A gauche de l’horloge
Claude Lucas
« Longtemps je me suis rêvé dramaturge...
Même au temps où mon existence hasardeuse se déroulait à l’écart des chemins de la littérature (encore que ceux-ci ne soient jamais une ligne droite, du moins faut-il l’espérer), je m’étais abonné au TNP de Villeurbanne, à l’époque dirigé par Roger Planchon. Je me voulais auteur dramatique. Oui, je me voulais ça. Et puis... rien. J’écrivais des misères de pièces. Un jour je suis allé voir Jean-Louis Barrault au Récamier où se montait Mercier et Camier, de Beckett, avec trois textes sous le bras. Ferveur et tremblement. Dans un grand geste...
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« Longtemps je me suis rêvé dramaturge...
Même au temps où mon existence hasardeuse se déroulait à l’écart des chemins de la littérature (encore que ceux-ci ne soient jamais une ligne droite, du moins faut-il l’espérer), je m’étais abonné au TNP de Villeurbanne, à l’époque dirigé par Roger Planchon. Je me voulais auteur dramatique. Oui, je me voulais ça. Et puis... rien. J’écrivais des misères de pièces. Un jour je suis allé voir Jean-Louis Barrault au Récamier où se montait Mercier et Camier, de Beckett, avec trois textes sous le bras. Ferveur et tremblement. Dans un grand geste théâtral embrassant jusqu’au plafond, Barrault m’a dit : « Des manuscrits, monsieur, j’en ai, mais j’en ai !... »
Fin de partie. J’ai laissé tomber tout ça. N’étais pas de ce monde-là.
C’est France Culture, un beau jour et un siècle plus tard (la littérature est une longue patience), qui m’a proposé d’écrire des fictions pour la radio. Ma vocation de jeunesse, quoique en durable hibernation, s’est aussitôt réveillée. La radio, c’est la liberté. Nulle contrainte sinon ce format d’une heure. Cent personnages si ça vous chante. L’espace auditif pour décor, dilatable à souhait. Des voix, de la polyphonie. Et un récit qui, s’évadant de la scène côté jardin, s’insinue partout, rompant les solitudes dans les chambres d’hôpitaux, les cellules de prison ou les alcôves désertées.
La raison pour laquelle j’ai voulu « réunir en livre » ces dix pièces tient au fait qu’écrire pour l’oreille est la même chose au fond qu’écrire pour les yeux. Musset, dans la hantise il est vrai de l’échec public, publiait ses pièces sous le titre Un spectacle dans un fauteuil. Pièces implicitement destinées à la lecture, par conséquent. L’auteur et le lecteur en tête à tête, celui-là contant, et celui-ci, destinataire intime carré dans son voltaire, écoutant en tournant les pages.
Deux des textes proposés ici n’ont pas été diffusés : À gauche de l’horloge, qui donne son titre au recueil, dépasse en effet du double le format standard de France Culture ; et L’Atrapanieblas, comédie écrite pour la scène. Si je me suis permis d’introduire cette dernière dans le club discret et distingué des pièces radiophoniques, c’est d’abord parce qu’elle me fait rire (j’en demande bien pardon), et c’est ensuite parce qu’elle est « moi » - moi comme écrivain, moi comme double comique et dérisoire de moi-même, moi comme doutant d’être moi.
Quant aux autres pièces, tantôt sombres et tantôt (presque) gaies - comme ces pièces d’Anouilh que celui-ci classait en pièces roses, noires, grinçantes ou farceuses - elles reflètent toutes mon goût du jeu, de la fiction qui subvertit la réalité, une certaine tendresse inavouée pour mes semblables (quoique je m’en défende), tout cela visant peut-être à masquer l’effroi que m’inspire parfois la part sombre de moi-même, comme dans Geôle ou dans Exécution... »
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La presse
L’oeuf de Lucas
Pavé de 500 pages publié en pleine saison des romans de plage, A gauche de l’horloge, de Claude Lucas, se révèle plein comme un oeuf de ses dix pièces (ce qui vous fait déjà une jolie bâtisse, presque un manoir - la hantise n’étant jamais loin).
Créés au long des quinze dernières années par France Culture pour huit d’entre elles, elles ont été écrites pour la radio et jouent avec maestria de la liberté grande qu’offrent les ondes, dont celle de renverser le décor d’une seule réplique, ce qui ne les rend que plus vivantes à la lecture sous la lampe. Lucas, auteur du mythique Suerte, qui racontait une vie de braquages et de détention, y prouve la réussite de sa conversion au casse purement métaphysique : contenant l’enivrante inventivité langagière qu’il déployait dans ses romans Ti Kreiz et Une-certaine-absence@gmel.ei, il cisèle ici ses répliques au long de situations de crise durant lesquelles le moindre mot déplacé peut se révéler aussi dangereux qu’un train à l’arrêt, sachant qu’il en cache forcément un autre, en mouvement celui-là.
La vanité d’exister
Un entretien d’embauche mené par les dirigeants de l’agence Job Art, spécialisée dans les professions divertissantes, tourne à la débauche des recruteurs tombés sur un archiviste des plus coriaces (« Job Art ») ; un commanditaire tout à fait unique sirote en son royaume son « camomalt » (une infusion de camomille dorée d’un doigt de single malt) pour oublier que l’on est mercredi, et qu’il vient donc d’envoyer le lumineux Gabriel accomplir sa nouvelle mission d’archange des ténèbres dans une ville portuaire (« Exécution ») ; le code de réservation C3 H5 N3 O9 rend explosif le système informatique d’une gare où tournent en rond des personnages en quête d’autorité (« A gauche de l’horloge ») ; un vieil habitant discret est littéralement effacé de son lotissement peu après l’emménagement du jeune couple « dans le vent » qu’il aimait à épier de sa fenêtre (« La maison d’en face ») ; deux écrivains presque homonymes et fort semblables d’apparence, bien que l’un peine à trouver un éditeur à Paris quand l’autre est une star au Pérou, se mélangent les crayons au point de ne plus bien savoir lequel est l’invention de l’autre (« L’atrapaniebla »)...
Mêlant le cocasse et l’effroi, le rêve et l’absurde, cet incessant combat avec la vanité d’exister produit des incisions sonores aussi nettes et tranchées qu’une toile onirique de De Chirico. Lel ecteur en vient à se pincer pour s’assurer qu’il fait bien partie des fantômes et non pas de ceux qui en ont peur, regrettant d’avoir négligé l’avertissement qui figure en quatrième de couverture : voici « dix pièces à emporter dans l’express à destination d’à côté. (...) Au terminus, sans doute un peu désorienté, [le voyageur] devra s’assurer de n’avoir rien oublié de sa vie personnelle dans le train ». Aucun retour n’est envisageable.
Bertrand Leclair, Le Monde, juin 2017