— Paul Otchakovsky-Laurens

Adèle et moi

Julie Wolkenstein

Après la mort de mon père, j’ai trouvé en rangeant ses papiers des documents sur sa grand-mère dont j’ignorais tout et qui révélaient un secret de famille. Je ne me suis jamais intéressée aux ancêtres de personne : les gens que je ne connais pas, surtout s’ils sont morts, me sont cent fois plus étrangers, même s’ils me sont apparentés, que les personnages de romans. Mais il y avait dans ce que je découvrais sur cette arrière-grand-mère des choses qui me plaisaient, d’autres que j’aurais voulu savoir. J’ai hésité à enquêter. Ce livre est le résultat de mes hésitations.

 

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La presse

La vie est aïeule


De Julie Wolkenstein, on aime le tropisme anglo-saxon – sa thèse sur Henry James, sa traduction du Gatsby de Fitzgerald –, le brio romanesque, son père, l’académicien Bertrand Poirot-Delpech, disparu en 2006, son goût pour les maisons de bord de mer, les bulots et le vin blanc qui grise devant le spectacle des vagues, scène récurrente dans ses livres. Tout ce qui nous enchante chez cette écrivaine singulière se trouve réuni au sein de son nouveau roman, Adèle et moi, dans une maison près de Granville, à Saint-Pair (Saint-Père pourrait dire Jules, l’amant moqueur de la narratrice, amateur de jeux de mots plus ou moins lacaniens). Saint-Pair est le trait d’union entre Adèle et son arrière-petite-fille, la narratrice, double plus ou moins travesti de l’auteure. L’une est née en 1860, l’autre un siècle plus tard. Pour toutes les deux, cette maison transmise de génération en génération est ce qu’elles possèdent de plus cher. Pourtant, des années durant, la narratrice préféra les personnages des livres aux ancêtres de sa famille d’Adèle, elle ignorait même le prénom jusqu’à ce qu’elle trouve un mémorandum sur elle, signé d’une certaine tante Odette, en triant les papiers de son père après sa mort. C’est là qu’elle découvre les premières informations sur son arrière-grand-mère. Petite fille, elle fut envoyée au bord de la mer, en 1870, par un père cavaleur, pour fuir Paris assiégé. Coup de foudre pour les vagues. Plus tard, elle se fera construire la maison de Saint-Pair sur la falaise. Elle se mariera, contre l’avis de son tuteur, à un Alsacien désargenté, souffrira de beaucoup de morts inadmissibles – ses enfants, sa petite-fille –, mourra bigote en 1941. Sur le papier, le destin d’Adèle ressemble à l’existence d’une bourgeoise avec ses joies et ses peines. Mais dans la vraie vie ?

Venue passer un week-end « no kids » avec Jules et amis, la narratrice, divorcée, amoureuse, écrivaine, se demande que faire de ces informations et, surtout, comment remplir les blancs qui les relient. Et c’est là que cet ample roman prend toute sa force et son originalité. Julie Wolkenstein aime les intrigues à tiroirs, les coïncidences et les courts-circuits. Plus qu’aux faits, elle s’attache aux signaux, plus qu’à la mémoire, elle s’intéresse aux faux souvenirs. Aidée par la tante Odette, 86 ans, qui lui donne le journal et une partie de la correspondance d’Adèle, elle bâtit un roman sur la vie de son arrière-grand-mère en résonance avec son propre vague à l’âme.

Pourquoi Adèle a-t-elle comme premier souvenir la palissade de la rue Barbet-de-Jouy, où son père fait construire une maison (rue Barbet-de-Jouy, on se barbe forcément au lit ?, se moque Jules), et non pas la mort de sa mère alors qu’elle n’a pas 10 ans ? Pourquoi cette jeune fille riche et élevée dans les beaux quartiers était-elle la terreur des mères de famille qui préféraient l’éloigner de leurs enfants modèles ?? Pourquoi se sentait-elle si à part, sentiment partagé par la narratrice ? La réponse est à chercher du côté d’Andrée, la mère d’Adèle… Son portrait fait penser à la narratrice, à celui qui figure sur la couverture de Madame Bovary dans sa vieille édition Folio. Pourquoi cet air si triste ?

Fine spécialiste du roman, Julie Wolkenstein en connaît toutes les ficelles qu’elle prend un malin plaisir à tordre. Avec recul et humour, elle déjoue les conventions du genre pour construire un grand roman autour d’un secret de famille. Mélange d’inventions et d’informations, d’hypothèses et de doutes, Adèle et moi est changeant comme la météo à Saint-Pair mais, au final, c’est l’impression de soleil qui l’emporte.


Olivia de Lamberterie, Elle, 4 janvier 2013



Dans ce roman où, telle la marée, afflue et reflue le passé, l’auteur redonne vie à son arrière-grand-mère, l’inventant autant qu’elle la découvre. Envoûtant.


Est-ce à cause de L’Histoire d’Adèle H., de François Truffaut ? On imagine l’Adèle de ce roman sous les traits juvé?niles d’Isabelle Adjani, animée de la même volonté fébrile, des mêmes sentiments éperdus, dans une fin de xixe siècle inquiète, pétrie de tabous et d’espoir. Julie Wolkenstein, elle, la voit plutôt sortie de la triste chanson française Sur le pont du Nord, où une Adèle part au bal danser sans la permission maternelle, et connaît le sort des enfants obstinés : la noyade. La romancière décrit la mère de son Adèle avec une coiffure en bandeaux qui lui rappelle la couverture de sa vieille édition « Folio» de Madame Bovary, oubliée dans sa maison de vacances du côté de Granville, qu’Adèle et Julie ont hantée à tour de rôle, « dans une sorte de pli du temps ».

Peu importe la vraisemblance des ressemblances, la justesse des parallèles. Tout est permis dans la mémoire imaginaire, quand les gens ne sont plus. Adèle a bel et bien existé, Adèle a bel et bien été inventée. Entre les deux, le cœur de Julie Wolkenstein balance, et ce mouvement imprime à son roman une belle cadence, sans que jamais le pied ne lui tourne.

Adèle est son arrière-grand-mère, une inconnue si loin si proche, un fruit d’or dans son arbre généalogique, dont les miroitements l’aveuglent et l’éclairent en même temps. De cette ancêtre morte en 1941, bien avant sa naissance, la romancière capte les ondes vibratoires encore très fortes, l’oreille collée sur le coquillage qui les abrita à cent ans d’intervalle : la demeure familiale de Saint-Pair, au bord de la Manche. Les lieux ont une mémoire, ils résonnent des cris de tous ceux qui les ont foulés, et la cacophonie peut être terrible pour qui s’arrête et écoute. Julie Wolkenstein ne prétend pas avoir l’oreille absolue. Au contraire, elle a conscience de l’impossibilité de reconnaître la note juste, et préfère la grâce de l’à-peu-près, la fragilité du presque ça, la profondeur des zones floues.

Il manque toujours une clé pour comprendre cette arrière-grand-mère qui multiplie les promenades nocturnes dans son jardin, soliloque avec son mari défunt, va voir dix fois Le Roman de Marguerite Gautier au cinéma. Plus l’étau se resserre sur l’identité d’Adèle, et plus le mystère s’épaissit. Plus sa fiche de renseignements se noircit d’encre, plus la page paraît blanche. C’est la magie de ce roman déferlant, qui efface toutes les traces qu’il a trouvées, qui submerge et met à nu avec la même constance et la même puissance.

Rien d’étonnant à ce que l’écriture alterne les vagues houleuses et les grandes plages désertes, le piquant et le caressant, le froid et le chaud. La mer est la véritable héroïne du livre. Parfois capable d’une « immobilité inconcevable », changeante et revêche, elle bruisse toujours d’une rage intérieure, comme Adèle et Julie. À distance, hors du temps, les deux femmes se remplissent l’une de l’autre, elles fusionnent tout en gardant leur individualité. On n’est jamais que la somme de ceux qui nous ont précédés, chuchote ce roman envoûtant, sur la liberté de regard.

Marine Landrot, Télérama, 3 janvier 2013



La vie de son arrière-grand-mère était un roman


Dans des papiers de famille, Julie Wolkenstein découvre une belle histoire d’amour : celle d’Adèle, son arrière-grand-mère née un siècle avant elle.



Pourquoi Julie Wolkenstein, née en 1968, s’est-elle passionnée pour la vie de son arrière-grand-mère Adèle ? Parce qu’elle a découvert, en rangeant les papiers de son père (l’académicien Bertrand Poirot-Delpech) après sa mort, un journal intime et un « mémoire » dicté par Adèle. Le tout formant comme le roman d’une amoureuse de la vie.



Secrets d’une famille bourgeoise



À partir de ce texte jamais publié, Julie Wolkenstein a écrit un autre livre. Un vaste roman constitué du dialogue entre leurs deux sensibilités, à partir d’un unique lieu familial : la plage normande de Saint-Pair, près de Granville, où Adèle édifia sa maison de vacances, la Croix Saint-Gaud. « C’est ici, à Saint-Pair, dans une sorte de pli du temps que ma vie rejoint vraiment celle d’Adèle. Nous faisons chacune la moitié du parcours. »

Quoi de plus romanesque que la vie de ses parents, de ses ancêtres ? C’est bien ce que découvre Julie en parcourant ces journaux. C’est plein de secrets de famille qui se dévoilent par révélations. Intuitions. Aimée, la mère d’Adèle, était-elle « une femme légère » ? Adèle en hérite peut-être sa distance à l’égard de son milieu huppé, confiant dans les vertus du collier à perles et du serre-tête.

S’agit-il seulement des petits secrets d’une grande famille bourgeoise de Sèvres (dont Charles, son beau mari, en sera le maire) ? Le mouvement du livre est bien plus profond : il procède du flux et du reflux, découvrant comme une grande marée les fonds insoupçonnés d’un érotisme ardent, comme cette émouvante scène d’amour entre Adèle et son futur mari Charles, au clavier d’un Grand Orgue. À elle seule, cette découverte des mots et des usages amoureux réels d’un temps lointain, dans les mots de l’aïeule, justifie ce roman magnifique.

Peu à peu le journal s’évapore, se résume à des listes de films vus et revus, le cinéma devenant un refuge, mais la romancière continue d’épouser cette écriture élégante, ses mots soulignes, en capitales. Et la vie ressemble de plus en plus à une page de Virginia Woolf, lorsqu’allongée dans le bow-window, Adèle écoute du Mahler et attend le rayon vert, la dernière et rare lumière qui s’échappe du soleil couchant. Le rayon vert va-t-il, avant la dernière goutte de champagne, fuser du disque rose fuchsia du soleil sur les îles Chausey ?



Daniel Morvan, Ouest France, 13 janvier 2013





Les Inconnus dans la maison



Dans son sixième roman, Julie Wolkenstein évoque deux destinées de femmes liées mystérieusement par une maison



Dans ce beau roman à deux voix, la narratrice, universitaire d’une quarantaine d’années, retrouve dans les papiers personnels de son père qui vient de mourir des documents concernant Adèle Duval, sa grand-mère, née en 1860, morte en 1941, et dont elle ne savait rien, pas même le prénom Elle se sent plus proche d’ordinaire des figures littéraires que des personnes de la vie réelle, et pourtant quelque chose l’incite à partir sur les traces de cette aïeule dans les lieux ou elle-même a vécu son enfance et vit encore, l’hôtel particulier rue Barbet-de-Jouy, la villa de Sèvres, et surtout celle de Saint-Pair sur la côte normande.


Parce que, dit-elle, les maisons pour les êtres humains des « enveloppes », elle cherche ce qui en elle subsiste de cette femme à laquelle va la lier une mystérieuse empathie. C’est d’ailleurs la jeune Adèle qui ouvre le récit, écrit à la troisième personne, avec son arrivée à Saint-Pair le 11 septembre 1870. Elle a 10 ans, c’est son premier voyage en tram, sa Première guerre – elle en vivra trois – et c’est la première fois qu’elle voit la mer Dès les premières lignes, Adèle rejoint des situations des lieux, des motifs récurrents dans l’univers imaginaire que Julie Wolkenstein, construit et enrichit d’une fiction à une autre. Comme dans L’Excuse, l’héroïne se retrouve dans une vieille maison en face de la mer, la mer aussi fascinante et menaçante que dans les autres romans, mais à la petite île du Massachusetts a succédé la côte normande, l’époque est plus dure, plus inquiétante que les années 2030 telles que Julie Wolkenstein les imagine dans l’ouvrage précédent. Et dans l’espace de fascination que dessine la romancière, Balzac voisine avec Henry James.



En effet, la vie d’Adèle, de son mari, de sa descendance, la reconstitution d’un milieu, la haute bourgeoisie parisienne, permettent de continuer le récit de La Comédie humaine à travers les décennies moins éloignées de nous et d’évoquer, après l’ascension de cette classe, un lent déclin à la suite des guerres. Mais le récit oriente aussi vers le Balzac tourne vers l’intériorité, celui qui écrivit : « Nous mourons tous inconnus », et l’ombre de James s’étend elle aussi sur la narration.


Dans les marges du Journal ou les souvenirs d’une vieille cousine survivante des années lointaines, à travers les interdits et les non-dits, la romancière traque un secret qui avait échappé à Adèle elle-même jusqu’à l’âge de 50 ans, secret qui, sitôt découvert, semble en cacher un autre, plus profondément enfoui encore.


Le portrait de l’aïeule devient un reflet dans le miroir où la narratrice voit se dessiner sa propre image. Elle n’a pas beaucoup d’attirance pour la vie corsetée de son arrière-grand-mère, limitée par les interdits, ou sa bigoterie des dernières années. Mais comme dans les autres fictions de Julie Wolkenstein, des leurres, de fausses pistes, des allusions, des citations cachées sont là pour guider ou détourner dans une sorte de jeu de l’Oie, du côté de la comtesse de Ségur ou de Zénaïde Fleuriot, plus tard du Chevalier à la rose, ou de Tchékhov qu’Adèle n’avait du reste pas lu.


En fait le fil qui court à travers toute la trame du récit est donné dès les premières pages grâce à la présence très discrète de Cécile, psychanalyste intéressée par la répétition des mêmes faits, par les mêmes prédispositions héréditaires, les mêmes blessures frappant d’une génération à l’autre. Et le déni de la narratrice qui ne veut pas accorder foi aux hypothèses de son amie donne bien plus de force à la fiction qui se termine par une indication de la romancière – à laquelle elle ressemble beaucoup – « Saint-Pair août 2012 ». Mais c’est la voix d’Adèle que l’on entend en dernier.




Francine de Martinoir, La Croix, 10 janvier 2013


Et aussi

Julie Wolkenstein Prix des Deux Magots

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Julie Wolkenstein, Adèle et moi, Adèle et moi - janvier 2013