— Paul Otchakovsky-Laurens

Chaosmos

Christophe Carpentier

Chaosmos se compose de trois parties reliées entre elles par deux « Intermèdes du temps qui passe » qui, fonctionnant tels des couloirs du temps, déposent en douceur le lecteur dans chaque changement d’époque.
La première partie s’intitule L’Onde, et se déroule de juin 2020 à octobre 2022.
La seconde partie s’intitule L’Ode, et se déroule en mars 2043.
La troisième partie s’intitule L’Ordre, et se déroule en mai 2052.
Chaosmos est donc une vaste épopée romanesque dont la trame narrative s’étend sur plus de trente ans. Parce qu’il se passe dans un temps...

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La presse

Les lendemains qui saignent

En plaçant son quatrième roman sous l’invocation de ce mot-valise créé par Joyce dans Finnegans Wake, de cette collision verbale entre ordre et désordre, Christophe Carpentier plante le décor : il s’agit ici de chanter sur le mode épique un monde qui n’est plus qu’une arène planétaire, le champ clos d’un impitoyable combat entre puissances antagonistes, un ring où l’homme, investi, envoûté, pèse autant qu’un « étourneau dans un réacteur » (Michaux).

Cette vision tragique de l’histoire humaine, le romancier, peintre et plasticien, né en 1968, nous y a habitués avec ses trois premiers romans. Vie et mort de la cellule Trudaine (Denoël, 2008) narrait l’épopée messianique d’un étudiant américain parti purger de sa vanité mortifère une humanité plongée dans le « chaos global ». Le héros du Parti de la jeunesse (Denoël, 2010), « cobaye des idéologies contemporaines », se voyait, lui, malmené par les différentes croyances dont il s’entichait. Dans Le Culte de la collision (POL, 2013), Tanguy Rouvet, 18 ans, psychopathe traumatisé par la mysticité délirante de sa mère, prenait la route, faisant bien malgré lui de sa vie une « dérade » perverse et un road-movie criminel. Avec Chaosmos, Christophe Carpentier durcit la ligne et élargit le cadre. Gardant le goût des destins singuliers, c’est néanmoins à la planète entière qu’il s’attaque avec cette dystopie homérique en trois chants : « L’onde », « L’ode »,   L’ordre ».

Colère cathartique

La scène est la Terre entre 2020 et 2052. Fondateur de l’ITVU (Institut de vigilance des tensions urbaines), dont le réseau mondial sert de vigie aux pouvoirs politiques, le psychologue Ned Peterson assiste, en compagnie de son disciple Geoffrey Hampton, à l’irruption graduée puis à la lente conquête de la société humaine par ce que le blogueur visionnaire islandais Thordisarson nomme le « Chaosmos » ou « Onde chaotique » : à la fois « déferlement de colère cathartique » et libération instantanée des pulsions violentes. Plusieurs crimes narrés à la première personne, celui de ses parents par un jeune Japonais, de passagers du métro par un simple usager, incarnent la mutation d’une Terre « où la vie prend des allures de nouveau western mondialisé » : l’Onde de mort, submergeant les consciences et noyautant le mental, amène l’homme à « servir de combustible au gigantesque four crématoire qu’est devenu la planète ». La « joie fondamentale » qui, seule, pourrait parer l’épidémie d’homicides, reste pure rêverie.

Ignorant la distance analytique qui marque la première partie du roman, le deuxième temps nous plonge dans la narration brute du chaos. L’heure est aux gangs, aux maraudeurs sanguinaires. Place aux Heartbreakers, qui se voient offrir une tête tranchée comme cadeau de bienvenue ; aux frères Cromwell, « Cooks of Hell » (« cuisiniers de l’enfer »), promoteur sur Ultrachaos TV du « snuff movie culinaire » ; aux Berlin Dolls, agentes du VIT (virus de l’impudeur transgenre), et à la « Captain’s Bone Family », chez qui les peignées communautaires évacuent la violence à rythme soutenu. Tribus dont les gestes atroces nous sont narrées par la voix de leur biographe attitré, chantre officiel qui officie magnétophone à l’épaule. Temps du Chaosmos-roi, mais également temps du récit, car le chaos crée sa propre mythologie et suscite ses icônes légendaires. « L’ordre », troisième partie du roman, nous introduit au sein de la « Brigade des francs-tireurs humanistes », dont les « zones franches » font figure de poches, non de paix mais de droit, au sein du monde « chaocosmique ».

Fresque post-apocalyptique tanguant entre Mad Max et La Route, Chaosmos, en variant les styles, de l’écriture analytique à la confession, en multipliant les points de vue, scientifique ou documentaire, impose un implacable crescendo narratif et le sentiment aigu d’un monde baigné par « le côté obscur de la lumière divine » : « Alors que le pire gagne. »

François Angelier, Le Monde, 2 janvier 2014

Vidéolecture


Christophe Carpentier, Chaosmos, Christophe Carpentier 20 décembre 2013