— Paul Otchakovsky-Laurens

Ethan Frome #formatpoche

Roman traduit de l’américain par Julie Wolkenstein

Edith Wharton

Les montagnes du Massachusetts à la fin du xixe siècle. Ethan Frome est un jeune homme pauvre qui aime les livres et rêve de voyages. Il a hérité d’une ferme et d’une scierie qui ne rapportent rien, épousé une vieille cousine hypocondriaque. Et, sans comprendre ce qui lui arrive, il tombe amoureux pour la première fois. En trois jours, sa vie va basculer. Même la mort ne voudra pas des héros de cette tragédie rurale, chef d’œuvre atypique d’Edith Wharton.

 

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La presse

La passion d’Edith Wharton


Elle s’était juré de ne plus rien traduire, pourtant l’écrivaine Julie Wolkenstein a succombé au roman culte d’Edith Wharton, « Ethan Frome ». Et nous aussi.


En lisant Ethan Frome, inoubliable roman d’Edith Wharton, on se souvient de l’hypothèse de Donna Tartt, l’auteure de Chardonneret, selon laquelle les grands romans américains, Huckeleberry Finn, Gatsby, L’Attrape-cœurs, ont tous pour point commun de s’attacher aux errances et aux chagrins de jeunes garçons. En matière d’âme transpercée, Ethan Frome est indépassable. Ce livre, c’est du désespoir à l’état brut, auquel Julie Wolkenstein redonne vie dans une nouvelle traduction débarrassée de ses archaïsmes, fluide, sobre, simple comme un cœur pur. Ce sont les mots de la romancière de L’Heure anglaise et d’Adèle et moi qu’on découvre, mais c’est bien la langue d’Edith Wharton qu’on entend. « J’essaie au maximum de respecter la syntaxe originelle, de conserver autant que possible l’ordre des mots. Ce qui compte avant tout, c’est de rendre honneur au style de Wharton. »


Pourtant, Julie Wolkenstein s’était promis que, après Gatsby, elle ne traduirait plus. « Le roman de Fitzgerald appelait ce côté "jamais plus", je pensais que je n’éprouverais plus de coup de foudre littéraire aussi fort. » C’était sans compter le charme noir d’Ethan Frome et de son héros si discret. Ce court roman écrit par Wharton en 1913, culte pour une poignée de fidèles, parmi lesquels figure Emmanuel Carrère, est une pierre à part dans son œuvre. On est loin de Chez les heureux du monde et des salons de New York, plongé au cœur de paysages muets et glacés chez des taiseux d’un village du fin fond de la Nouvelle-Angleterre.


Envoyé en mission dans une centrale électrique, le narrateur doit user de toute sa finesse pour convaincre quelques langues de lui conter le destin d’Ethan Frome, ce boiteux qu’on dirait déjà mort et jeté en enfer. « Ils étaient, en vérité, ces personnages, mes affleurements de granit : mais seulement à demi déterrés, et à peine plus éloquents », écrit Edith Wharton dans son introduction.D’une chute à l’autre, voilà Julie Wolkenstein clouée au lit, l’hiver dernier, par une jambe cassée, sans roman en cours sous le coude, et d’humeur maussade. « Ça m’allait très bien de m’attaquer à la traduction du roman le plus noir que j’aie jamais lu. En commençant, j’avais oublié qu’Ethan était handicapé du côté droit, comme moi, c’était trop beau. Je me suis laissé happer par le texte que j’ai traduit d’une traite, portée par son intensité dramatique. Contrairement à Gatsby, bourré de métaphores bizarres et difficilement transposables, Ethan Frome est un texte écrit dans une langue très sobre. En revanche, la construction est passionnante, il y a entourloupe ! Comment le narrateur en vient-il à avoir une version aussi précise de l’histoire ? Peut-être, tout cela n’est-il qu’une invention ? »


« Ethan avait l’impression que son cœur était ligoté, qu’une main invisible resserrait la corde à chaque seconde  » Jamais, on n’a si bien décrit la fatalité en roue libre, le lent suicide d’un homme garrotté par une épouse aigrie, indifférente à tout sauf à ses problèmes… Il est curieux de céder à un roman oppressant et claustrophobe avec tant de reconnaissance.


Olivia de Lamberterie, Elle, 28 février 2014



« Julie Wolkenstein. La voix d’Edith Wharton »


La romancière traduit de l’américain « Ethan Frome » (1911), un grand roman d’Edith Wharton.


Il fait froid. Les paysages glacés et venteux sculptent les caractères et les destinées. Les phrases elles-mêmes tentent de se tenir chaud, en se serrant les unes contre les autres, car rien, ici, ne court bras tendus vers une vie sans offrande. Le sobre et âpre roman d’Edith Wharton (1862-1937), merveilleusement bien traduit de l’américain par la romancière Julie Wolkenstein, raconte une lutte à ciel ouvert entre passions et prisons. Comment écarter les barreaux des conventions pour laisser libre cours à ses pulsions de vie ? Le personnage principal, Ethan Frome, donne son titre au roman. L’histoire se déroule dans une localité imaginaire de la Nouvelle-Angleterre. Les gens sont mutiques et pudiques. Ils travaillent dur. Les sourdes rafales arasent les ébauches de plaintes. Le cœur du drame s’est déroulé, vingt-cinq ans auparavant, à Starkfield, dans le Massachusetts. Les habitants s’en souviennent avec force et en parlent avec réticence. Car évoquer la vie des autres, c’est se contenter de distiller non pas des vérités mais des versions. Les différentes temporalités et narrations s’entremêlent afin de tisser une histoire. Le narrateur séjourne à Starkfield pour des raisons professionnelles. Il croise la longue silhouette brisée d’un homme se rendant à la poste. Il apprend qu’il se nomme Ethan Frome et qu’il est âgé de 52 ans. Un habitant lui parle d’une « collision » survenue, alors qu’Ethan Frome était un jeune gars de 28 ans. Le narrateur est intrigué. Les deux hommes entrent en contact. Le destin tragique d’Ethan Frome, raconté aussi par des bribes extérieures, commence ainsi à se dessiner peu à peu. Tout s’est déroulé dans un temps aujourd’hui lointain. L’homme taciturne habite alors une ferme, isolée et désolée, avec son épouse souffreteuse. Ils sont mariés depuis sept ans. La scierie ne rapporte pas d’argent. Ils sont pauvres. Ethan Frome a-t-il jamais aimé sa femme ? Zeena Frome est malheureuse, disgracieuse, soupçonneuse. Elle souffre d’hypocondrie. Elle fait venir à la ferme, pour la soulager, une jeune cousine. La jolie Mattie Silver est son contraire en tout. Elle respire la joie de vivre. Une passion silencieuse se noue entre Ethan Frome et Mattie Silver sous le regard accusateur de Zeena Frome. Pouvait-il en être autrement ?


Des sentiments inconnus


La romancière Edith Wharton retrouve ses thèmes principaux, dans un court roman tenant pourtant une place à part dans son œuvre. L’influence de l’environnement social, la lutte entre les devoirs et déraison, le poids du regard extérieur. Ethan Frome est une œuvre bouleversante car tout y est faussement limpide. On brise les couches de glace et on touche des fonds insoupçonnés. L’épouse Zeena Frome est-elle aussi horrible qu’on la décrit ? Elle ne livre, à aucun moment, sa version des faits. La cousine Mattie Silver est-elle cette jeune femme aimable et entraînante ? Elle changerait sans doute de caractère, si elle menait la vie misérable de Zeena Frome. Le silencieux Ethan Frome aime-t-il réellement Mattie Silver ? Elle est surtout la première possibilité de bonheur dans un destin, sans aucune fenêtre. Les différents personnages éprouvent des sentiments inconnus qui les submergent comme des vagues immenses. Ils sont condamnés à la culpabilité, quelques que soient leurs choix. Et le narrateur, par qui nous arrive cette histoire recomposée entre autres à partir de témoignages, est-il un conteur fiable ? On ne sait rien de lui.


L’essayiste Frédérique Leicher-Flack a montré, dans Le Laboratoire des cas de conscience (Alma, 2012), la force sans cesse renouvelée des classiques. L’auteur de Chez les heureux du monde et du Temps de l’innocence aborde, dans Ethan Frome, les problématiques du suicide à deux, de l’indépendance des femmes, de la fin de vie. Une existence diminuée, affectivement et physiquement, vaut-elle la peine d’être vécue ? L’auteur d’Adèle et moi (P.O.L, 2013) restitue parfaitement le style sans affèterie d’Edith Wharton. Tout est roide et raide. Les mauvais présages se dissimulent avec peine, comme des débris d’un plat à pickles de verre rouge. Les vents soufflent et les existences étouffent. Ethan Frome est un grand livre parce qu’il balaie de superflu. Nous ne sommes plus confrontés, durant sa lecture, aux catégories humaines de bonheur et de malheur – car sinon pourquoi se plonger dans une œuvre aussi désespérée ? – mais dépassés par la force de beauté. On ne sait pas comment c’est fabriqué.Les personnages abyssaux, le style saisi dans la glace, la construction complexe. Les dernières pages sont inoubliables. Les interprétations peuvent être multiples, selon que l’on croit ou non aux capacités de changement des êtres. On pense, tout du long, à Un cœur simple, de Flaubert. Il existe chez les deux écrivains la même façon de s’emparer d’une existence humble et pauvre comme d’un diamant noir miraculeux. De douloureuses vies sans vie, légères comme une poignée de flocons, susceptibles de tenir dans le creux de la main. On les raconte et, à un moment ou à un autre, on souffle : les années passent et puis… Et puis, quoi ?


Julie Wolkenstein : Comment j’ai découvert Ethan Frome


« Il y a des livres qu’on lit très loin de leur contexte. Ethan Frome était l’un des rares Wharton que je ne connaissais pas. Il y a trois ans, je l’ai emporté, dans une vieille édition française, à Brasília. Des fermes du Massachussets ensevelies sous la neige aux bâtiments de Niemeyer plantés dans le désert, il y avait un monde.Mais l’hiver dernier, lorsque je l’ai redécouvert en anglais et me suis lancée dans sa traduction, ce sont malheureusement les coïncidences qui se sont multipliées : je l’ai commencée avec une jambe dans le plâtre ; estropiée, comme son héros, du côté droit ; lorsque je l’ai finie, une amie chère s’est tuée dans une avalanche, et les tombes du Père-Lachaise affleuraient à peine la neige, comme celle des Frome. De quoi renforcer ma hantise que la réalité n’imite pas la fiction. »


Marie-Laure Delorme, Le Journal du dimanche, 9 mars 2014

Vidéolecture


Edith Wharton, Ethan Frome #formatpoche, Julie Wolkenstein: traduire Ethan Frome février 2014

Son

Edith Wharton, Ethan Frome #formatpoche , Julie Wolkenstein invitée d'Alain Finkielkraut Répliques France Culture avec Frédéric Vitoux