— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Homme des bois

Prix Blù / Jean-Marc Roberts 2017

Pierric Bailly

L’Homme des bois n’est pas seulement le récit par son fils de la mort brutale et mystérieuse d’un père. C’est aussi une évocation de la vie dans les campagnes françaises à notre époque, ce qui change, ce qui se transforme. C’est l’histoire d’une émancipation, d’un destin modeste, intègre et singulier. C’est enfin le portrait, en creux, d’une génération, celle des parents du narrateur, travailleurs sociaux, militants politiques et associatifs en milieu rural.

 

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Italie : Clichy

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L’homme des bois


Equilibre parfait entre la pudeur et la stupeur, ce récit de deuil est un modèle du genre. Alors qu’il s’apprêtait à profiter d’une retraite bien méritée, le père de Pierric Bailly a été retrouvé mort au pied d’une falaise. Il aurait dévalé la pente par mégarde, en cueillant des champignons dans la forêt en amont. Le conditionnel est à l’origine de ce livre, écrit par un fils perplexe, sonné, mais toujours juste. Juste dans sa place de narrateur, aux premières loges et à distance des faits dont il accepte le mystère. Juste dans la tessiture de sa voix, émue, contenue, sans défaillance. Juste, enfin, dans sa confiance en la nature, celle de son Jura natal, dont il arpente les entrailles, au volant de la Seat Ibiza du défunt. Blotti dans ce vaisseau spatio-temporel, il se laisse bercer par les CD paternels, auxquels il ajoute les siens pour ne pas être sous emprise, juste en bonne compagnie. Porté par cet état si particulier que peut susciter la mort d’un parent proche, qui donne accès à des sensations inconnues, à des éclairs de lucidité fugaces, Pierric Bailly revisite son propre paysage. Par la fenêtre de la voiture, il explore la magie des reliefs jurassiens, recréant pour son père une agonie féerique, entourée de lièvres, de renards, de lynx et de hiboux grands-ducs. Par la vitre de sa me moire, il revoit toute une époque de luttes sourdes et de progrès silencieux de père en fils. Son écriture sobre et puissante fait momentanément fusionner leurs deux trajectoires de vie, souvent restées parallèles, mais liées par un même besoin d’indépendance et de discrétion. On peut appeler cela l’humilité, qualité dominante de ce beau livre sur la collision du visible et de l’invisible.


Marine Landrot, Télérama, 18-24 février 2017



La mort d’un père


Les paysages jurassiens forment le décor du quatrième livre de Pierric Bailly, belle et pudique évocation de la figure paternelle.



Originaire de Champagnole, dans le Haut-Jura, Pierric Bailly a fait du monde rural de son enfance le territoire privilégié de ses fictions. Après L’Etoile du Hautacam l’an dernier, roman débordant d’imagination dans lequel il contait les aventures d’un village perché dans le ciel, l’écrivain regagne la terre avec ce récit évoquant sobrement la disparition de son père.


Fils d’ouvrier, ancien tourneur sur bois reconverti en infirmier et professeur de yoga à ses heures, Christian Bailly est indissociable de la toponymie jurassienne. Lons-les-Lacs, Montaigu ont été le théâtre de sa vie. La forêt de Revigny aussi, où il aimait se balader, contemplant sa géographie accidentée, ses cascades et ses impressionnantes reculées.
C’est là qu’il est tombé. Les gendarmes ont retrouvé son corps au pied d’une falaise, sans savoir quand ni comment il avait chuté. Le fils a débarqué en catastrophe, il s’est occupé des funérailles, a rédigé un discours, écouté poliment les condoléances des uns et des autres.


Il y a bien sûr la brutalité de l’évènement, choquante, cette fin sans préavis d’un homme en bonne santé, que son fils voyait devenir centenaire. Il y a surtout le mystère autour des conditions de sa mort, l’incertitude qui hante. Ignorant s’il a glissé, redoutant qu’il se soit suicidé, l’écrivain arpente encore les lieux du drame, pour trouver un sens. Enquête vouée à l’échec, qui est d’abord un moyen de se souvenir de cet homme modeste né et mort dans le Jura, « à la façon de ces paysans qui n’ont jamais quitté leur ferme et qui s’éteignent dans la chambre où ils ont vu le jour ».
Comme pour le retenir encore, l’auteur roule à bord de la voiture qu’il venait d’acheter, erre dans son appartement. Ce logement saturé qu’il faut vider, entassement de documents, photos, papiers ouvrant sur son « petit monde », « fait d’actions sociales, d’engagements politique et associatif, de chanson française, de distractions culturelles et de promenade en nature ».


« Au début je me disais que j’allais faire une ou deux découvertes, un petit trésor, quelques secrets, mais plus j’avance dans ma tâche et plus frappé par la cohérence de son personnage, écrit Pierric Bailly. Tout va dans le sens de ce que je sais de lui, de l’image que j’ai de lui. Tout est en accord avec les convictions qu’il affichait. Tout lui ressemble. » S’y reflète la simplicité d’une existence en milieu rural, entourée d’hommes et de femmes portées sur l’action plutôt que sur les discours. « Des petites mains de la cause sociale », militant dans un département que la fermeture des usines a désertifié.


Pierric Bailly ne cherche pas à toucher le lecteur ni à glorifier son père - c’est ce qui rend son texte si émouvant. Peut-être n’aurait-il même pas précisé que Christian était tout proche de la retraite, si la presse locale ne l’avait tant souligné, comme pour renforcer le pathétique. « Ça revient dans tous les commentaires, remarque-t-il. Si près de cette retraite qu’il espérait tant. A quelques semaines près. Si c’est pas cruel. Non mais si c’est pas dégueulasse franchement. »
Ce « sexagénaire » que les journaux classent parmi les faits divers, l’écrivain se le réapproprie. Lui sait ce qu’il était : sociable, généreux, curieux du monde et des autres, parfois colérique. Et ce qu’il n’était pas : un idéologue, un artiste, un « intello ». Ni héros, ni raté, juste un homme dont le fils s’efforce, avec tendresse, de dresser un portrait fidèle.



Jeanne Ferney, La Croix, 16 février 2017




L’adieu au père



Il y a des façons plus pompeuses de mourir. Mais Christian Bailly n’était pas un homme avantageux. Un jour où, en chaussures de ville, il allait cueillir des morilles dans la forêt, il a glissé sur une pente humide et a chuté dans le vide. On l’a retrouvé trois jours plus tard, la tête fracassée, sans pouvoir savoir s’il était mort sur le coup ou s’il avait agonisé pendant plusieurs heures. Il avait 61 ans. L’accident s’est déroulé au-dessus de l’ancienne ligne de chemin de fer qui reliait Lons-le-Saunier, sa ville natale, à Saint-Claude, où il avait été tourneur sur bois ; il avait aussi travaillé dans une usine qui fabriquait des couvercles de poêle et dans un atelier de pipes de bruyère avant de devenir infirmier dans un centre de soins en addictologie. Si nul ne s’est inquiété de sa disparition, c’est qu’il était célibataire depuis 30 ans. Sa femme l’avait quitté quelques mois après la naissance de leur fils unique. Le fils, c’est Pierric Bailly (photo), aujourd’hui âgé de 34 ans, l’auteur de « Polichinelle » et de « L’Etoile du Hautacam ». Pour dire adieu à son père, l s’est installé dans le petit appartement qu’il habitait dans une HLM et a sillonné la région au volant de sa vieille Seat Ibiza, jusqu’à la forêt qui fut son tombeau. Comme on mène une enquête, il a ouvert ses cahiers, ses classeurs, ses correspondances, a interrogé les gendarmes, la vieille terre jurassienne et le passé de cet « Homme des bois », au propre comme au figuré. Car le modeste, généreux et irréductible Christian Bailly incarnait un monde qui semble résolu. Il avait été objecteur de conscience, baba cool, avait rencontré sa femme sur le plateau du Larzac, manifesté à Creys-Malville contre la centrale Superphénix et avait vécu heureux dans la reculée de La Frasnée avant de s’engager dans la vie associative, de lutter contre les inégalités, de « se coltiner » jour et nuit « les types ravagés, les éclopés de la vie, les fous, les paumés, les rebuts de la société ». « L’homme des bois » était un mec bien. Un rebelle doublé d’un idéaliste et d’un libre penseur, qui adulait Reiser, écoutait Brel, Ferré, Escudero, lisait les libertaires Louis Lecoin et Daniel Guérin, adorait visiter les maisons d’écrivain et calmait ses ardeurs avec le yoga. Pour faire le portrait de ce travailleur social et lui être fidèle, il ne fallait surtout pas user de grands mots ni donner dans l’éloge ronflant. Il ne fallait pas verser un torrent de larmes dans le ruisseau où, immobile et trempé, le fils a dispersé les cendres de son père. Il fallait simplement lui ressembler. Ce qu’a fait Pierric Bailly, dont le texte bref est une merveille de jeunesse, de loyauté et rugueuse tendresse. Comme dans le Haut-Jura, on entend même l’écho.


Jérôme Garçin, Lire, 16 février 2017



Retour au père, l’homme des bois par Norbert Czarny



« Il m’arrive de penser à cette histoire comme à une sorte de roman noir, un polar sans coupable sinon la nature, la campagne française, la vie rurale, la forêt jurassienne. » Cette phrase qu’on lira à la fin du récit de Pierric Bailly résume le livre. Christian Bailly, père du narrateur-auteur est mort de façon accidentelle en forêt, sans doute en tombant dans une fosse. Son fils mène l’enquête mais dresse surtout le portrait d’un homme comme on n’en voit plus trop.



Des hommes qui se font enterrer sur un air de Léo Ferré, il n’y en aura plus guère. Les références changent, et avec elles un monde. Mais ne jouons pas les nostalgiques et rappelons que dans un précédent roman de Pierric Bailly, Michaël Jackson, on voyait la jeunesse, la génération du fils trainant dans Montpellier et environs, vaguement désoeuvrée, improvisant sa vie. L’écriture désinvolte de Bailly, son humour nonchalant amusaient et éclairaient sur une partie de la population qu’on méconnait ou caricature. En gros, des kékés de l’Hérault (à ceci près que l’Hérault et les Bouches-du-Rhône, ce n’est pas la même chose.)


L’homme des bois a construit sa vie. Il avait des convictions fortes, il était curieux, déterminé à apprendre et à toujours enrichir son univers. Cela se voyait dans « le petit monde » que le fils doit vider, après le décès, comme dans sa vie : « Il avait besoin de tout garder, au cas où il en viendrait à oublier, non pas le contenu mais les expériences, les semaines et les soirées, les initiatives, le parcours, le chemin, celui qu’il avait accompli seul et qui l’avait mené du prolétariat à l’action sociale, du rugby au yoga, du bal des pompiers au festival de musique baroque d’Ambronay, de Clairvaux-les-Lacs à Lons-le-Saunier. » Ce père, issu d’une famille d’ouvriers dans laquelle on arrondissait les fins de mois en fabriquant des queues de casseroles pour Tefal, a commencé tourneur. Il aimait le travail du bois mais n’aurait pu s’en satisfaire toute une vie. Le narrateur présente ses divers métiers, rappelle ses engagements, tant dans des combats politiques que dans des luttes sociales. Christian Bailly croit en certaines causes. Il admire Louis Lecoin, le pacifiste, Daniel Guérin, Lanza del Vasto : « Il vouait un culte à Reiser, chez qui il reconnaissait non pas un ailleurs rural et arriéré dont on ricane avec une petite pointe de mépris, mais ses parents, ses voisins, le monde d’où il venait. » Il s’est beaucoup amusé avant que naisse Pierric, et ses années soixante-dix ont été « une vie de bringues et de bitures », selon le mot de la mère, son ex-épouse.



Tout n’a pas été simple et heureux, pourtant. Très tôt, le couple s’est séparé et cet homme qui ne supportait pas les chiens, n’avait aucune compagnie, a connu des moments de solitude. Cet homme qui aimait le contact, qu’on disait l’être le plus doux qui soit, cet homme qui séduisait des « Lady Chatterley du Jura » ne pouvait vivre avec aucune. Elles le quittaient, le jugeant trop violent, par moments : « D’où venait cette violence ? Je serais bien en peine de m’engager sur ce terrain-là. Ce que j’ai fini par noter, à force d’assister à ces scènes délirantes, à ces embardées rageuses, c’est qu’elles marquaient toujours une insatisfaction », note le narrateur. Il n’a pas su quitter son Jura natal, d’abord Clairvaux-le-Lac puis la capitale locale, il a été « trop fou pour une petite vie de salarié à Lons-le-Saunier, mais pas assez, pas assez fou, pas assez tordu, pas assez radical, pas assez brillant, pas assez inventif, pas assez courageux pour la vie qu’il se rêvait. » Il a voulu partir loin et est le seul de sa famille à ne l’avoir pas fait. Son fils s’est éloigné, vers Montpellier, mais pas tant que cela. L’écriture l’aura fait partir, l’invention, l’imagination. Lui a commencé des nouvelles, des romans, mais les manuscrits s’accumulent sur les étagères, sans qu’il ait pu en poursuivre un seul.


Cet homme des bois qui donne son titre au roman a pour l’essentiel quelque chose de sauvage. Cette forêt du Haut-Jura, sur la route entre Lons et Logna est sans doute son ancrage. Comme La Frasnée, village arrosé par Le Drouvenant. C’est le lieu des retrouvailles entre le fils et le père, le seul où ils puissent enfin parler : « Cela restait pudique, nous ne nous transformions pas en deux potes expansifs, mais là-bas, je me sentais toujours bien avec lui et je pense que c’était réciproque. » Pierric Bailly nomme tous ces lieux du Jura, lieux de l’enfance et du père, ce « paysage de conte » où serait passé Rabelais. Chaque lieu semble lié à un souvenir d’enfance, à un moment de partage avec ce père face à qui il était seul, en tête à tête, une fois la séparation consommée.



Faut-il y voir un signe, la province française, celle que les démagogues s’accaparent, dont ils se servent abusivement, cette province est célébrée par l’auteur de L’homme des bois, comme en cette même rentrée par François Beaune dans Une vie de Gérard en Occident. Dans les deux cas, l’ancrage dans les lieux est profond et complexe. Dans les deux cas, le personnage central est un homme qui étonne, intrigue parce qu’il échappe aux clichés, à toutes ces idées toute faites qui nous empoisonnent. Christian Bailly est un rêveur, un idéaliste, un homme généreux, sans cesse sur la brèche, accumulant les formations pour en savoir toujours plus sur tout, pour partager ensuite, comme lorsqu’il devient professeur de yoga. Il n’a pas la faconde du Gérard imaginé par Beaune, mais on se doute qu’il écoute.



En ce sens, mais pas seulement, L’homme des bois est un texte politique. Malgré ses réserves - et quel fils n’en a pas ? - le narrateur dresse un beau portrait d’un homme comme on aime en rencontrer, un homme qui croit dans un progrès, sinon le progrès, un homme droit. Lire de si beaux portraits, cela fait du bien en ces temps de grisaille.



Norbert Czarny, Mediapart, 1er mars 2017


Agenda

Vendredi 29 mars
Pierric Bailly à Librairie Folies d'encre de Montreuil

Librairie Folies d'encre
9 avenue de la Résistance
93100 MONTREUIL

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Du jeudi 4 avril au dimanche 7 avril
Pierric Bailly au Printemps du livre de Grenoble

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Du jeudi 13 juin au dimanche 16 juin
Pierric Bailly au festival Le murmure du monde

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Et aussi

"La Foudre" de Pierric Bailly désigné Meilleur roman de l'année 2023 par le Magazine Lire - Lire Magazine

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Pierric Bailly, L’ Homme des bois, Pierric Bailly lit quelques pages de L'Homme des bois janvier 2017