Que voit-il, cet enfant, sur la photo accrochée au-dessus du lit ? Et pourquoi le conduit-on, à l’âge de huit ans, dans une chambre inconnue pour le mettre devant cette image sidérante ?
S’il veut aujourd’hui retrouver cette scène si longtemps occultée, doit-il la rejouer pas à pas, mot à mot, image par image ? Et pouvoir alors espérer en comprendre le sens, en mesurer la portée.
Il faut être tranchant, parfois brutal. Le narrateur constate que quelque chose ici ne peut pas être « écrit », mais plutôt « photographié ». Il avance par blocs dans l’obscurité de son passé : une...
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Que voit-il, cet enfant, sur la photo accrochée au-dessus du lit ? Et pourquoi le conduit-on, à l’âge de huit ans, dans une chambre inconnue pour le mettre devant cette image sidérante ?
S’il veut aujourd’hui retrouver cette scène si longtemps occultée, doit-il la rejouer pas à pas, mot à mot, image par image ? Et pouvoir alors espérer en comprendre le sens, en mesurer la portée.
Il faut être tranchant, parfois brutal. Le narrateur constate que quelque chose ici ne peut pas être « écrit », mais plutôt « photographié ». Il avance par blocs dans l’obscurité de son passé : une image, du noir, une image, un battement de paupière : fixer les étapes de ce trajet sans retour avant d’oublier à nouveau. Il s’avance en ligne droite, progressant dans le couloir qui conduit à la chambre où se trouve la photo, au rythme d’un travelling qu’on appellerait hitchcockien, avec son vertige et ses accélérations qui préparent la violence du choc retrouvé.
Il revoit le décor et les personnages qui entourent cette apparition : la chambre d’enfant d’où sa mère le fait sortir pour traverser Paris en bus, le déjeuner chez son amant où elle l’emmène, le huis clos électrique entre eux trois devant la photographie accrochée au-dessus de son lit.
C’est toute son enfance qui ressurgit dans la vitesse de ce seul épisode. Non seulement son enfance, mais toute sa vie depuis qui se dessine en creux dans les replis de cette scène primitive.
De ce jour-là, il emportera une image où le plaisir est à jamais lié à la peur. Et beaucoup de questions sur la folie et la mort qui traversent nos vies. Mais s’il y revient aujourd’hui, c’est qu’il peut désormais voir autrement ce qui irriguait tous ces gestes. Et s’il devait mettre un nom dessus, il dirait : une histoire d’amour qui sans cesse recommence.
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Arrêt sur l’image
Avec ce court livre, écrit d’une traite, Bertrand Schefer se confronte à son passé : une sidérante image, vue alors qu’il avait 8 ans.
Le plus douloureux n’est peut-être pas ce qu’on ne nous a pas dit. Ce qu’on nous a caché. Ces secrets de famille, ces histoires sans paroles. Bien sûr, les mots tus, forment de lourds nuages prêts à éclater. Mais le silence, comme un vent d’altitude, les éloigne. Les pousse loin de nous. Non, le pire, c’est plutôt ce dont on ne se souvient pas Qui existe pourtant et qui fait en profond, comme une poche blanche, un abcès insidieux. On a même oublié qu’on avait oublié. Bertrand Schefer vient d’écrire un livre très court, un récit éprouvant, magnifique, écrit dans l’urgence d’une image revenue qu’il ne faut plus laisser à nouveau échapper. Qu’a-t-il donc vu enfant dans l’appartement du jeune amant de sa mère où elle l’avait traîné pour un improbable déjeuner ? ll n’avait pas bien vu ou pas bien regardé. Avec le souvenir étrangement ressurgi, voilà qu’il découvre après bien des années que son angoisse a vraiment un visage.
X.H., Libération (supplément next), 6 décembre 2014
La traversée du souvenir
Soudain, trente ans après, surgit le souvenir d’un jour précis...
Son précédent livre, Cérémonie (POL, 2012), était un texte elliptique et envoûtant sur la disparition d’un être cher jamais nommé.
Le court volume que propose cette fois Bertrand Schefer ressemble à une traversée du souvenir. À un voyage dans la mémoire. Vers l’époque où le narrateur était un gamin en colère de 7,8 ou 9 ans, qui labourait les murs de sa chambre jusqu’au sang.
Adulte, le narrateur en question sait qu’il ne peut ni mentir ni enjoliver pour raconter pareille histoire. Revoici que se matérialise un jour qu’il a oublié pendant plus de trente ans et qui remonte aujourd’hui seulement à la surface. Lin jour sans école, un mercredi ou un samedi. La première fois où il a pris le chemin du 12e arrondissement de Paris. En bus, avec sa mère.
Comme un adieu
Pour elle, il est un bouclier, un prétexte. Lin assistant, un témoin. Maman a 40 ans. Elle vient déjeuner chez un jeune homme de quinze ans son cadet, Vincent, qui travaille dans la librairie dont elle s’occupe. Le fils prendra de plein fouet le cliché de police terrifiant placé dans la chambre de l’amant de sa mère...
Bertrand Schefer prouve à nouveau qu’il a l’art de faire réapparaître les êtres et les moments. Le traducteur du Zibaldone de Giacomo Leopard! (Allia, 2003) impressionne durablement avec ce texte écrit comme un adieu. Cette « Photo au-dessus du lit » désormais imprimée à jamais dans les mémoires. La sienne comme celles de ses lecteurs.
Alexandre Fillon, Sud-Ouest, 2014