— Paul Otchakovsky-Laurens

Monsieur Teste à l’école

Jean Louis Schefer

Ainsi Teste aurait été à l’école ? Non, du moins pas lui-même. Il a dû, comme il l’a toujours fait, emprunter le corps de quelqu’un d’autre. Le corps ou l’esprit écolier débrouillant sa grammaire dans des lectures. – Alors, pas d’enfance ? Non, il est né vieux – d’ailleurs avez-vous déjà vu vos fantômes enfants, à la mamelle, au berceau, à l’état de bébé ? Pas l’ombre d’un biberon dans cette vie – peut-être, après tout, un encrier, un encrier à tétine ? – Mais alors ? – il était le confesseur, non le...

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Chaque matin dès l’aube


L’émerveillement est la clef de tout : zone de rencontre entre la parole et le réel engendré par cette parole. Le jeune Schefer, hébété, découvre adolescent l’œuvre tératologique de Paul Valéry. Une œuvre qui, aujourd’hui encore, à la fois par l’altitude de sa pensée et par la précision de sa langue, n’a aucun équivalent. Une œuvre, surtout, destinée à elle-même, tournée tout entière vers sa nécessité interne, vers sa gratuité absolue. Une œuvre qui, sans conteste, ne fut pas conçue
pour être publiée – une œuvre qui, peut-être, ne fut point écrite pour être lue. Valéry s’inventa un double éthéré, pur esprit, à l’ectoplasmique biographie : Monsieur Teste. C’est cet aberrant et mystérieux avatar qui trouble, étonne, fascine encore Schefer. Ce petit livre n’est pas un simple hommage à ce géant de la littérature engoncé de nos jours dans un marbre oublieux, comme enseveli sous sa propre gloire. Qui lit Valéry ? Personne. On a tort : comme chez tous les très grands écrivains, on reconnaît la griffe valéryenne à l’humour vertigineux qui visite sa prose, mais aussi sa poésie. Les Cahiers de Paul Valéry, composés chaque jour dès l’aube de l’enfance à la mort, sont les catalogues parcheminés du génie humain, un « système de diffraction des états de l’idée ». L’intelligence est un jeu, elle se soumet à ses propres caprices, à ses seules fantaisies, se lance des défis sur chaque page de chaque matinée ; elle se soulage, se défie elle-même, s’amuse, s’autorise. Elle n’est pas si froide qu’on dit : sous l’apparente glace chantent de naïfs pinsons – Valéry pépie, s’envole, léger, enfantin. Aérien sans cesse. Imaginons un enfant que le temps ne traverse que pour en flétrir les tissus, mais dont l’esprit reste intact. Valéry n’a qu’un unique métier : coucher toute cette enfance sur le papier, témoigner de ce qu’un homme peut faire, sait faire, quand il refuse les bornes de la théorie, les dogmes de l’université, les préséances du roman, les paresses de l’âge. Assister au spectacle de son esprit qui, avant que le jour ne soit là encore, étonne son auteur, le rend heureux. Il y a une jubilation Valéry. « Je pense toujours à autre chose », disait-il. Voilà. Chez Valéry, toute idée, tout jaillissement, toute intuition, toute fulgurance est immédiatement, non pas raturée, mais bariolée, mais métissée, mais enrichie, mais densifiée, mais colorée par une autre idée. Je recommande à mes lecteurs la lecture de ce dieu. Quel écrivain, ouvert au hasard de n’importe quelle page, offre instantanément une définitive saillie ? Voulez-vous faire le test ? Je vais chercher mon « Pléiade » et je reviens ! « Tous nos ennemis sont mortels. » / « Un homme sérieux a peu d’idées. Un homme à idées n’est jamais sérieux. » / « Quand nous parvenons au but,, nous croyons que le chemin a été le bon. » / « Le grand triomphe de l’adversaire est de vous faire croire ce qu’il dit de vous. » / « Être soi-même !… Mais soi-même en vaut-il la peine ? » / « Les Optimistes écrivent mal. » / « Beau titre pour un grand artiste : Exécuteur de hautes œuvres » / « L’homme se cramponne à ce qu’il croit valoir. » / « Les bons souvenirs sont des bijoux perdus. » / « Tout ce que tu dis parle de toi : singulièrement quand tu parles d’un autre. » Lisez, rien que pour vous, chaque matin dès l’aube, ce que Valéry écrivait, rien que pour lui, chaque matin dès l’aube.


Yann Moix, Le Figaro, 13 juin 2013

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