble préfigurer la célèbre toile d’Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs (1533), où se cache une vanité. Par-delà ces tableaux à secrets, hantés de fantômes, ce livre malicieux et savant donne accès à un monde plein d’analogies et de résonances, étrange et profondément envoûtant.
Monique Petillon, Le Monde des Livres, 13 juin 2012