— Paul Otchakovsky-Laurens

Amours sur mesure

Mathieu Bermann

Le héros de cette histoire, de ces histoires, aime à tout va : Lisa depuis des années, Valentin rencontré il y a peu dans un train, et tel garçon éphémère dont il ne connaît pas le prénom, peut-être d’autres encore. C’est une chance d’aimer ainsi, et quoi que veuille dire aimer, pourquoi s’en priver ? Un seul verbe pour une réalité à chaque nouvelle fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Il y a des nuances, bien sûr, mais il embrasse, ce verbe, tout d’un même élan : amitié, amour, affection, plan cul, fraternité élective...Et que dire des entre-deux si plaisants ?...

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La presse

Hauts, ébats, fragile



Mathieu Bermann réussit un beau premier livre sur La complexité des relations amoureuses aujourd’hui. « Ensemble, nous le sommes avec Lisa depuis suffisamment longtemps pour nous permettre de ne pas l’être au sens où l’entendent les gens. »
Un trentenaire parisien vit un couple très libre. ll sait que Lisa vient d’entamer une relation avec un autre, cela ne le dérange officiellement pas, même s’il s’inquiète tout de même.
De son côté, il est tombé amoureux de Valentin. Mais il hésite à franchir le pas avec ce jeune homme rencontré par hasard, tant il tient à leur amitié. Alors il va voir d’autres garçons, plans cul faciles dont il oublie les prénoms. Valentin, lui, s’interroge sur la nature des sentiments de Joram. Coucheront-ils, ou pas ?
On ne saurait imaginer sujet plus rebattu que l’amour, et pourtant. Par son intelligence, son extrême maîtrise de la phrase, l’incarnation de ses personnages et la subtilité de ses observations, Mathieu Bermann signe un premier roman virtuose, ludique et grave, novateur et proustien. « Me touche la manière dont les gens se débattent avec ce qu’on appelle amour, rejetant ce qu’ils croient ne pas en être et cherchant ce qui n’en est pas forcément », confie le narrateur.
L’auteur décrit cette classe moyenne urbaine, diplômée et décomplexée, où chacun est libre de vivre comme il l’entend, afficher ses orientations sexuelles, se marier ou pas. Très finement, il met à jour une difficulté nouvelle, contemporaine, à laquelle se confrontent ces individus. Car comment se débrouiller avec toute cette liberté ? Comment choisir entre l’un et l’autre ? Et le narrateur ne peut que constater «  La liberté sexuelle peut prendre de drôles de tournures ». Bermann ne juge pas. De sa prose elliptique, jalonnée de références littéraires, il préfère suggérer que démontrer.
Mais au-delà des aventures et déconvenues de ses personnages, il interroge avant tout les mille métamorphoses du langage amoureux, la puissance de l’implicite, « Le non-dit étant la meilleure conciliation possible entre idéal et réel » -, passant chaque expression banale au crible et c’est en cela, probablement, qu’il est le plus intéressant.
Et derrière la légèreté apparente du propos court la noirceur d’un regret, celui du premier amour. Le douloureux souvenir de Luca, mort à 22 ans, hante les pages.


Sylvie Tanette, Inrockuptibles, 17 août 2016.



«La liberté sexuelle peut prendre de drôles de tournures.» Tel est le premier sujet de cet élégant premier roman, où l’intimité s’avère paradoxale: «Coucher avec lui, oui, mais déjeuner, c’est hors de question.» Le narrateur en est à dissimuler sa «part d’hétérosexualité» quand les gens, en général, taisent leur part d’homosexualité. Il vit avec une fille, dont il déplore qu’elle soit attirée par un collègue et regrette ce mouvement de jalousie. «N’est pas Jules et Jim qui veut.» Lui-même est enclin aux rencontres masculines : «Je ne suis pas vraiment célibataire et néanmoins disposé à vivre quelque chose.» Le garçon qu’il rencontre dans le train pour Montpellier, ville où il a grandi, danse avec sa soeur (laquelle est fiancée) «comme si elle ne l’était pas». Ensuite, c’est l’absence de sexe qui se révèle aventureuse, et propice à la complicité. Dans cette histoire, on baise soudain de moins en moins tout en parlant d’amour de plus en plus. C’est que la jeunesse est le deuxième thème du livre, où il est souvent question des images de Larry Clark : «Il est sans doute inévitable, tout jeune qu’on est, de se croire tenu à distance de l’idée même de la jeunesse. Comme si, quel que soit notre âge, elle ne pouvait que nous échapper. »

Cl. D., Libération , 3/4 décembre 2016




Labile désir


Amours sur mesure : singulier. S’agit-il de qualifier l’amour - amical, amoureux, charnel, sexuel, fraternel, etc. ?
Son genre - homosexuel, hétérosexuel, bisexuel, autre ?
D’aimer à sa mesure - c’est-à-dire avec les moyens du bord, quels qu’ils soient, pour tous comme pour chacun, et alors même que les meilleures intentions du monde et les théories élaborées viennent parfois se heurter au réel ?
Le narrateur aime une fille hétérosexuelle, « moi, un garçon qui ne le suis pas vraiment, voire pas du tout, si ce n’est dans les faits avec elle précisément ». Lisa et lui sont donc ensemble, mais forment ce qu’on pourrait appeler une union libre. Car, justement, ce que semble refuser d’emblée Mathieu Bermann pour ce premier beau roman, ce sont les catégories. Non pas en explosant les cadres, mais en narrant justement et simplement plusieurs sentiments enchevêtrés. Au début du livre, Lisa confie à son amoureux qu’elle a rencontré quelqu’un. Celui-là est-il jaloux ? Disons qu’il « s’efforce de ne pas l’être ». Et puis leurs amours parallèles n’ont jusqu’alors jamais entravé leur propre lien. Même si le non-dit, les mensonges bienveillants semblent avoir la préférence du narrateur, parce que « n’est pas Jules et Jim qui veut ».
La mesure, c’est aussi la topographie, avec la distance qui autorise les personnages d’Amours sur mesure à vivre « là » ce qu’ils ne s’autoriseraient pas à vivre « ici ». Plus encore, la multiplication des lieux et des villes permet de comprendre à quel point les amours sont plurielles et aussi variées que l’espace qui les accueille. C’est d’ailleurs dans le train pour Montpellier que le héros croise pour la première fois Valentin. Celui-ci, encore jeune étudiant, habite avec sa soeur, la sanguine Marie : leur amour passionné et passionnel embarrasse leur entourage, lequel se rassure en l’expliquant par le suicide de leur aîné. Mais là encore, est-ce si simple ?


Sentiments nuancés


Assez vite, le narrateur décide de ne pas coucher avec Valentin : aucune tactique dans ce choix, mais plutôt la possibilité de laisser justement advenir tout ce qu’une relation amoureuse peut offrir, hormis le sexe. Quoi qu’il en soit, un lien fort se tisse. Mathieu Bermann préfère ne pas le qualifier, décrivant juste, et au plus juste, les choses telles qu’elles sont, sans juger ni préjugé. Car comment dire et saisir ce qui n’est finalement qu’une somme de sentiments nuancés et insaisissables ? « Me touche la manière dont les gens se débattent avec ce qu’on appelle amour, rejetant ce qu’ils croient ne pas en être et cherchant ce qui n’en est pas forcément. »
Mathieu Bermann fait valser, avec beaucoup de douceur et sans coups d’éclats, le poids des conventions et des modèles exclusifs et normés. En racontant une « histoire simple », comme pourrait le dire Annie Ernaux, il décrit une histoire forcément complexe, donnant à réfléchir sur ce que l’amour peut être, et les différentes formes que ce génie - davantage souriant que malin - peut prendre.


Emilie Grangeray, Le Monde, 4 novembre 2016


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Mathieu Bermann, Amours sur mesure, Mathieu Bermann lit quelques pages de Amours sur mesure

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