— Paul Otchakovsky-Laurens

Millefeuille

Prix Wepler
Fondation la Poste 2012

Leslie Kaplan

Millefeuille, c’est le portrait d’un vieux monsieur qui sait qu’il va vers la mort et qui se débat avec ça. Et d’un humaniste, qui est à la fois affecté par tout en surface, et profondément indifférent. C’est aussi un livre sur les rapports entre générations, un vieux et des jeunes.

Un vieux monsieur, donc, aimable, ouvert aux autres et au monde, et en même temps, toujours dans une certaine distance, sans intérêt véritable, guetté par l’ennui. Tout l’intéresse sans arrêt, rien ne l’intéresse vraiment. Il a apparemment beaucoup d’amis, et il n’a aucun ami.

Son rapport avec les jeunes, son fils Jean,...

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La presse

Millefeuille ne désigne pas le nombre de pages composant le dernier livre de Leslie Kaplan. Il s’agit du personnage éponyme d’un roman qui raconte quelques mois de la vie d’un veuf, entre ses amis, sa famille, ses activités (il écrit un essai sur Shakespeare et entreprend donc de relire toutes ses tragédies), ses rencontres et le récit circonstancié de ses rêves puis de ses hallucinations. Les aventures intérieures de Jean-Pierre, donc, nous conduisent à vivre avec ce dernier, dans son appartement parisien situé tout près du musée Bourdelle, durant quelques mois estivaux. Le narrateur est ici et ailleurs, masculin et féminin. Le plus souvent, il adopte un point de vue interne au personnage principal ; parfois, il est une amie du personnage en question, entité centrale en ce qu’elle est à l’origine d’une crise existentielle que cet opus décrit avec une justesse et une acuité incisives.



Les récits de formation narrent, traditionnellement, le parcours de personnalités qui découvrent la vie et se modèlent au gré d’expériences fondatrices déterminantes. Des épreuves sont surmontées, des obstacles contournés, des dilemmes posés, qui permettent au héros de gagner en maturité. L’originalité de cette fiction est qu’elle observe un retraité en proie à ses (vieux ?) démons : culpabilité, angoisse de la mort, paternité problématique et transmission improbable. Jean-Pierre pourrait croire avoir tout vu, tout vécu, tout lu, tout connu : il a été un enseignant studieux, un mari fidèle, un père responsable, un ami attentif. En fait, son âge relativement avancé l’ouvre à l’expérience d’un temps qui ne peut ni ne veut passer. Il vit l’événement et celui-ci remet en cause ses certitudes. Quelque chose advient (un appel, une rencontre, une convocation, au sens étymologique du terme), quelqu’un survient (Léo, un apprenti écrivain en attente de conseils, Loïc et Cristelle, un couple de jeunes désœuvrés abandonnés par leur famille et la société), qui bouleversent son appréhension du réel et affinent considérablement sa perception de la mort. À certains moments, il parle d’ailleurs comme certains personnages de Beckett :
« Je n’en finirai jamais. /Pourquoi en finir. Je n’ai aucune envie de finir.
C’est impossible de finir.
Quelle horreur, finir.
Quelle horreur ne pas finir.
Finir, finir, finir.
C’est impossible de finir.
C’est les fous qui ne finissent pas.
 »



Il suffit d’un rendez-vous manqué, ou d’un silence un peu trop prolongé, pour que la rencontre, justement, n’ait pas lieu dans ce présent si fragile qu’il faudrait être capable de l’assurer et de l’assumer à l’instant. C’est ici et maintenant que sont nécessaires l’engagement, l’écoute pouvant passer par la parole, par une présence silencieuse, ou encore une attention absolument offerte à autrui. Il suffit d’un vide, d’une promesse non tenue, d’une absence passagère pour qu’un passage à l’acte précipite les vivants et les morts dans le tragique, les vivants avec leurs morts dans l’irréparable. Millefeuille est, en ce sens, un roman « poéthique » : il articule le récit à la recherche et la formulation d’une éthique qui en passe par le langage, une attention aux questions portées par les mots qui, même si elles restent sans réponse, permettent aux sujets d’habiter ce monde-ci, et de mettre en place une communauté familiale, amicale et affective qui sache soutenir, consoler, encourager. On voit bien que la question de la poésie excède ici la forme du texte et son espace même. Ce récit suggère que celle-ci est aussi ce qui noue le rapport, ce qui crée le lien, ce qui consolide la communauté ; un lien particulier qui traverse le langage, qui se constitue dans et par les mots, un lien qui travaille depuis l’inconscient, et qui s’exprime aussi par des images (rêves, films, photographies). Jean-Pierre lit, écrit, est cinéphile ; il se réfugie souvent dans le musée qui jouxte son appartement. Il peut être bavard. Il figure en tout cas le point de rencontres d’une série de personnages marginaux – les clochards Ernest ou Joseph par exemple – qui errent dans la ville, et dont la folie apparente se révèle, bien entendu, extrême sensibilité à ce qui se joue dans chaque mot, dans chaque parole.

« Millefeuille lui demanda ce qu’il écoutait, c’était la première fois qu’il lui posait la question. Ernest le regarda, soupçonneux.
Je ne peux pas te dire.
Mais pourquoi, demanda Millefeuille.
Tu sais très bien pourquoi, dit Ernest.
Millefeuille haussa les épaules.
Ils buvaient chacun un demi. Ernest se mit à miauler, de vrais miaulements, Millefeuille sursauta.
C’est ma copine, dit Ernest.
Ta copine, dit Millefeuille.
Ernest ne dit rien, ensuite il dit, Elle a trop chaud, en désignant le transistor.
Millefeuille hocha la tête.
Ernest, en confiance, ajouta, C’est parce qu’il y a trop de fous.
Il y a trop de fous ? répéta Millefeuille, il se sentait un peu dépassé.
Dans les rues, il y a trop de fous, dit Ernest, ça l’inquiète.
Il finit son demi d’une traite, se leva, et partit, Salut mon brave.
Millefeuille le regarda s’éloigner. Quand il ne le vit plus, il laissa échapper un miaulement.
 »



Puisqu’il est question de mots et de regards, d’interprétations et d’associations libres, d’échos et de remontées des souvenirs, de pulsions et d’effondrements, comment entendre ce « Millefeuille » qui recouvre tout en la découvrant l’identité du héros masculin ? Un certain talent pour les plaisirs des sens (le manger et le boire, la cuisine et le partage de nourritures terrestres), une attention pour les signes, ceux que les feuilles vierges accueillent, comme des rébus que chaque lecteur devrait essayer de déchiffrer, une conscience palimpseste stratifiée. Une indétermination également, puisque le nom « millefeuille », au masculin, désigne un gâteau à base de pâte feuilletée et de crème, mais également, au féminin, une plante de la famille des synanthérées, ainsi nommée parce que les feuilles en sont découpées très menues. On la prénomme aussi herbe à la coupure, herbe au charpentier, herbe militaire. Or si Millefeuille est l’homme qui entretient la relation, il est aussi celui qui la coupe, la raréfie, la travaille comme on travaille un bois, l’abandonne puis la fuit ; malgré lui, il se désinvestit soudainement, et interdit, depuis son retranchement, la permanence du lien.



La dernière page du récit reconstitue la parole hachée d’un individu dont tous les repères se sont effondrés. Il offre à Léo, et au lecteur, le bilan d’une expérience, et tente de mettre des mots sur les bouleversements qui ont fissuré sa conscience, son autorité et la maîtrise de son destin. Kafka notait en 1917 dans son Journal, « Est-il possible de penser quelque chose d’inconsolable ? Ou plutôt quelque chose d’inconsolable sans l’ombre d’une consolation ? » Dieu est mort, Cristelle et Loïc sont décédés, Millefeuille ne peut plus mourir de la même façon. Ses derniers mots citent Shakespeare, et disent la nécessité d’une « petite tombe » : un abri, un refuge, un lieu pour rencontrer l’éternité.



Anne Malaprade, site Poezibao.




Vertiges de l’oisiveté


Jean-Pierre Millefeuille est un vieux Parisien bourré d’habitudes et de contradictions : il lie facilement connaissance avec des inconnus et se détache d’eux tout aussi vite. Il se sent constamment seul mais ne supporte guère une compagnie prolongée. Il fait ses courses au Monoprix, travaille à une étude érudite sur les rois shakespeariens, se plaint auprès de ses amis de la vie qu’il mène. Cela, tous les jours. Inquiet à l’idée de sa propre mort, accablé d’ennui, ce père indifférent est traversé par de micro-accès de fureur sans cause ni raison. « Moi je pense aux Rois, à la vie, à la mort. Aux Rois. À tous les Rois. Je pense à beaucoup de choses, à trop de choses, trop, trop, trop. » Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman, sinon la routine d’un veuf à la retraite, mi-mondain, mi-hautain, pour qui l’oisiveté ouvre sur un gouffre d’angoisses alternant avec des phases euphoriques. Cependant le charme opère, grâce à la succession de saynètes tantôt absurdes, tantôt burlesques et au talent de Leslie Kaplan qui capte à la source un flot de réflexions ordinaires où l’incongru se marie au trivial, où la logique se dérègle. On retrouve, dans son dix-septième roman, les thèmes chers à l’auteur : la sociabilité, la parole et l’identité. Jean-Pierre Millefeuille, cet individu qui aime épater la galerie et soliloque dans les squares, rappelle les personnages de Sempé et le style du récit Tropismes, de Nathalie Sarraute.


Macha Séry, Le Monde, 23 aout 2012




Jean-Pierre Millefeuille est un homme de style. Professeur de lettres à la retraite, il promène sa longue silhouette élégante dans les rues du quartier Montparnasse, à Paris, où il vit seul, entouré de voisins et d’amis. Sa femme est morte, il y a dix ans. Son fils, Jean, n’est pas loin, qui enseigne le dessin à Aubervilliers. Aimable séducteur, esthète gentiment mondain animé d’un profond sentiment humaniste, «  pas amer, pas aigri », il se consume pourtant. Désire chaque chose et son contraire, s’enthousiasme et s’ennuie aussitôt, vieil enfant capricieux qui vit dans l’intention et se lasse de tout.

C’est qu’il se détache, « Millefeuille », des êtres et des choses, et bientôt va mourir. Il le sent et le craint, ne le refuse, ni ne l’accepte. Quelques malaises, autant d’oublis, des peurs infondées, comme elles le sont souvent, lui rappellent, s’il le fallait, qu’il n’est plus dans la force de l’âge.

Le long de rues qu’elle connaît comme sa poche pour y avoir passé son enfance, Leslie Kaplan brosse, dans le 17e livre qu’elle publie chez P.O.L., le portrait sensible et délicat de cet homme tourmenté par son déclin prochain. Au détour de phrases nominales qui disent les fulgurances persistantes d’un esprit érudit qui se fige peu à peu – «  perdu, comme fichu, foutu, fini, ou perdu comme un enfant perdu ?  » –, elle conte avec bonheur la litanie des jours qui se succèdent, chargés de mille choses prosaïques mais jamais monotones : la préparation des repas, les courses, promenades et rencontres.

Et, comme il s’extrait du monde, Millefeuille balaie distraitement l’idée de transmission. Il s’entiche sans raison de jeunes marginaux, noue de grandes amitiés, mais méprise son fils et rechigne à aider un jeune auteur, Léo, qui lui soumet ses premiers écrits. Ce qui remplit ses heures, en vérité, c’est l’article sur « Shakespeare et les Rois  », qu’une revue lui a commandé – «  Lear, c’est moi, évidemment »  –, creuset des interrogations historiques et métaphysiques qui se font jour. « Les Rois et la mort, la mort, la mort : j’y pense tout le temps, même quand je n’y pense pas », s’exclame-t-il.

De cette tragédie ordinaire, Leslie Kaplan fait émerger une délicieuse figure romanesque, tantôt balzacienne, « portant beau […], souvent là en train de lire son journal », tantôt flaubertienne – « Félicité c’est moi », ironise-t-il sur la mort solitaire de la vieille servante d’Un cœur simple. On l’imaginerait tout aussi bien traverser un film de Claude Sautet, « personnage » bourgeois dont les tempêtes intimes font voler en éclats les formes policées qui régentent sa vie.

Et tandis qu’il arpente le champ rétréci de son existence, Millefeuille ausculte ses rêves et ses pensées, se sermonnant, se consolant et s’écoutant sans fin. Les mots, sous la plume alerte de l’auteur, prennent corps ; ils sont l’objet qu’ils nomment, l’image qu’ils relaient. À les laisser ainsi courir sur la crête de phrases, ils s’émancipent : « Les mots étaient toujours là, ils se promenaient devant lui, se trémoussaient, le narguaient. » Las, pour l’homme de lettres submergé par la peur de mourir, les armes d’hier seront les instruments mêmes de la capitulation. «  “Quelle horreur, finir. Quelle horreur ne pas finir. Finir, finir, finir. C’est impossible de finir. C’est les fous qui ne finissent pas. Je suis épuisé, dit Millefeuille. Repos.” »


Fabienne Lemahieu, La Croix, 13 septembre 2012



Leslie Kaplan, Entre vie et mort



Avec son patronyme parfaitement improbable, Jean-Pierre Millefeuille se présente a la fois comme un personnage de papier et comme une personne de chair, à l’image de mille autres. Le dix-septième roman de Leslie Kaplan montre l’auteur une nouvelle fois au plus haut de son art. Par sa façon inégalable de faire tourner sa figure centrale sous différents éclairages. Par sa manière d’en circonscrire la mélancolie profonde. Enfin par l’affectation d’impassibilité de la langue et le rigoureux tombé de la phrase.

Leslie Kaplan restitue quelques mois de la vie de Millefeuille, pendant un été du début de ce siècle. Lhomme était né au début des années 1930 et approchait aujourd’hui du terme de son parcours. ll vivait seul dans son appartement du XIVe arrondissement depuis le décès de son épouse Deborah, il y avait dix ans de cela. ll avait enseigné la littérature dans le secondaire, commis un petit livre sur Pascal. Travaillait toujours à un projet ancien d’étude sur Shakespeare. ll paraissait aimer faire des rencontres, au café ou dans la rue. Recevait volontiers chez lui. ll était de grande stature et « portait beau ». ll affichait en somme un profil d’honnête homme sociable joliment entré dans l’âge. Sa seule particularité tenait à une habitude de langage : il déclarait systématiquement « intéressant  » tout ce qu’il lui était donné de voir et d’entendre. Le qualificatif revient en véritable leitmotiv tout au long du roman. Alors qu’en fait Millefeuille était entré déjà dans le temps de l’indifférence. Tout cela se trouve évoqué ou suggéré par celui ou celle qui raconte, au statut incertain. Tantôt narrateur omniscient, tantôt amie déclarée du vieux professeur, tantôt encore jouant de la focalisation interne pour en restituer le point de vue. Une variation d’angles d’attaque qui dynamise littéralement le récit, alors que tout pourrait le porter à la monotonie.

Puisque dans cette existence, au fond rien ne se passe. Si ce n’est le débattement intime avec l’ultime grande affaire qui accapare Millefeuille : la proximité croissante de la mort. Son univers s’est rétréci, ne tourne plus qu’autour de cette question malgré l’affectation de présence au monde. Le reste lui apparaît terriblement lointain Quand il lui arrive de parler de son fils, professeur d’arts plastiques dans un lycée, il explique aussitôt que celui-ci vit désormais à grande distance de Paris, éloigné de son père. Mais on apprend que le jeune homme est installé dans la proche banlieue, à Aubervilliers, et que l’éloignement est d’une tout autre nature. En cet été de son crépuscule, Millefeuille a surtout changé d’échelle, il est devenu son unique repère et ne s’intéresse plus qu’à ce qui constitue son quotidien les rues du quartier, les arbres, la cuisine et, grand temps fort de sa journée, les courses au Monoprix.. Même si de vieilles habitudes langagières, tournant à vide, peuvent donner encore le change. On reconnaît tour à tour, à l’horizon du récit, Sarraute et Beckett (« Quelle horreur, finir. Quelle horreur de ne pas finir », « La mort, j’y pense tout le temps, même quand je n’y pense pas »)

Leslie Kaplan a choisi l’imparfait et passé simple pour dessiner vieil homme déjà sorti du présent. Entre autres hanté par la figure du roi Lear, le souverain shakespearien qui avait trouvé dans la folie une façon de mourir au monde qui donne à ce texte sur l’absence dernière une formidable dimension humaniste.


Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 18 octobre 2012




Le délicat millefeuille de Leslie Kaplan



Jean-Pierre Millefeuille, qui donne son nom au très beau dix-septième roman de Leslie Kaplan, est le genre de vieux monsieur que tout le monde aime(rait) rencontrer. Très actif malgré son veuvage, joyeux, bavard, il arpente le quartier parisien de Montparnasse où il habite. On le suit au Monoprix et au marché, dans les musées, les magasins, les brasseries où il a ses habitudes, les rues du coin et les squares où il aime s’asseoir. Partout, il bavarde longuement avec ceux qu’il connaît, entame de charmantes conversations avec ceux et celles qu’il ne connaît pas. L’écriture nette, très scandée, de la romancière nous le rend tellement aimable.


Jean-Pierre Millefeuille a beaucoup de monde autour de lui. Sammy, un livreur de DVD aux cheveux blancs, Charles, un Africain agent de sécurité, ses anciens collègues. Les amies de sa femme et la narratrice qui lui fait rencontrer Zoé et Léo, dans la vingtaine. Les générations se mélangent chez le professeur de littérature. Il a tant de choses à partager et il aime le faire. Mais il a également des activités personnelles : il rédige un article sur les rois dans Shakespeare, un de ses auteurs préférés avec Flaubert et Baudelaire, lit beaucoup, visionne des films, fait la cuisine.


Jean-Pierre Millefeuille a aussi un fils unique, Jean, dans la trentaine, qui est professeur de dessin à Aubervilliers. Pas très loin, mais les deux hommes se fréquentent peu. Ils n’en ont pas envie. Vraiment pas ? Peu à peu, Leslie Kaplan effeuille son millefeuille. On découvre l’intérieur fissuré de son beau et lisse personnage. En réalité, ce dernier a un rapport compliqué avec les gens. Il donne bien moins qu’il n’en a l’air. Sa femme s’en est accommodée. Son fils Jean le sait depuis longtemps. Léo qui se sent écrivain l’apprend à ses dépens. Loïc, un jeune paumé que le vieil homme rencontre par hasard, découvrira aussi que les intérêts de son « protecteur » sont fluctuants. Lui et sa copine Cristelle auront un sale destin, dont Jean-Pierre Millefeuille s’accusera. « Tu te morfonds toujours pour des choses impossibles », le console une de ses amies. Joseph, un ancien de l’école retrouvé pauvre, en souffre de même. Tout comme Ernest, le clochard du coin.

La romancière fait délicatement remarquer combien Jean-Pierre Millefeuille a peur de vieillir, combien il est hanté par la mort. Il y pense tout le temps, même quand il n’y pense pas. Au point d’être dévoré par la haine.


Lucie Cauwe, Le Soir, 19 octobre 2012



L’émotion Kaplan


En apparence, l’air est léger quand on accompagne, au fil de ses déambulations sur la rive gauche, M. Millefeuille, le professeur retraité de Leslie Kaplan. Ce veuf alerte travaille sur les rois de Shakespeare, parle aux clochards et peu à son fils. Mais ses gestes de solidarité et son espièglerie sont trompeurs. Car il cherche la solitude et son cœur se rétrécit. Il claque sa porte, dit que le monde fait trop de bruit dans sa tête. Et voici que, entre la gare Montparnasse et le Select, souffle le vent glacé de la mort, qui saisit les paumés de la ville. Pas étonnant que Leslie Kaplan ait souvent inspiré le théâtre. Dans ce beau roman, on assiste, aux premières loges, à la dissolution d’un « Roi Lear » au petit pied, sans amour ni royaume.


Odile Quirot, Le Nouvel Observateur, 18 octobre 2012.


Ce livre porte bien son nom. Il se coupe difficilement, mieux vaut l’avaler d’une traite. Et il laisse des miettes partout, d’infimes particules dont on ne mesure pas tout de suite la portée, mais qui sont précieuses et tenaces. En réalité, Millefeuille est un patronyme porté par Jean-Pierre, un vieux type domicilié du côté de la gare Montparnasse. Féru de littérature et de cinéma, le retraité a fait de son appartement le dernier salon où l’on cause, ou se tait. Même entouré de jeunes gens qui boivent ses paroles, Millefeuille souffre de solitude.

Comme Perec dans Un homme qui dort, Leslie Kaplan s’immisce dans le songe éveillé qu’est cette vie en voie d’extinction, pour en traquer les sursauts de clairvoyance. « Il y a un petit courant d’air qui me traverse tout le temps », se plaint Millefeuille, léger, presque transparent, qui volette entre les obligations de la vie courante et les exigences de l’âme. Rat de supermarché, où il part en chasse de son pain quotidien avec la rigueur obsessionnelle du troisième âge gourmand par désœuvrement, il se nourrit aussi de Shakespeare, Hamlet est son bâton de vieillesse. Somnambule, flottante, l’écriture de ce roman s’approche de la mort à pas feutrés. Phrases étouffées qui tournicotent autour d’idées trop douloureuses, raccourcis de pensées qui sont le privilège de l’âge, accès d’autodérision déchirante : les ruminations de ce personnage digne de Tati empruntent mille chemins, pour mieux préparer l’issue fatale, où l’on n’est jamais aussi bien accompagné que par soi-même.

Marine Landrot, Télérama, 3 novembre 2012.





Agenda

Mercredi 4 décembre à 19h30
Leslie Kaplan au Lieu Unique (Nantes)

Le Lieu Unique

Quai Ferdinand-Favre

44000 Nantes

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Et aussi

Leslie Kaplan Prix Wepler 2012 pour Millefeuille

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Leslie Kaplan Grand Prix de la SDGL 2017 pour l'ensemble de son oeuvre

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Vidéolecture


Leslie Kaplan, Millefeuille, Leslie Kaplan Millefeuille 3 juillet 2012

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