— Paul Otchakovsky-Laurens

La Permanence des rêves

Christophe Carpentier

Humphrey Winock est un américain de 54 ans, chercheur en dermatologie, qui intervient à l’université de Princeton dans le cadre d’un plan pédagogique antisecte financé par l’Unesco. Winock est en effet le co-fondateur d’une association internationale d’aide aux victimes du gourou Thomas Prudhomme.
Thomas Prudhomme est un gourou français de 29 ans, qui prône la théorie de la Vérité Cellulaire, théorie dont les principes apparaîtront au gré du récit. Après s’être fait amputer des jambes, des bras, s’être fait couper la langue, et crever les yeux et la cavité nasale dans une clinique privée de New Delhi, Thomas...

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La presse

De l’art de survivre


Un homme tronc autoproclamé œuvre d’art, un assassin fan de Houellebecq, une secte qui renoue avec la préhistoire… Christophe Carpentier flingue les illusions contemporaines dans un roman à la fois noir et rocambolesque.



Pauvre Michel Houellebecq. Dans La carte et le territoire, il mettait en scène son propre meurtre. Personnage romanesque à part entière, l’écrivain a déjà fait de nombreuses apparitions fictionnelles, dans ses livres mais aussi dans ceux des autres (Arkansas de Pierre Mérot, Vers chez les Blancs de Philippe Djian). Il figure à nouveau en guest-star dans La Permanence des rêves de Christophe Carpentier. Cette fois, il se trouve indirectement mêlé à un assassinat. Son plus grand fan, William Winock, un étudiant américain, poignarde le blogueur qui a révélé les emprunts faits à Wikipédia dans La Carte et le Territoire. Au-delà de ce caméo lunaire, Michel Houellebecq et son oeuvre constituent une évidente source d’inspiration pour Christophe Carpentier tant on retrouve dans son cinquième roman les thèmes qui irriguaient La Carte et le Territoire : l’art contemporain - milieu que l’auteur, également plasticien, connaît bien - les rapports père-fils, mais aussi la question de l’authenticité


Mais loin d’être dans la simple redite, Carpentier injecte ses propres obsessions, la violence froide qui habitait ses précédents livres, Le Culte de la collisions et Chaosmos, une approche nihiliste de l’existence et une étrange fascination pour le survivalisme. De ce télescopage émerge un roman protéiforme, tout en outrance et excès, à la fois horrifique et grotesque, qui donne à voir notre monde sous ses traits les plus monstrueux. En l’occurrence ceux de Thomas Prudhomme, un artiste qui exhibe son corps volontairement dans un hôtel particulier parisien et sur internet, « un homme amputé de ses deux bras, de ses deux jambes, un homme dont les yeux ont été crevés, un homme immobile duquel ne provient aucun son, si ce n’est une respiration calme et régulière, ainsi qu’un sourire figé ». Un personnage à mi-chemin entre le héros blessé de Johnny s’en va-t-en guerre de Donald Trumbo et la créature de Frankenstein, sanglé à la verticale sur une planche de kinésithérapeute comme le Christ sur la croix. Son martyre fait des émules et des centaines d’âmes égarées s’infligent à leur tour d’épouvantables sévices corporels.


Pour mettre fin à cette spirale, Humphrey Winock, le père du tueur fan de Houellebecq, a créé une association d’aide aux victimes de Prudhomme et donne des conférences à Princeton dans lesquelles il retrace le parcours de l’homme-tronc, qu’il assimile à un dangereux gourou. Avant d’employer des méthodes plus radicales qui l’entraîneront dans la taïga russe, au sein d’une étrange secte qui renoue avec les modes de vie préhistoriques. Tour à tour conceptuel (parfois avec de fâcheuses erreurs factuelles, comme la date de la catastrophe de Tchernobyl) et rocambolesque, La Permanence des Rêves démembre nos illusions, celles par lesquelles nous pensons pouvoir échapper à un réel toujours plus anxiogène, qu’il s’agisse du retour à la nature et à une vie jugée plus authentique prôné par Thoreau. Brautignan et même La petite maison dans la prairie (série très présente dans le livre), ou d’un refuge trompeur dans l’art et l’artifice. Avec Carpentier, point de salut.


Elisabeth Philippe, Les Inrockuptibles, 7 janvier 2015


Vidéolecture


Christophe Carpentier, La Permanence des rêves, La Permanence des rêves février 2015