À peine arrivés dans une pension de famille villageoise, le narrateur Witold et son compagnon Fuchs tombent sur un oiseau mort qui pend au bout d’un fil. Ce n’est que le début d’une série « d’indices » que les deux compagnons vont chercher à décrypter. Cosmos, ce magnifique pseudo-roman policier, de Witold Gombrowicz, qui se décrit là comme un « déchiffreur de nature morte », sert de prétexte à ce livre, Amusements de mécanique, qui tourne autour, et plus précisément autour de ce tableau qui se peint, se compose et se décompose au fur et à mesure du récit, non pas un tableau de...
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À peine arrivés dans une pension de famille villageoise, le narrateur Witold et son compagnon Fuchs tombent sur un oiseau mort qui pend au bout d’un fil. Ce n’est que le début d’une série « d’indices » que les deux compagnons vont chercher à décrypter. Cosmos, ce magnifique pseudo-roman policier, de Witold Gombrowicz, qui se décrit là comme un « déchiffreur de nature morte », sert de prétexte à ce livre, Amusements de mécanique, qui tourne autour, et plus précisément autour de ce tableau qui se peint, se compose et se décompose au fur et à mesure du récit, non pas un tableau de chasse, mais plutôt une fresque ou un théâtre traversé et saturé de signes qui se combinent indéfiniment entre eux, discontinus et paradoxaux, la même tâche sans fin à laquelle les deux détectives en herbe se confrontent, un réseau mouvant aux multiples connexions qu’ils parcourent en tous sens, furieusement et de façon obsessionnelle. Il s’agit bel et bien d’une enquête paranoïaque, une tentative vaine de débrouiller ce soi-disant monde extérieur, un véritable rébus, et « d’organiser le chaos ». C’est l’impossible récit de ce qui fait et défait la « réalité », l’impossible récit d’un secret qui le restera, l’intrigue n’étant qu’un prétexte.
Mais c’est avant tout une enquête pour l’œil, avec toutes les questions que cela pose : que voit-on et comment ? D’où voit-on et de quel point de vue ? Ne voit-on que ce que l’on regarde, etc. ? Aucun regard ni interprétation définitifs, pas de monde hors de l’observateur, le paysage et tout ce qu’il contient est contingent, soumis à de multiples métamorphoses. De livre en livre, c’est sans doute la même préoccupation pour Suzanne Doppelt, la même idée fixe qui revient sous des angles variés. Une fois de plus, il faut tirer les leçons des anamorphoses, selon le lieu où je me tiens et regarde, je ne verrai pas la même chose, une astuce technique peut changer la donne de fond en comble. Ce livre est un peu le 3e volet d’un triptyque : dans Lazy Suzie, P.O.L, 2009, il était question des tableaux à secret que sont ces anamorphoses, dans La plus grande aberration, P.O.L, 2012, d’un tableau pour une part impénétrable.
Même si elle est parfois fatigante, la mécanique du corps et de l’œil qui le contient et inversement peut être un sacré amusement.
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Boîte à malice
C’est une partie de cache-cache, un jeu de piste, « qu’on peut suivre tel le somnambule, l’oeil magnétique mi-clos, entre la flânerie et l’errance ». Le prétexte ? Un roman pseudo-policier de l’écrivain polonais Witold Gombrowicz, Cosmos (1965), dans lequel deux détectives amateurs tentent « d’ordonner un chaos ». A son tour, Suzanne Doppelt, photographe et poète, compose un inventaire passionné, un rébus à déchiffrer. Le moineau, le chat, le bout de bois, le scarabée : « Un beau mélange où se trouve la vraie vie, un songe que l’on fait quelquefois les yeux grands ouverts. » Que voit-on du monde lorsqu’on change de point de vue ? Par exemple, à l’envers, dans un miroir ? Ou, en miniature, dans une bulle de savon ? Rythmant l’« enquête », de petits cadrages photographiques font de ce poème unique un fascinant « tableau à secret », une délicieuse « boîte à malice et à double fond ».
Monique Petillon, Le Monde, décembre 2014
Le sens du brouillard
Le brouillard nous empêche de bien voir, il nous fait voir qu’on ne voit pas, il nous égare et en cela nous renvoie à nous-même, à la frontière entre le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, voire la vie et la mort, il est le lieu du passage et de la métamorphose. Il peut dissiper le dieu au regard des humains, il se répand sur les yeux de celui qui meurt, semblable au chagrin qui envahit un regard parfois, au voile qui ternit son éclat. Mais il envahit tout de la douceur et nous trouble.
Perdu dans le brouillard on ne sent nulle part, on peut aimer ne pas s’y retrouver et d’ailleurs s’y laissent voir des éclats qui lui échappent et s’y transforment. Il s’ajoute au réel, échappe à toute prise et nous embrouille, quant à nos désirs mêmes. Il est un voile jeté sur la vérité et n’attend que d’être déchiré. [...]
Suzanne Doppelt développe de livre en livre un art du sfumato très envoûtant. Avec Amusements de mécanique, elle nous propose un drôle de vertige pas si drôle, lent glissement du regard en surface d’un texte apte à saisir la permanente métamorphose de toutes choses, l’infini mouvement de la matière, les déformations des nuages, tout ce qui apparaît toujours et toujours disparaît. Le panorama est mouvant, et la machine tourne, qui conduit le lecteur à tout voir et rien, comme dans un brouillard qui lui révélerait, à mesure de sa progression, chaque détail du monde pour aussitôt le dissoudre.
Citant Cosmos de Witold Gombrowicz, et la tentative qu’y font ces personnages hallucinés de démêler un sens à l’énigmatique prolifération du réel, ce poème policier témoigne peut-être de ce que pourrait voir un regard qui serait sans regard, où rien ne se fixerait jamais, où tout apparaîtrait , jusqu’au plus infime, où à force de voir on deviendrait soi-même semblable à une image, image fantôme, fantôme soi-même, fantôme de soi-même : un mort vivant les yeux vides, la bouche cousue et sans expression mais qui va à pas comptés d’un point à l’autre, une expérience muette et sans lendemain. Les images de Suzanne Doppelt sont des récits muets, ses textes font des images et en cela ne disent rien. La magique mécanique de ses amusement est absurde comme la vie, elle est triste et joyeuse. [...]
Xavier Person, Le Matricule des Anges, janvier 2015