Après Western et la road story de Journée américaine (et après un détour au Japon), Christine Montalbetti revient aux paysages américains. Cette fois, ce sont ceux de la côte Ouest. La petite ville de Cannon beach, au bord de l’océan. Déserte, hors saison. Un Français échoue au Waves Motel, et il n’y a bien que ça, les vagues, à s’encadrer dans la baie vitrée de sa chambre. Le spectacle de cette colère immémoriale de l’océan. Une colère qui semble avoir contaminé Colter, Shannon et Harry Dean, qu’il retrouve tous les soirs au bar de Moses.
Colter et Shannon portent en eux des histoires de fugues et d’abandon. Un père qui vous révèle qu’il n’est pas le vôtre et qui vous chasse, un fils qui fugue, une femme qui vous quitte, une autre dont on se sépare. Des histoires marquées aussi par la crise économique, les traites qu’on ne peut plus payer, un frère qui décide de s’engager dans l’armée. Et Moses aussi a son histoire, une histoire d’oncle et de volcan.
Dans la ferme où habite Harry Dean, débarque un locataire, Perry, qui sillonne la région avec les deux tomes de l’expédition de Lewis et Clark, une mission scientifique d’exploration du territoire, au tout début du XIXe siècle : et les fantômes de ces hommes qui attendent sous les pluies de pouvoir gagner l’océan tout proche hantent le roman.
On croit qu’on se fait sa place, à Cannon Beach, et à force d’entendre les histoires des uns et des autres, on se sent lié à eux. Mais une menace trouble continue de flotter, qui se précise avec l’arrivée de Mc Cain. Puisqu’il y a Mc Cain, un genre de seigneur local que tout le monde craint et qui ne voit pas trop d’un bon œil la présence de ce Français.
Ce roman nous parle de fugue et d’exil, de forêts et de vent, d’océan acharné sous les grands ciels d’Amérique ; et de la façon dont chaque soir, au Retour d’Ulysse, le bar de Moses, chacun essaie de recomposer sa vie.
Mais la menace que l’on sent peser à tout moment va-t-elle se concrétiser ?
Pour la première fois, Christine Montalbetti s’essaie au suspense. Et l’on découvre que sa phrase mélodieuse, ses rythmes lents, ses évocations aux détails qui s’enchaînent et s’emboîtent merveilleusement, se prêtent magnifiquement à l’exercice de l’angoisse.
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Vagues à l’âme
Avec Plus rien que les vagues et le vent, Christine Montalbetti nous mène en Amérique, au bord du Pacifique, au fil d’un roman habité.
A l’Ouest, du nouveau en cette rentrée littéraire : le dernier Christine Montalbetti, aimanté par les Etats-Unis, par cette bordure extrême de l’Occident qu’ourle le Pacifique. Un body of water comme on dit en anglais, brutal comme une divinité archaïque, insufflant la respiration de ses flux et de ses reflux ravageurs à tout le livre. Christine Montalbetti conçoit le roman comme un exercice d’océanographie. Houle d’un récit tout en rouleaux successifs et alternés : un français échoué sur la côte ouest consigne (ou bien rêve) les histoires de déroute ordinaire que lui content les piliers du bar d’une petite ville. Fils perdus, couples en quenouille, familles éparpillées par le ressac du destin : polyphonie d’infortunes qui se font étrangement écho les unes aux autres, se fondent dans les réminiscences épiques d’hier (l’expédition de Lewis et Clark) et d’avant-hier (Ulysse), comme les vagues, toutes distinctes, toutes identiques. Ces mêmes vagues qui semblent emporter la langue, avec ces parenthèses (voire ces doubles parenthèses) gonflant au cœur de la phrase avant de se retirer, avec cette amplitude qui imprime au textele rythme d’un vaste mouvement ondulatoire, dans lequel le lecteur se love, comme un surfeur ou une créature marine. Car l’océan est père ou mère de toute vie, bouillon de culture primordial dont tout est issu. De cette origine liquide, indifférenciée, le texte se souvient, orchestrant un flux permanent d’images et de rapprochements entre les hommes et le paysage, confondant sciemment géologie et psychologie, anthropomorphise la nature, naturalise personnages et sentiments. Le mont Saint Helens, de triste mémoire éruptive, devient un « mont coupable », les habitués du bar sont à la fois « ce sable fragile que l’océan bat sans relâche (…), et l’eau tumultueuse capable de porter à son tour le tourment ». « Plus rien que les vagues et le vent », dit le titre, mais ce rien-là charrie tout, hommes, bêtes, montagnes, eaux, passé, présent, épaves de vies et de récits – tout un océan romanesque en somme.
Damien Aubel, Transfuge, septembre 2014
Jeux de plage
Du nouveau roman de Christine Montalbetti, on pourrait dire que c’est du vent. Non pour l’esbroufe, mais parce qu’un souffle le traverse, lequel semble balayer les chapitres dans un mouvement qui laisse étourdi, sonné, et dont la puissance ne se mesure qu’au soir de la marche, le livre refermé. Le titre est en soi un aveu de l’auteur, le résultat d’une concentration accrue sur les paysages, manifeste depuis L’Évaporation de l’oncle (2011) : il n’y a là « plus rien que les vagues et le vent », plus rien d’autre d’essentiel. Comme si l’œuvre, en montgolfière, s’était progressivement délestée de ses personnages pour s’épanouir dans les hauteurs atmosphériques, la mer en toile de fond. « Désert, le paysage de la plage, séculaire, indéfini, est rendu à lui-même : l’image brute, géologique, d’un lieu naturel, soumis à une temporalité bien plus lente et confortable que celle, crispée, rapide, minuscule, d’une vie humaine, même ici, sur les côtes de l’Oregon, à Cannon Beach. Les gars du coin se retrouvent pour boire des bières. Le narrateur les écoute et raconte à son tour, à travers « des bouts de puzzle qu’on s’appliquerait plus tard à recomposer, morceau après morceau, jusqu’à former une image qui resterait sans doute incomplète ». On ne saura pas grand-chose de lui, sinon qu’il est français, donc étranger. Au même titre que Love Hotel (2013) était un roman japonais, Plus rien que les vagues et le vent est un roman américain – on s’appelle Colet, Harry Dean, Shannon ou McCain et on dort au Blueberry Inn. Mais Plus rien que les vagues et le vent reste un roman français qui s’affirme comme tel. À travers sa langue d’abord, enroulée dans de longues phrases mélodieuses, loin de la sécheresse d’une certaine tradition américaine. À travers l’histoire, ensuite, celle qui motive prétendument la narration et se trouve sans cesse repoussée par une digression, loin de la droite ligne semée de rebondissements à laquelle, lecteurs, le cadre nous a plus volontiers habitués. Détournant nos attentes, se jouant de nos frustrations, Montalbetti prend le temps d’être cafard ou goéland, lance des pistes qui se perdent, se concentre sur une partie de ping-pong plutôt que de faire avancer son intrigue. Mais il y a que l’intrigue n’est pas celle qu’on croit ; le vrai mystère est tout autour, dans la nature elle-même. « On aurait dit que toute cette nature ne voulait pas qu’on la traverse. Qu’elle inventait des stratégies pour se soumettre aux pas des hommes. » La forêt est « hostile et comme animé[e] », de même que « tout ça, c’est de la faute de l’océan », la faute de « ce paysage entêtant dans lequel ils vivaient, et auquel ils avaient fini par ressembler ». Un fils découvre que son père n’est pas le sien, une femme quitte son mari sans mot dire, un frère s’engage en Irak ; les rouleaux s’écrasent contre la grève, une baleine s’échoue sur la plage et un volcan entre en éruption.
Thomas Stélandre Le Magazine Littéraire, octobre 2014
Christine Montalbetti : l’Amérique comme fiction
Après deux romans japonais, Christine Montalbetti retourne aux États-Unis, explorant des crises individuelles et collectives, dans un roman inclassable, vertigineux, génie du lieu et hymne à la puissance de la fiction : Plus rien que les vagues et le vent.
Depuis son tout premier roman, Sa fable achevée, Simon sort dans la bruine (2001), Christine Montalbetti compose, au sens le plus musical du terme, avec les lieux : le Japon de L’Évaporation de l’oncle, de Love Hotel, et de L’Expérience de la campagne mais aussi les grands espaces américains, ceux de Western, de Journée américaine, ou de son dernier roman, Plus rien que les vagues et le vent. Un Français à l’identité incertaine a trouvé refuge dans un coin d’Amérique battu par l’océan, Cannon Beach, « ce genre de bout du monde où, quand on rouvre les yeux sur la baie vitrée, c’est le spectacle muet des vagues sous le ciel sans limites, avec seulement l’idée du Japon en face de soi ». Dans ce lieu extrême, les volcans peuvent tuer, la catastrophe advenir à tout moment, la géologie se confond avec la psychologie, les personnages semblent émaner des forces telluriques, ils sont malmenés par leurs destins comme le sable est fouetté par les vagues, « ce sable fragile que l’océan bat sans relâche », « capable de porter à son tour le tourment ». « Chaque fois que je relève les yeux vers l’océan et que je pense à toutes ces histoires que j’ai entendues chez Moses, je ne peux pas m’empêcher de trouver un lien inexplicable entre le spectacle inutile et violent des rouleaux qui viennent s’écraser contre la grève et l’acharnement du sort à briser méthodiquement les éclats de bonheur auxquels Colter et les autres étaient parvenus. » Ce Français sans nom et sans emploi semble aux prises avec un récit impossible : l’homme fouille le « magma boueux, brûlant et trouble » de son histoire, promet des révélations, digresse, revient, délivre des « bribes d’intuition de la suite », ses sens aux aguets face à l’océan déchaîné (« dans tout cela, ce qu’il faut, par-dessus tout, c’est que vous entendiez l’océan »). Le roman de Christine Montalbetti est tout entier dans cette atmosphère tendue, en suspens, le danger est imminent et la menace incertaine ; le lecteur est pris par une voix qui le domine et le balade au gré des vagues et du vent, le guide et pourtant le perd. Le récit sera un va-et-vient constant, entre départ et retour, « je crois qu’on a fait le tour ». Dès les premières pages, tout repère est perdu : « la nuit annule la possibilité du paysage », la route défile, les phares trouent l’obscurité mais où ce chemin nous conduit-il ? Plus rien que les vagues et le vent refuse le roman californien, soleil, surfeurs et combinaisons de néoprène moulantes mais aussi le western. Lorsque le narrateur entre dans le bar de Moses, ce « local sombre où flottait cette odeur de moût et d’embruns qui allait devenir l’odeur de mes soirées ici », il y a bien « trois dos juchés sur les tabourets devant le zinc » qui « me rappelaient quelque chose », mais aucun des codes du western ne pourra aider le narrateur ou le lecteur à y voir immédiatement plus clair. Même chose avec Tom et Wendy : « Tom avait mis du roman dans la vie de Wendy, il avait ouvert des perspectives, laissé naître des hypothèses, introduit des attentes. Mais le roman avec Tom avait été bref, et c’était dans un autre genre de roman finalement que Wendy s’était trouvée, un genre de roman social, où les bluettes volent en éclats. » Si le roman commence comme une road story, c’est un autre chemin qu’il prend pour mieux nous échapper, nous malmener, avec une ironie douce-amère, des interpellations constantes, un humour ravageur. Et il nous faudra bien des récits pour comprendre qui sont Colter, Shannon et Harry Dean et l’influence terrible qu’ils ont eue sur la vie du narrateur.
Christine Marcandier, Médiapart, Septembre 2014
L’océan emporte tout
De retour des Etats-Unis, où était née l’envie d’une nouvelle fiction " américaine " qui trouverait son énergie dans les mouvements de l’océan, Christine Montalbetti a vu dans Le Monde du 24 avril 2012 une photo illustrant un article sur la crise des subprimes. Face à de petits pavillons, on voyait un tas d’objets abandonnés, sur lequel trônait une panthère en peluche. " J’ai eu envie d’inventer la vie de la famille qui avait habité dans cette maison, et était partie en laissant la peluche des enfants. Ça m’a donné le personnage de Colter dans ce qui allait devenir "Plus rien que les vagues et le vent."
Inventer des mondes et des vies, sauver du désastre et de l’oubli des expériences singulières dans lesquelles chacun peut néanmoins retrouver une part de ce qu’il a vécu ici ou ailleurs, trouver dans l’art du récit un plaisir qui panse les plaies et console des chagrins, tels pourraient être les ressorts du romanesque auquel Christine Montalbetti s’abandonne plus librement que dans ses livres précédents, où la dimension ludique de l’écriture était souvent plus perceptible que l’épaisseur fictionnelle. D’une plume sensible et presque charnelle, Plus rien que les vagues et le vent fait de l’océan un personnage, dont la violence et la colère irriguent les habitants de Cannon Beach. Il " continue son travail de sape, délitant le sable, l’avalant, avant de se retirer pour reprendre son souffle et revenir plus gros encore, plus vif, plus implacable, frapper la côte sans réfléchir à la raison pour laquelle il le fait ".
Florence Bouchy, Le Monde des Livres, décembre 2014