— Paul Otchakovsky-Laurens

Écrire à l’élastique

Fargues et Gran

Cher Iegor,
Tout est trop calme ce matin au Mojo. Es-tu certain que ce séjour aux antipodes me remettra les pieds sur terre ?
Nicolas


Écoute Nicolas,
Tu devrais te décider à écrire et oublier Leonor. À trop tirer sur ta libido, tu rebondis vers le rien. Tu n’es pas parti en Nouvelle-Zélande pour geindre. Fais-moi rêver, mec.
Iegor



Iegor Gran et Nicolas Fargues dont nous savions qu’ils s’appréciaient réciproquement mais dont nous ignorions le degré de complicité, ont donc écrit ce roman épistolaire à quatre mains. Les Thèmes en sont la difficulté à écrire et l’exil aussi bien que les femmes,...

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La presse

Un duo de joyeux malappris


Nicolas Fargues et Iegor Gran écrivent un roman épistolaire léger et corrosif, jouissif et mufle. Qui parle d’inspiration et de déracinement.


Nicolas Fargues et legor Gran publient tous deux, chez POL, depuis quinze ans, des romans pleins d’ironie et d’autodérision. Nicolas Fargues a par exemple écrit le très émouvant "Tu verras" dans lequel cet écrivain qui fuit les mondanités parisiennes, se dit plutôt misanthrope, une manière de supporter son propre regard aigu sur la lâcheté des hommes modernes et le règne du consensus mou.


legor Gran écrivit, lui, "L’écologie en bas de chez moi" dans lequel il balayait avec une verve anarchiste hilarante et absolument "incorrecte" les croisés de l’écologie.


Le premier fut invite à une résidence d’écrivain en Nouvelle-Zélande, à l’autre bout du monde, et eut l’idée d’entamer pendant ce séjour une correspondance avec Iegor Gran. S’ils ont en commun le même regard corrosif sur la société, Nicolas Fragues, volontiers dépressif et dragueur impénitent, est obsède par la conquête amoureuse et l’âge qui avance alors que Iegor Gran reste à Paris mener une vie de mari fidèle et d’écrivain plein de drôlerie.


Leur correspondance s’intitule "Ecrire à l’élastique", comme on saute à l’élastique. Comme, aussi, quand on s’éloigne, on reste d’autant plus lié par un élastique invisible qui vous tire vers votre port d’attache On suit l’impuissance de Nicolas Fargues à écrire au pays des kiwis. Ses doutes, son spleen de Paris, mais pas celui du milieu littéraire qu’il fustige volontiers : "Chaque fois que je me mets à penser à la rentrée littéraire française de septembre pour prendre un peu de hauteur, écrit Fargues, je ne peux pas m’empêcher de visualiser un concours annuel d’élégance canine : noeudsnoeuds dans le poipoil et tonsures pour plaire aux jures"". legor Gran n’est pas en reste qui évoque ""le salon du livre et des egos comprimes ou j’ai fait mon mondain"".


Parti dans l’autofiction, le duo se met à romancer. Gran évoque un ambitieux qui veut monter un site littéraire foireux et piège Echenoz, il moque la ""morgue des Musskinos"" (contraction de Guillaume Musso et David Foenkinos).


Réflexion sur l’inspiration littéraire et le déracinement, leur dialogue devient un remake contemporain des "Liaisons dangereuses" legor Gran et Nicolas Fargues deviennent comme la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont pour échafauder un piège et attirer en Nouvelle-Zélande Leonor, une femme que Nicolas Fargues avait séduite un soir avant son départ mais qui l’avait éconduit dès le lendemain. Avec ce fil comme intrigue, le goût pour les facéties d’Iegor Gran se met au service des envies amoureuses de Nicolas Fargues. Un piège d’autant plus délicat que Leonor vit en couple avec un prénomme Jules, lié au milieu littéraire Comment amener la belle à faire 12 000 km pour retrouver un homme dont elle ne voulait pas ?


"Ecrire à l’élastique" est un roman léger mais qui, sous des dehors potaches, parle de l’écriture, de l’exil et du lien mystérieux entre sexe et inspiration "A trop tirer sur ta libido, tu rebondis sur le rien", écrit Gran à Fargues. Tandis que celui-ci se complaît dans l’autodénigrement "Je me sens depuis toujours, comme un cabas percé de supermarché qu’il faut sans cesse remplir de tout et n’importe quoi sous peine de me vider trop vite, puis de m’assécher dans une contemplation du monde. J’ai été marie pendant dix ans, puis divorcé, je suis deux fois père d’enfants aujourd’hui grands. J’ai eu des femmes, j’ai habité des maisons et possède des voitures dans des pays très différents. Pour rendre cela un peu plus excitant, j’ai essayé d’en faire des livres". legor Gran moque ce vrai-faux dénigrement "Pour nous, les écrivains, c’est comme percer un trou dans la coque de son navire et rester en transe devant l’eau qui monte et remplit la cale".


Guy Duplat, La Libre Belgique, 18 avril 2017




Jouissif duo de mufles


Transformer les "Mémoires de deux jeunes mariées" de Balzac en "Liaisons dangereuses" de Laclos, c’est ce que réussissent à faire les auteurs d’"Ecrire à l’élastique".


Une correspondance mesurant les différences entre un homme marié et sédentaire et un séducteur compulsif et nomade se convertit en roman épistolaire machiavélique fomenté par deux écrivains complices, cyniques et concentrés sur le même objectif : ferrer Leonor, une jeune femme séduite par Nicolas juste avant son départ pour la Nouvelle-Zélande qu’legor s’engage à lui envoyer par avion. Malgré leurs différences de style et de profil, les deux épistoliers sont amis, issus de la même écurie littéraire (les éditions POL) et aimant à répéter qu’ils enchaînent tous deux les romans invendables. Normal qu’ils cherchent donc à se divertir mutuellement, et, qui sait, à produire ensemble une autre sorte de livre.


Outre l’imbroglio romanesque qui se met en place autour de Leonor, les deux écrivains épinglent avec humour et brio les jeux de la séduction et de l’ambition, des cuistreries parisiennes aux mufleries océaniennes, le tout avec un zèle machiste comme on n’en fait plus. Au point d’en éprouver même un léger malaise en lisant dans une lettre de Nicolas : « Non seulement les femmes qui m’intéressent ne sont en général pas si belles, mais je les aime plutôt stupides. » Ou encore : « La femme stupide ? Un produit d’utilisation simple, ludique et 100 % recyclable. » Sans parler de la catégorie « femmes vulgaires », évoquée par legor, et on en passe. Mais l’expérience de lecture est intéressante, notamment pour une auteur féminine fréquentant la même écurie : comment réagir sans se froisser à une taxinomie qui n’envisage jamais la catégorie « femme intelligente », lui déniant du même coup pouvoir érotique, statut et même existence, hormis peut-être, et tout juste, via le personnage de Catherine, l’épouse d’Iegor ? Comme si le mâle écrivain et dominant à l’oeuvre dans ce roman avait définitivement rayé cette possibilité de sa carte du Tendre pour faire des femmes intelligentes au mieux des alliées camarades, au pis, et c’est là le comble, des potiches. Et c’est peut-être là l’un des tours de force de ce divertissement jubilatoire, qui nous laisse sans aigreur et sans rancoeur.


Nathalie Azoulai, Marianne, 17-23 mars 2017



Message à quatre mains



Nicolas Fargues et Iegor Gran partagent, outre le même éditeur, un certain sens de l’ironie, analogue à celle de ces sales gosses qui se mettent au fond de la classe pour se moquer de leurs camarades. L’un est plutôt geignard et narcissiquement autodépréciateur (Fargues : « Mon héros de 43 ans, je ne le supporte plus »). L’autre, ne s’étant pas réconcilié avec la bêtise du monde, s’amuse de la ridiculiser un peu plus (Gran : « Son monde intérieur est comparable à celui d’une banane. Bourratif, uniforme, bien rempli et mou, sans être trop indigeste »).


Comme l’un doit partir quelques mois en Nouvelle-Zélande pour une résidence d’écriture, l’autre lui propose « un travail épistolaire ». Iegor Gran, à Paris, et Nicolas Fargues, à Wellington, se raconteront leur vie, mais, surtout, sous la forme de leur échange régulier de longs mails, les deux écrivains inventeront un roman à quatre mains.


Le journal intime se mêle à la fiction, laquelle se développe comme une version 2.0 et comique des « Liaisons dangereuses ». Pas toujours facile de démêler le vrai du faux. Oui, Nicolas Fargues a bien participé à une rencontre so French dans une librairie néo-zélandaise avec Muriel Barbery, l’auteure de « L’élégance du hérisson » (on a vérifié sur Internet). En revanche, pas sûr que la correspondance insérée avec Jean Echenoz, devenant un personnage secondaire du récit, soit bien réelle.


Le noeud de l’intrigue ? Les femmes. Ils adorent, conscients d’être un peu beaufs, disserter sur ces créatures tellement étranges. « Etonnant, entre nous, ce pouvoir des sentences définitives sur certaines femmes. » L’un dit qu’il « les aime plutôt stupides » (Fargues), l’autre manipule une ancienne maîtresse de son ami qu’elle a éconduit. Arrivera-t-il, telle une marquise de Monteuil moderne, à l’envoyer vers son Valmont, retiré au fin fond du Pacifique ?


Bien sûr, comme dans le roman de Laclos, ceux qui se croient le plus malins sont dépassés par les manoeuvres qu’ils opèrent. « Iegor, je ne comprends plus rien, le monde m’échappe, je ne décode plus signes ni les gens » ; « Nicolas(...), je dois l’admettre, j’ai foiré lamentablement. »


S.B., Le Canard enchaîné, 1 mars 2017




Ils étaient faits pour s’entendre. Publiés depuis une quinzaine d’années au sein de la même maison d’édition, Nicolas Fargues et Iegor Gran partagent le goût de l’ironie et des sarcasmes. Se moquer des autres est une seconde nature chez eux, surtout quand ces autres leur ressemblent. De livre en livre, l’un et l’autre promènent ainsi des alter ego bourrés de défauts, écrivains suffisants et narcissiques, tristes sires rongés par l’amertume ou la misanthropie.


Mais si ces deux-là s’apprécient, c’est surtout pour leurs différences. Quand Iegor Gran envie chez le beau Nicolas Fargues l’habileté du « prince charmeur », ce dernier admire chez son aîné la fidélité de l’homme marié et l’imagination fertile du romancier, lui qui n’invente presque jamais.


« Tout semble si simple quand on te lit : les formules cavalent toutes seules, ça fourmille de trouvailles, ça respire l’atypique. Et surtout, on se marre », résume-t-il. C’est vrai. Puis, s’autodénigrant comme il sait si bien le faire : « Chez moi, les mots ne décollent jamais tout à fait et on rit jaune. » C’est exagéré.


Écrire à l’élastique est le saut dans le vide de ces deux personnages, écrivains de papier en quête de renouveau qui décident d’entamer une correspondance littéraire, alors que Nicolas Fargues s’est installé en Nouvelle-Zélande pour une résidence d’écriture. De quoi se parlent-ils ? De leurs problèmes, surtout.

Pour Nicolas Fargues, l’obsession de la conquête amoureuse qui, cette fois, se cristallise sur une certaine Leonor rencontrée à Paris, et qu’il poursuit uniquement parce que celle-ci l’a éconduit, conjuguées à ses lamentations sur son manque de génie et ses éternelles saillies sur les Français, sales et condescendants.


Chez Iegor Gran, les travers du microcosme parisien et la « morgue littéraire dans laquelle (il) croupi (t) », tandis que les « Musskinos » (contraction de Guillaume Musso et de David Foenkinos) déchaînent les foules Loin de mettre de l’eau à leur moulin littéraire en voie de tarissement, leurs échanges, bien que thérapeutiques, ramènent les épistoliers à leurs vieilles marottes.


C’était sans compter sur la botte secrète de Iegor Gran : une machination. Ou comment faire venir la fameuse Leonor en Nouvelle-Zélande et, du même coup, offrir une intrigue au livre en train de s’écrire.


Et c’est ainsi que la fausse autofiction se transforme en vrai roman à quatre mains, dont les auteurs peu à peu déteignent l’un sur l’autre, Gran se laissant contaminer par la lubricité de Fargues, Fargues prenant goût aux échappées burlesques de Gran. Un nouvel écrivain est né, sorte de monstre à deux têtes et maître de l’autodérision que l’on pourrait baptiser : « Fargran ».


Jeanne Ferney, La Croix, 2 mars 2017




Olivia de Lamberterie dans Télématin sur France 2: ICI

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