— Paul Otchakovsky-Laurens

Ici commence la nuit

Prix Sade 2014

Alain Guiraudie

Gilles nourrit un drôle de désir pour Maurice, un vieil homme de quatre-ving-dix-huit ans. Il ne sait pas trop quelle est la nature de ce désir. C’est peut-être de l’amour, tout simplement. Quant à Mariette, la fille de Maurice, elle ne voit pas ça d’un très bon œil. Et le chef de brigade du coin ne rigole pas non plus avec ce genre d’affaire.
Si Gilles s’amuse bien dans un petit jeu fétichiste et léger, on va le lui faire payer très cher et pour lui, impossible de se sortir de cette histoire.


 

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Traductions

Italie : Clichy Edizioni | Lettonie : Mansards Publishing | Russie : Kolonna | USA (Droits mondiaux) : Semiotexte

La presse

Alain Guiraudie nous emmène du côté de l’irreprésentable.


Le cinéaste de L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie, publie son premier roman, Ici commence la nuit. Un triangle amoureux qui mêle gérontophilie, excréments et occitan.

Sang, sexe et sperme. Cette sadienne trinité, le réalisateur Alain Guiraudie l’a faite sienne. Si elle affleure dans ses films, en particulier dans le superbe Inconnu du lac, thriller homoérotique auréolé de la Queer Palm à Cannes en 2013, elle éclate littéralement dans son premier roman. Ici commence la nuit est un trouble triangle amoureux. Gilles, la quarantaine, éprouve un désir inexpliqué pour Pépé, 98 ans. Il aime voler ses slips et se masturber dedans. Alertés par Mariette, la fille de Pépé, les gendarmes viennent fourrer leur nez dans cette histoire de slips kangourou chapardés. Le brigadier-chef, Louis, s’éprend de Gilles après l’avoir torturé avec sa matraque. Personnage inquiétant, Louis rappelle Michel, le serial-killer moustachu de L’Inconnu du lac. On retrouve d’ailleurs dans le livre des éléments du film : l’amant noyé, les bosquets où se retrouvent les homosexuels pour baiser, et surtout l’affrontement entre deux conceptions de l’amour : doux et platonique entre Gilles et Pépé ; physique et passionnel entre Gilles et le chef.

Une liberté totale

Mais Ici commence la nuit, écrit avant le film, va beaucoup plus loin dans la noirceur. La littérature semble avoir permis au cinéaste d’explorer à fond son univers fantasmatique. Ce qu’Alain Guiraudie confirme pendant l’interview par Skype. Sur l’écran, il apparaît en débardeur, un petit ventilateur à ses côtés. Il fait chaud à Albi, ville où le quinqua aveyronnais s’est “exilé”. “C’est toujours très impudique de dire d’où viennent les idées d’un film ou d’un livre, dit-t-il. On navigue dans le fantasme. Un roman ou un film, c’est une façon de réinventer la réalité, de parler du monde, des gens, de soi, en densifiant les enjeux de la vie de tous les jours, en la rendant plus tragique, plus tendue et complexe.” Alain Guiraudie a commencé à écrire à l’âge de 20 ans, “par défaut”, dit-il, parce qu’il avait envie de raconter des histoires mais n’avait pas les moyens de faire des films. Aujourd’hui, l’écriture romanesque lui offre un espace où il jouit d’une liberté totale. Celle, par exemple, de mettre en scène la relation entre Gilles et Cynthia, une jeune fille de 14 ans, ce qu’il n’avait pas pu faire dans un de ses précédents films, Le Roi de l’évasion, qui évoque aussi une histoire entre un adulte et une ado et pour lequel il avait été contraint de choisir une actrice plus âgée. Ici commence la nuit bascule nettement du côté de l’irreprésentable, avec des scènes très hard. L’histoire est racontée par la voix de Gilles, dans une langue familière qui mêle les considérations les plus triviales et la dissection angoissée des sentiments. Parfois le flux de pensée est ponctué par des dialogues en occitan entre Gilles et Pépé. “C’est un truc d’aspect gérontophile, explique l’auteur. L’occitan traduit toute une nostalgie pour le vieux monde, celui de mon père et de mes aïeux. C’est la langue de la paysannerie et j’y suis attaché. C’est aussi celle des troubadours et de l’amour.”


Cru, sexuel et scatologique


Au rang de ses influences littéraires, il cite Céline, Proust et Dostoïevski. Cru, sexuel et scatologique, son roman évoque davantage Sade et Bataille. “Leurs livres ont été de vraies révélations, reconnaît Alain Guiraudie. J’ai souvent eu un côté Bisounours, refusant d’aller voir du côté du mal. Chez Sade et Bataille, il y a au contraire une très grande liberté dans la façon d’appréhender le mal, d’affronter tout ce qui peut nous dégoûter, ce qui est sale, nos fantasmes inavoués. C’est un peu ce que j’ai voulu me coltiner en écrivant ce roman.” Ancien militant communiste, il reconnaît être sensible à la dimension politique de l’œuvre de Sade, que l’on retrouve dans des allusions à la crise, aux marées noires, à l’état délabré du monde. “Une touche un peu fin de siècle qui ajoute à la noirceur du propos, commente-t-il. Est-ce qu’on en a encore quelque chose à foutre que l’espèce humaine continue à exister, que la planète continue à exister ? J’ai parfois l’impression que non et qu’on va droit dans le mur tout en faisant la bringue.”Ici commence la nuit, par sa face sombre et le suspense qui le parcourt, pourrait entrer dans la catégorie thriller, mais Alain Guiraudie, pourtant admirateur de Bret Easton Ellis, réfute cette étiquette : “Le thriller est un genre avec une mécanique bien huilée et je n’ai pas pensé mon livre comme tel. J’avais envie d’être poétique avec du trivial et du caca, d’aborder la dialectique des grands sentiments et des excréments, et de faire triompher l’amour.” Son côté Bisounours.

Les Inrockuptibles, Mardi 7 Octobre 2014




Le pépé et le pédé


Un peu de San Antonio et d’Orwell dans une histoire d’amour signée Guiraudie.

Ce vieux rêve qui bouge, le Roi de l’évasion, l’Inconnu du lac. Depuis pas mal de temps, on savait qu’Alain Guiraudie était un formidable cinéaste. On ne savait pas encore qu’il était un bon écrivain.Ici commence la nuit est son premier livre. Qui n’est pas du tout comme un scénario passé à la gonflette mais un vrai roman. Ce qui n’empêche pas Guiraudie d’emprunter pour l’écrit bien des procédés du cinéma.Au début, la situation est floue : un homme en vacances, un bled du sud-ouest un jour de cagnard, des CD à rendre à la médiathèque, un anniversaire à ne pas oublier, des amis à visiter. Mais très vite le flou devient trouble, bien que les personnages se dessinent. Du côté des amis : Mariette, femme célibataire d’un certain âge, son vieux père Maurice, dit Pépé, et sa jeune fille, Cindy. Du côté du visiteur glandeur, Gilles, la quarantaine passée, plutôt bien de sa personne, et plutôt beaucoup pédé.


Matraque. Que se passe-t-il quand la promesse d’un merveilleux et chiantissime vendredi de juillet dérape en coup de chaud suite à un vol de slip sur une corde à linge où il séchait gentiment ? Car Gilles n’a pas résisté à s’y donner du plaisir et Pépé, témoin du «crime», se pose des questions : «Tu te branlais dans mon slip, à deux pas de moi, mais tu pensais pas à moi ?» Total, les gendarmes enquêtent, surtout le chef, «une sorte de psychopathe avec une tête de bon français». Très vite (page 32), ça merde sévère et ça n’est pas du tout une métaphore lorsque le chef use et abuse de sa matraque sur la personne arrière de Gilles.«Le foutage de gueule va-t-il durer longtemps», se dit-on, pas sûr d’avoir bien compris ce qu’on vient de lire. Oui, ça va durer (285 pages) et c’est de mieux en mieux, Guiraudie ayant le talent un peu zinzin d’épaissir ses personnages, de les rendre tous singuliers, complexes. Bref, sympathiques et vivants, même le chef. Gilles, narrateur, parlant des gens, du monde, confie :«Je sais qu’au fond de moi, c’est par eux que je vis.» Confession d’un personnage, credo d’un écrivain. Qui, S/M en diable, sait fouetter le suspens tout en le ménageant. Ceux qui ont vu l’Inconnu du lac y retrouveront quelques intrigues carabinées mais le roman plus que le film dérive vers un récit fantasque et fantastique où on finit par se foutre du réalisme pour ne retenir que son ombre, et dans l’ombre, bien des fantômes, dont celui de la liberté totale, infrangible, inégociable. Faites passer qu’Ici commence la nuit est surtout une histoire d’amour fada entre un homme encore jeune et un presque centenaire.


Intello .


Il y a du San Antonio dans Guiraudie, mais du San Antonio qui aurait lu Orwell. Un intello populaire, un populaire intello, comme on voudra, mais c’est plutôt à prendre qu’à laisser. Ainsi quand Gilles rêve d’une scène d’amour avec la jeune Cindy : «Je ne bande pas, je sens juste sa salive et ses dents, comme si ma queue était plongée dans un bocal d’eau avec un poisson qui la mordillerait.» Mais aussi, à la volée, cette déclaration, presque un manifeste, où l’on reconnaît le meilleur de Guiraudie : «J’arrive pas à comprendre ce qui fait que les civilités, le respect de l’autre, la négociation en cas de conflit… J’arrive pas à comprendre ce qui fait que tout ça, ça tient encore. Et puis je sens qu’il va bien falloir qu’un jour ou l’autre, on se défende contre toutes ces grosses fortunes qui continuent à se bâtir en créant du désert, de la mort, de la famine autour d’elles… Sinon, ils nous tueront jusqu’au dernier. Donc, la guerre, c’est pour bientôt.» Ici commence la nuit est un polar politique.


Gérard Lefort, Libération



Le slip volé, ou les sentiments délicats


Si son auteur avait voulu le ranger au rayon des polars picaresques, il aurait pu appeler ce curieux objet littéraire « L’Affaire du slip de Pépé ». Mais le faux premier roman du cinéaste Alain Guiraudie – faux parce qu’il est le premier publié de ce quinquagénaire qui, avant de tourner des films, écrivait des livres, restés dans ses ¬tiroirs – échappe à tous les genres. A moins qu’il n’en invente un, le « nouveau ciné-roman ». Car Ici commence la nuit augmente l’intrigue du film L’Inconnu du lac (2012), devenue presque secondaire, en y ajoutant un hors-champ fulgurant, écrit à la première personne.Dans le sud-ouest de la France, Gilles Heurtebise, un commercial déclassé, qui vote Mélenchon, vit des vacances immobiles, faute d’argent. C’est l’été 2010, la crise est là, dure, et « l’arrogance des ¬riches » la rend plus douloureuse. Gilles partage ses journées entre les livres – il aime les romans occitans – et les bords du lac, pour nager et draguer. Ses nuits, très agitées, le conduisent dans la maison de Pépé, un octogénaire auquel le lie « une idylle amoureuse sans sexe ». Sans sexe mais pas sans conséquence, puisqu’elle va sceller les destins de deux hommes.


Ici commence la nuit s’ouvre et se ferme sur des pages cauchemardesques, entre rire et effroi. Tout commence donc avec le vol du slip kangourou de Pépé sur une corde à linge. Gilles, le coupable, qui peut dire de lui-même : « Je suis un bon Français, j’ai une très mauvaise image de la police », sera proprement torturé par « le chef », un gendarme ¬digne des bourreaux des Cent Vingt Journées de Sodome. A Sade, Guiraudie emprunte d’ail¬leurs le mystère d’une écriture qui parvient à détailler des scènes pourtant irréelles, dont les images d’horreur jaillissent sans répit (le livre vient du reste de remporter le prix Sade). Mais la scato¬logie de Guiraudie, car c’est bien de cela qu’il s’agit, est un joyeux « pipi caca » qui tire plutôt du côté de l’enfance (l’autre extrémité de la vie de Pépé). Guiraudie rejoint en cela ses contemporains radicaux, Guillaume Dustan hier, ou le Christophe Honoré romancier de La Douceur (L’Olivier, 1999). La revue Littérature, histoire, théorie se demandait, en 2006, « Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement) » : Alain Guiraudie répond, seulement pour lui-même, en truffant son livre non pas de citations mais de souvenirs cinématographiques. Même le nom de celui qui dit « je » vient du grand écran : ce Gilles qui vit la nuit a la gravité d’Alain Cuny dans Les Visiteurs du soir, et Heurtebise est le nom de François Périer dans l’Orphée de Cocteau.


ROMAN DES EXTRÊMES


Mais l’écriture l’emporte toujours sur les images, fussent-elles animées. Celle de Guiraudie, du moins, a cette puissance. Aux ¬ellipses de son Inconnu du lac, il oppose le contrechamp d’un recensement détaillé des pensées et des désirs de ses personnages qui donne, après coup, les clés d’un film plein de mystères. Finalement, il n’est question que de l’amour ici, ou plutôt de son impossibilité. « C’est toujours pareil. J’ai toujours besoin d’un troisième et je me demande quand est-ce que tout ça finira », avoue le double de l’auteur, qui aime trop fort, trop vite et trop souvent. Profondément morale, sa quête d’une « liberté sensuelle » ouvrant « la promesse d’un bonheur infini » est d’autant plus illusoire qu’elle se double d’un désarroi spirituel très contemporain : « Ça fait un moment que je regrette de ne plus être chrétien tellement je me sens bien dans les églises. » Roman des extrêmes, Ici commence la nuit est surtout le récit d’une passion platonique pétrie de tendresse. Elle s’incarne dans le beau personnage de Pépé, ce vieux radical qui aime sans savoir pourquoi. C’est cette passion qui fait scandale : ici, la grande délicatesse des sentiments, leur fragilité s’abreuvent à l’onde fraîche de vies ordinaires. Parce qu’elles tiennent à la fois du roman régionaliste, policier, politique, érotique et fantastique, les pages d’Alain Guiraudie ont les couleurs chaudes et la dureté froide des poteries de terres -mêlées.


Thomas Doustaly Le Monde Des Livres 23 Octobre 2014

Agenda

19 jui 19h
Alain Guiraudie à la Maison de la Poésie (Paris)

Maison de la Poésie

Passage Molière

157 rue Saint-Martin

75003 Paris

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