— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Aveux #formatpoche

Nouvelle traduction des Confessions par Frédéric Boyer
#formatpoche

Saint Augustin

« Ne laisse pas ma part obscure me parler. Je me suis dispersé là-bas. Je suis obscur. Mais là, même là, je t’ai aimé à la folie. Je me suis perdu et je me suis souvenu de toi…

Maintenant je reviens vers ta source. En feu. Le souffle coupé. Personne pour m’en empêcher. Je vais la boire. Je vais en vivre. Je ne suis pas ma vie. Je vis mal de moi. J’ai été ma mort. »


Livre XII, 10



Interpellations, confidences, exhortations, aveux, micro narrations, souvenirs, hymnes, fictions, louanges, analyses exploratoires, déplorations, cris, anathèmes, psaumes, discours, chants…

J’ai voulu,...

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La presse

Saint Augustin remastérisé


Après avoir dirigé la traduction de la Bible chez Bayard, l’écrivain Frédéric Boyer restitue toute sa violence poétique à la première autobiographie de tous les temps


« J’étais ballotté et dispersé, liquéfié par le sexe. » Dans la nouvelle traduction des Confessions, saint Augustin s’adresse à vous avec l’étrange proximité d’un compagnon d’Abribus. C’est la nuit. Un inconnu asthmatique d’origine maghrébine est assis près de vous et il vous parle, comme s’il attendait avec vous on ne sait quel Noctambus pour l’enfer ou le paradis. Ce bavard est mort il y a mille cinq cents ans mais il continue de râler superbement. Cette bête d’aveu semble ne rien vouloir vous cacher de ses doutes et de ses dégoûts. Il tonne contre « cette pute, d’âme humaine ». Il se mord les doigts d’avoir « tout dépensé par l’amour des putains ». Parfois, il sonne comme un pauvre hère de Samuel Beckett : « Cherchez ce que vous cherchez : ça n’y est pas. » Par moments, vous vous dites que ce type manque cruellement de centre et de concentration, qu’il a tendance à perdre le fil : « Assis chez moi, je suis facilement hypnotisé par un lézard qui gobe des mouches. » Ou bien il plonge ses yeux dans les vôtres et vous craignez même pour votre vertu, car il vous semble reconnaître chez votre frère d’Abribus la rhétorique d’une homosexualité masquée. « Aimer et être aimé m’était plus agréable si je pouvais jouir du corps amant. Je me suis rué dans l’amour. J’ai voulu être une proie », dit-il, comme s’il sortait d’un sauna. D’autres fois, sa voix enfle et Augustin l’Africain sonne comme Césaire l’Antillais : « Fils d’hommes jusqu’à quand le cœur lourd ? » Au bout du bout du rouleau, il s’en veut des errances idéologiques, des utopies dangereuses, des « bla-bla puérils » où donna son esprit « débile ». « Ces mirages vides ne me nourrissaient pas et me rendaient toujours plus vide. »

Ces mirages, pour lui, furent le manichéisme, les horoscopes ou la numérologie. Pour d’autres, ce fut le communisme ou l’art contemporain. « Les créatures inférieures ont alors pris le dessus sur moi. Elles semblaient me dire : où vas-tu salaud ? » Ça y est. Augustin se livre à la maladie du désespoir et il faut presque le consoler, lui tapoter la main, en un mot, faire son métier de prochain. « Je n’étais pour moi qu’un lieu stérile où je ne pouvais rester mais que je ne pouvais pas quitter. » Maintenant, il vous parle avec découragement de son métier de prof, comme s’il travaillait dans une ZEP aux gymnases calcinés. Mais le pyromane, c’est lui. Il a enseigné la rhétorique à des adolescents de Carthage, de Rome ou de Milan. Il parle de son art avec le dernier mépris, comme un publicitaire honteux du néant où il consume son intelligence. Profession : marchand de mots. « J’ai vendu du bavardage de vainqueur, moi-même vaincu par l’envie. Je leur apprenais les ruses à utiliser pour sauver une tête coupable. »

Hosanna pour Frédéric Boyer, qui, dans sa vivace et admirable traduction, s’est donné pour mission de « faire violence à un texte que des siècles de réception avaient patiné d’une suave honorabilité ». Oublions la vaine coquetterie qui consiste à changer le titre Les Confessions en Les Aveux. Cette petite liposuccion n’a pour but que de signifier, comme une banderole sur la devanture d’une boutique de Babylone : « changement de traducteur ». Pour traduire du latin le récit de cette conversion au christianisme d’« un intellectuel nord-africain de l’Empire romain », Boyer prend des libertés. « Saint Augustin, ce n’est pas Maurice Druon », confie-t-il au Nouvel Observateur.Mais s’il escamote la ponctuation, casse le texte en fragments, emploie çà et là quelques mots pas catholiques, il a le talent de demeurer toujours infidèle avec foi. Nulle démagogie de cancre officiel. Il ne s’agit pas de mettre une casquette de base-ball à Augustin, champion du monde des rhéteurs auprès de qui ses épigones, de Heidegger à Blanchot, sembleraient de petits-maîtres cruciverbistes. Que de trouvailles dans cet exercice de littérature qui nous donne à sucer l’impasteurisable lait du saint. Quoi de plus nourricier que d’entendre cette créature s’adresser à son créateur par ces mots faussement frustes, véritablement augustes : « Ta solidité, c’est du solide » ?


Fabrice Pliskin, Le Nouvel Observateur, 10 janvier 2008


Une traduction incisive des Confessions de Saint Augustin


En optant pour un langage très contemporain, l’écrivain Frédéric Boyer donne un nouveau souffle aux « Confessions » de l’évêque philosophe, pages brûlantes et tourmentées, considérées comme le texte fondateur de la littérature autobiographique.


« Traduire, c’est écrire » : la phrase de Marguerite Yourcenar, Frédéric Boyer la reprend très simplement, très spontanément à son compte. Ce grand jeune homme de 47 ans, on le connaissait écrivain, auteur depuis 1991 d’une œuvre littéraire et poétique désormais importante (à signaler notamment, en 1993, Des choses idiotes et douces, prix du Livre Inter). Cet hiver, c’est en tant que traducteur qu’il est présent dans l’actualité éditoriale, avec Les Aveux, une nouvelle traduction des Confessions de saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone. C’est ainsi, et c’est pour Frédéric Boyer tout naturel. La traduction, il s’y est d’ailleurs essayé déjà, se colletant naguère avec un vaste chantier : il fut, il y a six ans, le maître d’œuvre d’une nouvelle traduction de la Bible en français, qui réunissait les efforts conjoints d’une cinquantaine d’écrivains et d’exégètes – parmi les premiers, Jean Échenoz, Olivier Cadiot, Florence Delay, Jacques Roubaud…1. « Après avoir travaillé pendant sept ans à cette traduction biblique, quand tout a été terminé, nous nous sommes tous sentis un peu orphelins. De mon côté, pour pallier ce vide, je me suis mis à traduire Les Confessions. Comme ça, dans mon coin, juste pour moi. Je m’y suis consacré tous les jours, pendant quatre ans. » Peu à peu, les choses ont ainsi pris forme, et une fois l’intégralité du texte augustinien traduite, c’est tout naturellement vers l’éditeur fidèle de ses textes littéraires, Paul Otchakovsky-Laurens et les éditions P.O.L, que Frédéric Boyer s’est tourné pour publier ces Aveux, plutôt que vers un éditeur spécialisé dans les textes anciens.

Pourquoi Augustin ? Pourquoi Les Confessions ? Certainement par amour du latin, de l’Italie. Sans doute aussi en vertu d’une émotion d’adolescence. Le premier contact de Frédéric Boyer avec le texte de l’évêque d’Afrique du Nord, c’est alors qu’il était lycéen qu’il eut lieu : « Je me souviens avoir été emballé par le ton de cette voix, sa violence, son emportement. » Écrit à la première personne et considéré comme le texte fondateur de la littérature autobiographique, le livre dans lequel Augustin raconte sa vie, son enfance, sa jeunesse emplie de « débauches », finalement sa conversion chrétienne, est un récit tout sauf lisse et édifiant. Un texte stylistiquement complexe, nourri notamment de Virgile et des Psaumes. Une confession brûlante et tourmentée, et même « un livre de combat », dit Frédéric Boyer : « Pour un Latin de l’époque, dire “je” et s’adresser délibérément aux autres, avouer haut et fort ses fautes passées, proclamer sa foi, c’est un peu un coup de folie. À peine un demi-siècle auparavant, dans le monde latin, les chrétiens étaient persécutés. »

Les Confessions ont fait l’objet, depuis leur rédaction, il y a seize siècles, de plusieurs traductions en langue française. S’attelant à celle-ci, Frédéric Boyer a voulu « recevoir cette œuvre dans la langue contemporaine, le français d’aujourd’hui », faire en sorte qu’au lecteur du XXIe siècle le livre d’Augustin semble neuf, incisif, pleinement contemporain – « comme si ces très vieux textes avaient été écrits la veille, la nuit même, par nos propres enfants », écrit-il en préface. Cela, au mépris des critiques qui risquaient notamment de se focaliser sur le titre qu’il a choisi de donner au livre : Les Aveux, et non plus Les Confessions. Ce changement de titre peut ressembler à une provocation, mais ce n’en est pas une, plutôt « une proposition », estime Frédéric Boyer : « Quand on traduit, on traduit tout. Alors pourquoi pas le titre ? Je n’ai certes pas la prétention de débaptiser l’œuvre. Il me semble simplement qu’aujourd’hui le mot “aveu” a davantage de force que celui de “confession” ». Dans ce mot “aveu”, il y a à la fois la reconnaissance publique de la faute commise et la louange de Dieu, les sens que recouvrait, pour Augustin, le mot latin confessio. » Le bel accueil public du livre, paru le mois dernier, semble donner raison à son nouveau traducteur. Traduire, c’est écrire, et c’est aussi transmettre.

1. Ed. Bayard, 2001.


Nathalie Crom, Télérama, 30 janvier 2008



Fort en thèmes et en version


Portrait de Frédéric Boyer, un écrivain contemporain soucieux de rendre leur éclat aux textes anciens. Il vient de passer cinq ans à traduire les Confessions.

Sept ans après avoir dirigé une nouvelle traduction de la Bible1 que nous avions brocardée, Frédéric Boyer publie, sous le titre Les Aveux, une version des Confessions de saint Augustin que nous ne moquerons pas. Il y a quelque chose d’incandescent, dans la prose de l’évêque d’Hippone telle que l’écrivain nous la donne à lire en français. « Ni la beauté d’un corps ni le charme d’un temps ni l’éclat de la lumière, amie de mon regard, ni les douces mélodies des cantilènes sur un mode ou un autre, ni le parfum des fleurs, des essences et des aromates, ni la manne ou le miel, ni les membres enlacés dans les étreintes physiques, ce n’est pas ce que j’aime quand j’aime mon Dieu. »


Un long corps à corps


Ainsi retrouve-t-on, sous la poussière des siècles, l’accent primitif, sauvage et beau d’un intellectuel nord-africain de l’Empire romain qui s’est fait connaître sous le nom d’Aurelius Augustinus, a vécu à Carthage, Rome et Milan, a reçu le baptême à trente-trois ans, est devenu prêtre et évêque dans un diocèse de l’actuelle Algérie, est mort en 430 et a laissé derrière lui une œuvre immense.


Romancier, essayiste, poète, familier des éditions P.O.L, couronné par le prix du livre Inter en 1993, Frédéric Boyer a mis cinq années à traduire les treize livres du chef-d’œuvre de saint Augustin. Ce fut un long corps à corps avec une langue latine qu’il n’a jamais vraiment quittée depuis sa sortie de l’École normale supérieure de Saint-Cloud. « Contrairement à un certain nombre de mes pairs, qui affichent volontiers leur prédilection pour le grec ancien, j’aime beaucoup le latin et le monde romain. J’aurais pu traduire L’Énéide ou Les Métamorphoses. Le latin est une langue importante, qu’on enseigne mal. Je le préfère au grec, où je suis assez moyen. Comme saint Augustin ! » C’est dans le livre I que le fils de sainte Monique fait cet aveu : « Pourquoi ai-je tant détesté les cours de grec dont je fus abreuvé dès ma petite enfance ? » Plus loin, il se repend d’avoir pleuré au récit de la mort de Didon que fait Virgile et confesse avec honte avoir préféré les fictions à la réalité. « Ce n’était que fumée et vent. »


Des anecdotes croustillantes


Par là, s’esquisse une critique de la représentation qu’on retrouvera chez Pascal et même chez Guy Debord, nous semble-t-il. La nouvelle traduction que propose Frédéric Boyer donne à sentir cette réelle présence des Confessions dans notre conscience et notre culture.


C’est une œuvre que tout le monde connaît, mais que personne n’a lue, ou presque ce qui caractérise un classique selon Ernest Hemingway. Mais vient l’heure de lire saint Augustin comme si son livre venait de nous arriver et que l’encre n’avait pas séché. Vient l’heure de retrouver les anecdotes croustillantes des livres II et III : le vol de poires, la dissipation de la seizième année, le flirt dans les églises, la « poêle des amours scandaleux » à Carthage, le célèbre épisode du jardin de Milan rapporté au livre VIII, la voix angélique qui commande tolle, lege, « attrape et lis », la terrible majesté du livre X, les interrogations sur le temps du livre XI.


En intitulant sa traduction nouvelle Les Aveux, Frédéric Boyer retrouve la force brute et première du mot confessio. Le chef-d’œuvre de saint Augustin n’est pas un misérable petit tas de secrets lâchés dans l’ombre d’un confessionnal. C’est une confessio fidei, une profession de foi, et une confessio laudis, une louange faite à Dieu. « L’idée est moins de déconfessionnaliser l’œuvre d’Augustin que de faire violence aux traditions de sa réception, explique le traducteur dans sa préface. D’extraire l’œuvre de son “langage”. L’expression “avouer Dieu” prend alors une force inédite, à mon sens susceptible de faire écho aujourd’hui à l’étonnante nouveauté de l’écriture de cette œuvre. » Ce mot « aveu » a de multiples énergies de sens qui épousent toutes l’esprit de l’œuvre de saint Augustin.


Dans La Volonté de savoir, Michel Foucault insiste d’ailleurs sur sa profondeur et sa dynamique : « De l’aveu garantie du statut, d’identité et de valeur accordée à quelqu’un par un autre, on est passé à l’aveu reconnaissance par quelqu’un de ses propres actions ou pensées. » De haut en bas et de bas en haut, l’aveu crée une relation réciproque entre la Créature qui dit « je » et son Créateur, à la fois intime et invisible. C’est une expérience du vertige que les traductions poudreuses du latin d’Augustin ne nous permettaient plus de partager. La voici restituée dans sa splendeur originelle.


Sébastien Lapaque, Le Figaro, 7 février 2008


1. La Bible, nouvelle traduction sous la direction de Frédéric Boyer, Jean-Pierre Prévost et Marc Sevin, Bayard, 512 p., 19 euros.


Saint Augustin rendu à son audace


On a oublié combien le texte des « Confessions , rebaptisé ici « Les Aveux », était neuf à l’époque où il fut écrit. Ce génial traducteur qu’est Frédéric Boyer le fait sentir à chaque ligne.


Heureux lecteur, toi qui vas découvrir cette nouvelle traduction des Confessions de saint Augustin, rebaptisées pour l’occasion Les Aveux ! Heureux, toi qui ne les as jamais lues, et qui vas les découvrir d’un œil aussi neuf que leurs lecteurs de l’époque, estomaqués de tant d’audaces littéraires ! Mais plus heureux encore, toi qui les as déjà lues, sans doute dans les traductions appliquées de tel latiniste érudit, et qui vas les relire comme tu ne les as jamais lues ! Car tu te diras alors que tu ne les as jamais lues, ces Confessions, jamais lus, ces Aveux d’une âme qui s’adresse à Dieu pour mieux s’interpeller elle-même, faisant fi des convenances langagières et ignorant tout du biographiquement correct, délivrant son tumulte de pensées vautrées dans la fange pour davantage en appeler au Seigneur immense.

On a oublié combien le texte de saint Augustin (354-430) était neuf à l’époque où il fut écrit, mais ce génial traducteur qu’est Frédéric Boyer nous le fait sentir à chaque ligne. Mille exemples pourraient l’illustrer, en voici un. Le jeune Augustin vient de perdre son ami d’adolescence, son inséparable ami, connu dans sa ville natale de Thagaste, dans l’Algérie actuelle. La mort vient de frapper, et voici ce qu’en dit une traduction désormais obsolète (celle de Garnier-Flammarion) : « La douleur que j’en ressentis enténébra mon cœur. Tout ce que je voyais n’était que mort. La patrie m’était un supplice, la maison paternelle un lieu d’étrange infortune. Tout ce que j’avais mis en commun avec lui, sans lui se changeait en un cruel tourment. Mes yeux le demandaient partout, et il leur était refusé. » Et voici le texte ressuscité de ses poussières par Frédéric Boyer : « Cette douleur a noirci mon cœur. Dans tous mes regards, il y avait la mort. La patrie était mon supplice et la maison paternelle un étrange malheur. Tout ce que j’avais eu en commun avec lui se retournait sans lui en torture monstrueuse. Mes yeux le réclamaient partout et on ne me le donnait pas. »

Ou encore, ce passage éclatant de la nouvelle traduction, où Augustin, au Livre X, s’adressant à Dieu, s’exprime sur la finalité de ses aveux, auxquels il veut donner une valeur exemplaire, prenant ses frères chrétiens à témoin : « Le bénéfice de mes aveux, ce n’est pas ce que j’ai été mais ce que je suis. Je fais non seulement mes aveux devant toi, avec une secrète exultation mêlée de tremblement, avec un secret chagrin mêlé d’espérance, mais également aux oreilles de l’humanité croyante, complice de ma joie, partageant notre communauté mortelle, mes concitoyens, mes compagnons de voyage, avant moi ou après moi, les compagnons de ma vie. Tes esclaves, mes frères. » Paroles fulgurantes que d’anciennes traductions émoussent sous des circonlocutions habiles, mais académiques.

On aimerait citer encore et encore, tant ce texte s’impose dans son évidente clarté, comme neuf, jailli de la spontanéité créatrice de son auteur, qui n’était alors qu’Augustin d’Hippone : la mort de sa mère, ses réflexions célébrissimes sur le temps et la mémoire, sa conversion bien sûr, les récits de son passé débauché, son commentaire de la Genèse au Livre XII…

Comme l’indiquait avec justesse Paul Ricœur, le dernier en date des grands lecteurs interprètes de saint Augustin, ce qui est inaugural chez ce dernier, ce n’est pas tant le genre littéraire de la confession faite à la première personne que le fait même de partir en quête de son intériorité. Il le dit à propos du lien qu’Augustin établit entre le temps, la mémoire et l’identité personnelle : chez Augustin, dit-il avec profondeur, pas de mémoire hors d’une quête douloureuse d’intériorité. On pourrait aussi ajouter qu’en inaugurant « la tradition du regard intérieur » Augustin a simultanément inventé une nouvelle exigence qui va structurer le récit autobiographique comme le beau structure l’esthétique : la sincérité, ou la véracité, cette exigence d’être adéquat à soi-même, exigence bien différente du fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate.

Saint Augustin, on le sait, est une source inépuisable de réflexion philosophique, de méditation existentielle, de questionnement religieux. C’est pourquoi il faut être infiniment reconnaissant à Frédéric Boyer de nous restituer son texte dans la force vivante qui l’a fait surgir bien avant que son auteur ne fût Saint, Père ou Docteur – toutes choses qu’il devint et qui, jusqu’à aujourd’hui, l’avaient comme momifié.


Mark Hunyadi, Le Temps, 16 février 2008