— Paul Otchakovsky-Laurens

Le cours de Pise

Emmanuel Hocquard

De 1993 à 2005, Emmanuel Hocquard enseigne régulièrement à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux. Il y donne des « leçons de grammaire » dans le cadre d’un atelier de recherche et de création intitulé Langage & Écriture, qui devient Procédure, Image, Son, Écriture (P.I.S.E) en 1999.
À partir de 1998, un ou plusieurs documents reliés vont réunir chaque année – à côté des travaux et des correspondances des étudiants, des extraits de livres et d’articles de journaux, des reproductions iconographiques… – tous les textes élaborés ou agencés en vue de ces...

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La presse

Le cours de Pise : Emmanuel Hocquard (fiction non fiction)


Retrouvez l’article de Christian Rosset sur Diacritik paru le 19 mars 2018

Le cours de Pise : Emmanuel Hocquard et l’hétérogénéité des formes


Retrouvez l’article d’Emmanuèle Jawad sur Diacritik paru le 23 mars 2018

Emmanuel Hocquard joue collectif


Le poète a donné aux Beaux-Arts de Bordeaux, de 1993 à 2005, un étonnant cours intitulé « Procédure, image, son, écriture ». Les notes en sont aujourd’hui publiées.


On aurait aimé rencontrer le poète Emmanuel Hocquard, mais cela semblait bien compliqué. « II vit pres de Tarbes mais ne se déplace plus du tout - c’est un ours des Pyrenees », a prévenu sa maison d’édition, P.O.L. On aurait volontiers fait le voyage jusqu’à lui, on se serait même contenté d’une conversation par écrans interposés, mais cela n’a pas été possible.


Emmanuel Hocquard se fait rare, discret. Difficile, par exemple, de trouver une photographie récente de ce poète, traducteur, éditeur, auteur d’une trentaine de livres, né en 1940 : le seul portrait disponible en agence remonte aux années 1980. Quant à sa dernière apparition en vidéo (visible sur Internet), elle date de 2009. C’était à l’occasion de la parution d’un très beau recueil de poèmes, Méditations photographique sur l’idée simple de nudité (P.O.L). Après avoir parlé d’images, de la Bigorre et de son « musée philosophique personnel », Emmanuel Hocquard avait conclu l’entretien par cette remarque ouverte et étonnante : « Je n’ai jamais pensé qu’un livre était fini, heureusement. Tu te rends compte, quelle horreur ! »


Son goût du dépassement et de la performance, on le retrouve dans son nouvel ouvrage, Le Cours de Pise. Un livre de plus de 600 pages, qui restitue les leçons qu’Emmanuel Hocquard donna à l’Ecole des beaux-arts de Bordeaux entre 1993 et 2005. Dans ce cours de « Procédure, image, son, écriture » (Pise), Hocquard n’entendait pas jouer le rôle d’un mentor. Plutôt que de parler de « transmission », il préfère les notions d’ « échange » de « réflexion », comme il l’explique à David Lespiau, éditeur de ce livre passionnant qui retrace les aventures d’une pédagogie concrète - jamais dénuée d’humour. Aux Beaux-Arts, n’ayant pas accès à la salle Internet pour transmettre ses notes, Hocquard inventa « l’internet en carton » : chaque étudiant possédait sa boîte à lettres fabriquée avec une boîte à chaussures, dans laquelle il récupérait les documents déposés par leur professeur.


S’agissait-il d’un atelier d’écriture, avatar des cours de creative writing des universités américaines ? L’écrivain ne croit pas aux recettes. Ce qui l’intéresse, c’est le « langage ordinaire » que nous pratiquons tous quotidiennement, pour le meilleur et le pire des usages. Dans ce cours expérimental, les étudiants n’apprenaient pas comment écrire un roman ou de la poésie, mais à pratiquer une langue simple et descriptive, sans vouloir nécessairement« faire littéraire ». La littérature au style endimanché, que l’on peut encore trouver aujourd’hui dans une certaine poésie lyrique, Hocquard s’en méfie - la déteste, même.


Positionnement radical qui rejette tout ce qui tient de fantasme, de l’imaginaire, et qui prône, en priorité, la restitution d’une expérience personnelle par l’écriture. « Je n’ai jamais écrit que pour ça - voir ce que j’avais sous les yeux », affirmait-il dans Voyage à Reykjavik (P.O.L, 1997). Avant de se mettre à écrire, il faut « chercher à se dégager des mots d’ordre et travailler sur soi-même », explique-t-il.


Car, selon Hocquard, la langue est polluée par les microbes que les autres ont laissés sur elle : truismes, clichés... Pour approfondir cette critique du langage, il cite à de multiples reprises le philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951), son phare : « II faut parfois retirer une expression et la donner à nettoyer pour pouvoir ensuite la remettre en circulation. »


Une fois ce travail effectué, l’écriture doit privilégier la description plutôt que l’explication. Hocquard s’en remet au poète objectiviste américain Charles Reznikoff (1894-1976), dont il réactualise la démarche. Qu’est-ce que l’objectivisme ? S’abstenir de tout jugement moral ou esthétique, de commentaires. Se tenir au plus près des choses, rejeter les images et les symboles, sans soucis de hiérarchie ou d’affects.


L’enjeu de ce formidable cours consiste à transformer une expérience personnelle en un acte de partage. Je peux dire « je » pour parler du monde qui m’entoure, à condition qu’il soit « un témoignage collectif à la première personne », explique le poète. Quel impact eut celle expérience singulière sur les étudiants ? A-t-elle servi à quelque chose ? Hélas, on ne le saura pas : Emmanuel Hocquard les a presque tous perdus de vue. Dans la préface de ce livre, l’écrivain cite une phrase de Joé Bousquet, « Je te lis afin de l’apprendre moi-même. » La richesse des textes qu’Emmanuel Hocquard a écrit depuis la fin du « cours de Pise » est un beau témoignage de sa nécessité.


Par Amaury Da Cunha, Le Monde des Livres, le 29 juin 2018.