Madame Himself est un livre double où se posent abruptement deux questions. Un amour enfantin pour les amazones et le désir d'écrire une autre Penthésilée peuvent-ils entrainer un cancer du sein ? Les livres soulèvent-ils des fantômes incontrôlables qui mènent une vie autonome et dont le corps des lecteurs deviendrait un habitacle ?
En cinq tableaux précédés dun éclairage Madame Himself pose (entre théâtre et poème tragicomique) la vieille question de lassignation des corps et de leur enfermement.
Tout en vérifiant que le goût de la crème fouettée nest pas éternel, lauteur se...
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Madame Himself est un livre double où se posent abruptement deux questions. Un amour enfantin pour les amazones et le désir d'écrire une autre Penthésilée peuvent-ils entrainer un cancer du sein ? Les livres soulèvent-ils des fantômes incontrôlables qui mènent une vie autonome et dont le corps des lecteurs deviendrait un habitacle ?
En cinq tableaux précédés dun éclairage Madame Himself pose (entre théâtre et poème tragicomique) la vieille question de lassignation des corps et de leur enfermement.
Tout en vérifiant que le goût de la crème fouettée nest pas éternel, lauteur se demande si un amour féroce pour les amazones peut avoir un rapport avec un double cancer du sein
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Monter en amazone
Avec « Madame Himself », Liliane Giraudon se confronte au monstre de la maladie en une « épreuve/exorcisme » où se réinventent en elle des corps-fantômes salvateurs
Depuis plus de trente ans Liliane Giraudon, indifféremment en prose et en vers, ou en images, affronte avec la joie dun enfant tapageur les têtes ravagées (selon le titre éponyme de son premier livre paru en 1978) de notre époque, comme celles qui hantent les fresques mentales de notre for-intérieur. Son nouvel ouvrage, Madame Himself, en est presque, après quarante livres publiés, la synthèse en pointe acérée, la agudeza qui déchire le corps pantin du matador, en laquelle Leiris voyait, par analogie, le véritable enjeu de lécriture. Cette corne, Liliane Giraudon la prend à bras le corps pour en faire le livre dune passe mortelle, autant que celle de son livre des passages. Cest par le chas de cinq aiguilles (et en cinq tableaux) quelle tire de soi et à soi une issue nécessaire à la dépossession de ce corps rongé par deux fois par le crabe du cancer du sein. De « Objection » à « Lusage des intertitres » se déploie le trajet dune « poésie descriptive, cest-à-dire locale », sous laquelle, peut-on comprendre, il sagit de parcourir létat violent dun dérèglement vital, dy faire face et de le fracasser comme on déchirerait une camisole de force : avec dautres mots, quelque peu énigmatiques, Liliane Giraudon écrit « La mâchoire pourrie de Freud après celle fracassée de Robespierre ». Madame Himself est en cela un livre de rage, au sens michaunien du terme, un livre des combats dont le préambule (« On va trouver des mots pour ça ») expose le retour des spectres et autres fantomatiques existences. Si la maladie est frontalement nommée comme une attaque de la femme libre et sauvage, figure de lamazone, à laquelle Liliane Giraudon sidentifia très vite dès son enfance. Ce sont les livres où elles apparaîssent (dans lIliade notamment) qui, a posteriori, la sauvèrent dun enfermement tôt vécu. Sil fut dabord celui des règles de linstitution religieuse où elle grandit (auxquelles elle oppose la horde des amazones imaginaires), cest bien après quelle découvre combien lassignation du corps à son genre en est un autre, symptôme dun encore autre grand renfermenent. La question que touche ici Liliane Giraudon est politique ; elle en passe par Michel Foucault, reliant à sa façon lautorité générique du genre aux modes de contrôle quopère une société sur lindividu sexué. Il nest pas anodin que le titre du livre renvoie au lui-même et que la toute dernière page nomme ce « Féminin versus Masculin./Lui dans elle. » Lévocation des amazones, taiseuses, atypiques et a-topiques, « guerrières, vivant de rapines », « figurantes dune confusion sauvage », construit dans Madame Himself la ligne de fuite dune dépossession de soi et de son corps genderifié, autant par le sexe que par le patriarcat, par la maladie autant que par la pharmacie. De ce double tremplin, Liliane Giraudon se jette, dessinant dans ce saut périlleux, le pharmakon (poison et remède) de son himself. De « Pierrette dAvignon », quelle empreinte à Gertrude Stein, aux antérieures et fantomatiques « femmes fortes en sein », « aux seins robustes » et libres, aux noms « Caucase et Asie » scintillant « comme des gousses dail » salvatrices, Liliane Giraudon avance ses phrases coupées comme autant de lancés de javelots : elle sait ce quelle perd et ce qui la gagne en cette équipée sauvage. Nhésitant pas à nommer que ce « corps nest plus un allié, il est devenu un obstacle, et cest à partir de lui que javance dans mon vocabulaire, désensablant avec lenteur une variété de scènes et dactions jusque là inaccessibles ». Des tissus verts entourent son corps sous la lumière blafarde du bloc, des séances lacidifient, une « virgule persiste. Elle sépare les sujets réel des verbes impersonnels ». Dans cette croche quelque chose de la vie se retourne et monte ; et dans la masse suffoquée où la corne est entrée, une « espèce de poème dénoué flottant » tire ses cartes de hasard et de destin. Cest-à-dire son issue.
Emmanuel Laugier, Le Matricule de anges, septembre 2013