— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Image et l’Occident

Sur la notion d’image en Europe latine

Jean Louis Schefer

Ce texte est un bref essai d’architecture faufilé sur la question des images qui a occupé tantôt la théologie, la philosophie (la mémoire, la perception des réalités) et la somme des traités de peinture, au moins depuis le haut Moyen Âge : le fonds moral dont procèdent à la fois les prescriptions sur les images et les procédés de fabrique demeure inchangé dans l’ensemble des spéculations sur le pouvoir des images et sur leur nature. Ce fonds moral, dont procèdent les raisonnements sur les affects liés aux images, a une origine religieuse : l’image est le dernier terme des substitutions d’offrandes sacrificielles destinées aux...

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Les médiations atypiques de Jean-Louis Schefer



[...] Après des essais brillants sur la peinture et le cinéma, sur l’image en général, il s’est astreint à une discipline très rare de lecture des pères de l’Eglise, pour nous rendre familières leurs ananylses du sacré, bien sûr, de l’eucharistie, de la parole biblique, mais aussi, à travers la réflexion sur l’incarnation de Dieu, pour comprendre l’idée même de représentation de cette divinité. Jean-Louis Schefer refait donc siens les débats des différents conciles, vieux de plus d’un millénaire, sur l’image de Dieu. Comment l’Eglise s’est, dirait-on en vocabulaire moderne, "positionnée", tant du côté de Rome que du côté de Byzance, du IVe siècle au VIIIe siècle, et ensuite, sur la question de l’iconoclasme ? Et, à partir de là, qu’est-ce que l’image dans la pensée occidentale, dans la pensée religieuse, dans la pensée esthétique, dans la pensée romanesque, et même dans la pensée de soi, dans la pensée intime ?
C’est dans l’originalité de l’entreprise de Jean-Louis Schefer d’utiliser ses propres recherches théologiques et ses lectures pointues pour englober toute une théorie du roman, d’une façon totalement nouvelle, insolite. Car, sous-jacent à cet essai de commentaires théologiques, il y a la question de l’art, du roman, de la fiction (c’était du reste, ce terme, "fiction" ou "fable", suspecte de mensonge illusoire et trompeur, qui était au coeur de la critique, au XVIIe siècle, du roman par les grandsprédicateurs, parmi lesquels Bourdaloue). Dès la première page de son essai, en effet, Jean-Louis Schefer entre dans la fabrique du roman, dans la "possession" qu’éprouve le romancier en présence de ses personnages. Et, d’emblée, il met en relation la rêverie adolescente ou parfois même enfantine devant des êtres produits par l’imagination avec la construction élaborée de personnages par des romanciers de génie (Balzac, Dostoïevski, Flaubert, Goethe, Stendhal, autrement dit ceux du XIXe siècle, auxquels il aurait pu ajouter Proust, qu’il citera, cependant plus tard sur la question du temps) et avec les "théâtres de mémoire" de la pensée médiévale, de celle de la Renaissance et celle de l’âge baroque. [...]

[...] Remontant à des souvenirs personnels d’enfance, dans des pages d’une très belle force évocatrice, Jean-Louis Schefer analyse sur lui-même la puissance de l’image et ce que dit le geste même de contempler une image, qui nous incite à entrer en conflit avec la vie.L’image entre-t-elle en rivalité avec la "vraie vie" ou, au contraire, et c’est ce que dont seront convaincus les poètes, les preintes, les romanciers, le révèle-t-elle ? Et cela, la traversée d’un musée, nous dit Schefer, nous l’enseigne autant qe la lecture des textes théoriques de pères de l’Eglise ou de peintres ou philosophes de la Renaissance ou des Lumières sur la fabrique de l’image, de Philostrate à Diderot. [...]

[...] Ce sont certainement dans les pages sur le sacrifice (les rites sacrificiels antiques ou la symbolique du sacrifice dans la messe) qui sont théologiquement les plus complexes, ainsi que dans les commentaires des Méditations, de Descartes et des Questions de saint Augustin lui-même commentaitant, en réponse à Origène, le psaume 38 ("Bien que l’homme marche dans l’image, il s’agite vainement"), que l’essai de Jean-Louis Schefer atteint sa dimension la plus troublante, concernant la confrontation des querelles théologiques et des questions, disons, plus laïques, plus esthétiques, sur le fantasme, la fable, l’univers fictif et révélateur du réel, sur la création artistique.
Les toutes dernières pages, très brillantes, de cet essai mettent en relation les polémiques que l’on a parcourues, de Virgile à Husserl, sur la question théologique, poétique ou philosophique de l’image et de l’icône finalement élargie à celle, psychologique et esthétique, de l’imagination, avec d’autres problèmes, eux, ancrés dans la modernité, ceux de la virtualité (dans les domaines économiques et esthétiques). [...]

[...] Mais la caractéristique de Jean-Louis Schefer est, après avoir approfondi et abordé frontalement les querelles théologiques sur l’iconoclasme, de les avoir fait résonner avec des interrogations esthétiques, tournant à la fois autour de l’imaginaire, disons, intérieur (la remémoration, le sentiment de perte, la conscience du temps), et de la formation artistique ou littéraire de l’objet mental.



René de Ceccatty, Les Lettres françaises, mai 2017.

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Jean Louis Schefer, L’ Image et l’Occident, L'Image et l'occident (sur la notion d'image en Europe latine) avril 2017