— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Retour de Russie

Iegor Gran

Docteur Day est directeur d’hôpital psychiatrique. Sa spécialité : les fous qui se prennent pour des personnalités historiques. Il a guéri un Attila, il tente de soigner une Jeanne d’Arc, un de Gaulle, un Freud. On vient de lui confier un Napoléon. Bizarrerie supplémentaire, ce Napoléon est une jeune femme, ce qui ne s’est jamais vu dans les annales de la psychiatrie napoléonienne. Pauline B. est un Napoléon plus vrai que l’original – hautaine dans son attitude impériale, électrisante par son sens du commandement et lucide quant à ses erreurs historiques passées. Se méfiant des médicaments, n’hésitant pas à appliquer des...

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La presse

La campagne de Russie ? Une histoire de fous



Pour guérir une patiente qui se prend pour Napoléon, un médecin part avec elle sur les traces de l’Empereur. Hilarant.



Il y a du monde, et du beau, à l’hôpital psychiatrique du docteur Archibald Day : Pablo Picasso, Christophe Colomb, Sigmund Freud, le général de Gaulle ou encore Jeanne d’Arc font en effet partie des résidents de cet asile traitant du trouble de "dédoublement de la personnalité". On y trouve aussi, bien sûr, Napoléon Bonaparte - chaque établissement de ce type en compte forcément un. Celui-ci est une femme, prénommée Pauline, à qui il vaut mieux donner du "Sire".
Dans l’espoir de guérir sa patiente, le praticien décide d’accéder à sa demande : l’emmener en Russie sur les traces de la campagne impériale de 1812, qui vit la Grande Armée contrainte à la retraite, sous l’effet, notamment, du froid et de la faim...
Pour farfelu qu’il paraisse, ce point de départ n’est rien par rapport à ce qui attend le lecteur du Retour de Russie, le douzième roman de Iegor Gran. Fils de l’écrivain dissident soviétique Andreï Siniavski (1925-1997), il n’avait jusque-là situé aucun de ses livres dans son pays d’origine, où il est né en 1964. Tout comme celui de son aliénée à bicorne, ce retour vient puiser dans les limons de l’âme russe. Il explore aussi les tréfonds de la folie, au fil d’une fantaisie littéraire d’une drôlerie absolue, à la croisée de Candide, du Maître et Marguerite, de Boulgakov et... de la série américaine consacrée aux zombies The Walking Dead.
Rien, évidemment, ne se passe comme prévu dans ce voyage improbable à visée thérapeutique. A peine arrivés dans la région de Smolensk, le docteur et son cobaye se font dérober leur voiture par des faux policiers, qui leur laissent pour tout bagage leurs sacs de couchage. Bientôt perdus en forêt, ils voient alors s’extraire de l’obscurité des hommes en haillons sortis du passé. Hallucination collective ? Reconstitution historique ?
Rien de tout cela : Napoléon vient seulement de retrouver ses hommes, ses chers grognards, "ranimés" après deux siècles d’endormissement dans les "terres maudites" de Prusse où ils ont pu emmagasiner une "énergie diabolique" à même de les ressusciter. "Vive l’Empereur !", explosent-ils de joie, sur fond de fifre et de roulements de tambour. "Un ranimé est un vivant comme vous et moi, que l’on croit mort, mais qui ne l’est pas du tout", fait dire le romancier à son personnage principal, médecin de son état, rappelons-le, dont le rationalisme va bientôt voler en éclats.


Armée de morts-vivants


Passons vite, en effet, sur la suite des (rocambolesques) événements qui verront une autre armée de morts vivants se redresser - des Cosaques, cette fois - et la guerre se rejouer à l’identique, dans toute son horreur, les chevaux en moins (ils ont été mangés). Bien avant qu’une "paix des braves" ne renvoie tout le monde à ses pénates et à son jardin, le lecteur a compris l’essentiel : cette histoire ne répond qu’aux lois du fantastique et de la rêverie, chères à la grande tradition du conte russe que Iegor Gran s’amuse ici à revisiter.
Son narrateur, en cela, l’aide énormément. Difficile, en effet, de trouver personnage plus inculte des choses du passé que cet Archibald Day. Passe encore que celui-ci ne connaisse rien au Premier Empire ; il n’a pas plus entendu parler d’Ariane et de son fil, ni de la Vénus de Milo et de ses bras en moins. Son ignorance est une aubaine : elle l’immunise contre les folies destructrices que l’Histoire est capable d’engendrer, comme les campagnes napoléoniennes. Tel est aussi le propos de ce roman d’aventures réjouissant : nous rappeler que la démence est l’un des traits du monde les mieux partagés.



Frédéric Potet, Le Monde des livres, 4 mars 2016





Iegor Gran ne se prend pas pour Napoléon



Après les ONG et les Kévin, le romancier le plus caustique de l’Hexagone s’attaque à la retraite de Russie. La fantaisie au pouvoir...



Le lecteur soumis sans prévenir à un roman de Iegor Gran n’est pas à l’abri des symptômes suivants:rires réjouis, regards narquois et furieuse envie de tourner les pages. Car l’auteur se distingue au sein de la littérature hexagonale par un cocktail singulier d’humour et de sens du rebondissement. Le Retour de Russie, son dernier roman, ne fait pas exception à la règle. Son héros est un psychiatre spécialiste des fous qui se prennent pour une célébrité. L’une de ses patientes est convaincue qu’elle est Napoléon. "Le fait que je sois une femme à cent pour cent est un détail pour faire braire les imbéciles", assure-t-elle. Qu’à cela ne tienne: ce médecin aux méthodes progressistes entreprend de l’emmener jusque sur les berges de la Berezina pour lui prouver qu’elle se trompe. Mais, dans un roman de Gran, rien ne se passe jamais tout à fait comme prévu, et n’oublions pas que cet endroit est maudit pour tous les Napoléon du monde... L’écrivain ose le rocambolesque et le délirant avec jubilation. "J’ai grandi avec Stevenson, Fenimore Cooper, Jules Verne, Dumas. Je voulais retrouver ce plaisir de l’imaginaire pur." Dans cet hommage au roman d’aventures, il ne se prive d’aucune magie, d’aucun coup de théâtre. "Je trouve que les romanciers français se castrent en s’interdisant d’être farfelus ou comiques. Comme s’ils faisaient un complexe vis-à-vis de Rabelais, pourtant le père fondateur!"



Débridé.



Ce Retour de Russie est aussi l’occasion d’un pied de nez à ses origines. Parce qu’il est le fils du dissident Andreï Siniavski (il est arrivé en France à l’âge de 10 ans), on a voulu lui coller à la peau l’étiquette d’écrivain slave, qu’il récuse. "C’est incroyable le nombre de références russes que les critiques ont pu trouver dans mes livres", sourit-il. Ici, quelques jeux avec le folklore russe--notamment ses contes--affleurent pourtant. Mais les héritages ne sont pas toujours où l’on croit. Enfant, il écrivait déjà. Sa grand-mère, communiste fidèle, lui vantait les mérites du réalisme socialiste. Mais son père, lui, de retour du goulag, où il avait passé plusieurs années, découvrit avec joie les écrits--déjà--débridés de Iegor. "Mon père m’a vraiment ouvert la voie de la grande et belle littérature, celle qui n’a pas de limite. Si on ne se donne pas un projet fou, on n’a aucune chance d’aboutir à un livre fabuleux." A l’instar de son père, se sent-il intellectuel engagé, lui, le collaborateur de longue date de Charlie Hebdo? Le mot lui semble pesant. Il vient de contribuer à fonder un prix Charlie Hebdo destiné à récompenser des textes humoristiques écrits par des jeunes. Et continue à livrer au journal ses chroniques, comme récemment sur les nouveaux Abribus parisiens, qui "laissent passer la pluie beaucoup mieux que les anciens", où des "pans entiers de vitrage ont été supprimés pour permettre à l’eau et au vent de s’engouffrer" et qui sont certainement le fruit d’une "conception révolutionnaire", "d’heures de test en soufflerie"... Dans une France qui se désole, Iegor Gran a depuis longtemps choisi son camp: celui de la fantaisie, qui n’est pas la pire des armes.



Sophie Pujas, Le Point, 14 avril 2016.




Napoléon est une femme



Plus loufoque que jamais, legor Gran signe une épopée burlesque sur la persistance du mythe napoléonien.





Dans son domaine, le docteur Archibald Day est incontestablement le meilleur. Spécialiste des fous qui se prennent pour des personnages historiques - ses patients s’appellent Christophe Colomb, Jeanne d’Arc ou Freud -, il a ramené à la raison les cas les plus désespérés. Aussi n’est-il pas étonné lorsqu’on lui annonce qu’un Napoléon vient d’être admis en psychiatrie : il en a vu d’autres, même si ces spécimens se font rares. Sauf que cet Empereur-là, fort convaincant, n’est pas un homme coiffé d’un bicorne en feutre noir mais une jeune femme de vingt ans, Pauline B. Du jamais-vu à l’hôpital Sainte-Micheline.
« Le fait que je sois une femme à cent pour cent est un détail pour faire braire les imbéciles », soutiendra la malade. Napoléon a de la repartie. Bien que lamentable en histoire - Austerlitz et Wagram ne lui évoquent guère plus que des stations de métro -, le médecin comprend vite que la Russie est un motif d’amertume tenace chez sa patiente. Et conclut donc qu’un voyage au pays des tsars est l’unique remède à son obsession. L’expédition est d’autant plus tentante que le prétendu Empereur lui fait miroiter un trésor abandonné par son armée sur la route de Smolensk, une aubaine pour les caisses désespérément vides de l’hôpital. Mais à peine sont-ils sortis de l’avion que les ennuis commencent. Deux siècles plus tard, la malédiction russe est toujours d’actualité... Quittant le microcosme parisien dont il avait si bien moqué les suffisances dans L’Ambition et La Revanche de Kevin, legor Gran se lance avec panache dans le roman d’aventures teinté de magie. Car au beau milieu de la forêt de Smolensk - où nos deux héros sont perdus, affamés, transis de froid – surgira la garde napoléonienne telle qu’en 1812: des centaines de grognards en haillons, accueillant Pauline-Napoléon aux cris de « Vive l’Empereur! » Reste désormais à échapper à la furie des cosaques. La suite, on l’a compris, n’est pas dans les livres d’histoire.
«Les fous passent, la folie reste», disait le poète allemand Sébastian Brandt. S’il change de registre, legor Gran ne perd pas de vue l’un de ses thèmes de prédilection: la raison, fragile paquebot si prompt à prendre l’eau et à sombrer dans le délire. Est-ce si grave, après tout?


Jeanne Ferney, La Croix, 9 juin 2016.



« Le Retour de Russie » de Iegor Gran : Napoléon est une femme


Plus loufoque que jamais, Iegor Gran signe une épopée burlesque sur la persistance du mythe napoléonien.


Dans son domaine, le docteur Archibald Day est incontestablement le meilleur. Spécialiste des fous qui se prennent pour des personnages historiques – ses patients s’appellent Christophe Colomb, Jeanne d’Arc ou Freud –, il a ramené à la raison les cas les plus désespérés.
Aussi n’est-il pas étonné lorsqu’on lui annonce qu’un Napoléon vient d’être admis en psychiatrie?: il en a vu d’autres, même si ces spécimens se font rares. Sauf que cet Empereur-là, fort convaincant, n’est pas un homme coiffé d’un bicorne en feutre noir mais une jeune femme de vingt ans, Pauline B. Du jamais-vu à l’hôpital Sainte-Micheline.
« Le fait que je sois une femme à cent pour cent est un détail pour faire braire les imbéciles », soutiendra la malade. Napoléon a de la repartie. Bien que lamentable en histoire – Austerlitz et Wagram ne lui évoquent guère plus que des stations de métro –, le médecin comprend vite que la Russie est un motif d’amertume tenace chez sa patiente. Et conclut donc qu’un voyage au pays des tsars est l’unique remède à son obsession.
L’expédition est d’autant plus tentante que le prétendu Empereur lui fait miroiter un trésor abandonné par son armée sur la route de Smolensk, une aubaine pour les caisses désespérément vides de l’hôpital.
Mais à peine sont-ils sortis de l’avion que les ennuis commencent. Deux siècles plus tard, la malédiction russe est toujours d’actualité…
Quittant le microcosme parisien dont il avait si bien moqué les suffisances dans L’Ambition et La Revanche de Kevin (1), Iegor Gran se lance avec panache dans le roman d’aventures teinté de magie.
Car au beau milieu de la forêt de Smolensk – où nos deux héros sont perdus, affamés, transis de froid – surgira la garde napoléonienne telle qu’en 1812?: des centaines de grognards en haillons, accueillant Pauline-Napoléon aux cris de « Vive l’Empereur?! » Reste désormais à échapper à la furie des cosaques. La suite, on l’a compris, n’est pas dans les livres d’histoire.
« Les fous passent, la folie reste », disait le poète allemand Sebastian Brandt. S’il change de registre, Iegor Gran ne perd pas de vue l’un de ses thèmes de prédilection?: la raison, fragile paquebot si prompt à prendre l’eau et à sombrer dans le délire. Est-ce si grave, après tout??
(1) La Croix du 2 janvier 2014 et du 12 mars 2015.


Jeanne Ferney, La Croix, le 09/06/2016


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Iegor Gran, Le Retour de Russie, Le Retour de Russie Iegor Gran février 2016