— Paul Otchakovsky-Laurens

Un état d’urgence

Mathieu Bermann

Louise, une jeune avocate, tombe amoureuse de Maxence. Cela se passe dans un bar, où il travaille, le soir des attentats du vendredi 13 novembre 2015. Bien sûr, Louise est horrifiée par ce qu’elle voit à la télévision et qui se passe à quelques arrondissements de là, comment ne pas l’être ? Mais son désir pour Maxence n’en est pas moins fort.
Louise habite le quartier latin, et Maxence celui de La Courneuve. Elle a des diplômes et il n’en a pas. Elle est célibataire, il s’avère qu’il est en couple. Ils ne devraient rien avoir à faire ensemble et pourtant Louise ne veut rien d’autre qu’être avec lui, qui paraît moins pressé,...

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La presse

Les amants et le carnage


A l’ombre des attentats de novembre 2015, Mathieu Bermann se demande, dans Un état d’urgence, comment on peut aimer quelqu’un... d’autre. Brillant.


A chaud ou à froid, on a déjà lu des tentatives pour redémarrer la machine à écrire après cet engourdissement du désastre instillé par les attentats parisiens de novembre 2015. Mathieu Bermann s’attelle à cette même tâche mais en cuisinant un chaud-froid singulier. A la jointure du public et du privé, l’état d’urgence annoncé par le titre est tout autant celui du "monde alentour" le 13 novembre 2015 que celui de quelques individus particuliers : le narrateur masqué, foutrement proustien, et ses deux personnages principaux, Louise, jeune avocate, et Maxence, serveur dans un bar non loin des faits.


Louise rencontre Maxence le fameux vendredi 13, qui pour elle n’est pas seulement le titre d’un film d’horreur devenu réalité mais, comme au Loto, un jour de chance. Car Louise ce soir-là tombe amoureuse de Maxence qui le lui rendra bien, à sa façon, les jours et les mois suivants. N’étaient quelques différends. Sociaux : moi, avocate, toi, loufiat. Culturels : Louise prétend avoir lu tous les bons livres, Maxence peine à entamer Le Vieil Homme et la Mer, d’autant que, tracas domestique afférent, "où ranger un livre lorsqu’on n’en a qu’un ?" Politiques : Louise, jeune "rebelle" de son temps, se vit de gauche. Maxime, jeune prolo de son epoque, se dit proche du FN.


Mathieu Bermann, remarqué en 2016 avec Amours sur mesure, fait passer le courant entre ces deux pôles, teste la solidité de leurs résistances, quitte à faire péter les plombs Cette entreprise électrisante a du style quand à maintes reprises l’ordre d’une phrase est courtcircuité pour faire passer après ce qui devrait arriver avant, par exemple un mot important comme "convictions" qui inaugure un chapitre intitulé "Ouvrir les yeux".


"J’aimerais écrire ce livre à la manière de Louise dansant devant moi, confie le narrateur, imbécile et heureuse, quand c’est l’exact opposé ". C’est autant un mode d’emploi que les premiers pas d’une chanson d’amour. Un état d’urgence se lit comme on fredonne : tout à fait présent au gré de ses paroles d’actualité, complètement ailleurs quand l’imagination musicale folâtre, notamment sur le corps de ce maxi Maxence qui porte le prénom du marin enchanté dans Les Demoiselles de Rochefort. Autrement dit par Louise à propos de sa catastrophe adorée qui la relie au réel alors qu’elle croyait s’en évader : "La laideur du monde est évidente (...), il n’empêche que Maxence est beau."


Gérard Lefort, Les Inrockuptibles, février 2018




Comptes d’apothicaire amoureux



Mathieu Bermann organise la rencontre d’une jeune avocate et d’un barman mariniste, sur fond de Bataclan et d’état d’urgence



Elégance, intelligence, et luminosité. L’écriture de Mathieu Bermann est si précise et tenue, y compris lorsque son propos est comique, que la page s’en trouve éclairée. L’habileté est requise pour raconter une histoire d’amour entre une avocate, Louise, vivant à Paris, et Maxence, un barman habitant à La Courneuve et qui considère Marine Le Pen comme la meilleure candidate à la presidentielle de 2017. La divergence de leurs opinions politiques apparaît d’autant plus qu’ils font connaissance quelques jours avant la tuerie du Bataclan, qui délie les langues. Il fallait éviter les clichés dans l’exposition de leurs différences et c’est chose faite. Mathieu Bermann, trentenaire comme ses personnages, restitue avec finesse ce qui construit ses héros : pas de sociologie au rabais mais de l’observation bienveillante. Louise ne roule pas sur l’or, elle a grandi à Chantilly, s’y est embêtée et a fugué : Louise n’est pas un roc. Elle est « de gauche » comme tout le monde. Maxence, lui, n’aime pas « les Arabes ».

A un euro près. Mathieu Bermann n’excuse ni n’explique ce racisme : à nous de voir. Ce garçon est orphelin de père et déscolarisé depuis la cinquième : il est né en Martinique, mais est-il noir ou blanc ? On se le demande. Il vit seul avec sa mère dans un appartement « où rien ne provoque la fierté des occupants ni l’admiration des invités ». Il travaille dans un bar d’hôtel, il est perdu, apathique, et dit au sujet de son inclination politique : « Les autres n’ont rien fait pour moi ni pour ma mère. » Comment Louise découvre-t-elle son univers impitoyable ? Dans l’après-coup, car sur le moment elle voit flou. Maxence par exemple est à un euro près : « Mais ce qui apparaît à Louise comme étant avant tout d’un autre temps relève davantage d’une autre réalité sociale, ouïe manque d’argent n’est pas exclusif à l’adolescence. » Un état d’urgence, second roman de Mathieu Bermann, est aussi un tableau des relations sentimentales actuelles. On ne se doit rien et les étreintes sont molles. Mais parfois, au diable l’époque, le texte nous rappelle les constantes d’un coeur amoureux : Louise « passe son temps à ne plus y croire, tout en ne cessant, bien sûr, d’espérer. Mais on sait ce qu’est l’espoir en amour : l’enfer ». Ou encore : « Avec humour, mais nul n’ignore ce que cache pareil tact, Louise tient des comptes d’apothicaire, autant dire d’amoureux. » Un état d’urgence : ce titre renvoie aussi bien à l’état d’exception justifié par l’attaque terroriste qu’à la vulnérabilité d’un sujet amoureux.

Collage. Le greffier de cette rencontre du troisième type entre Maxence et Louise est un ami écrivain de la jeune femme. Il ne manque pas d’humour lui non plus. Il est pour Louise un confident et parfois dort avec elle. « On a couché ensemble? » lui demande-t-elle au lendemain de leur première nuit. « Euh... Non. Sur cet oubli, ou ce déni, s’est construite notre relation. » Ce narrateur anonyme est un bon écrivain. Il s’amuse un jour à mettre bout à bout les mots et les gestes de Maxence que Louise lui a rapportés. Le collage tient en une page : c’est un volontaire et remarquable pastiche de Christine Angot.



Virignie Bloch-Lainé, Libération, mars 2018

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Mathieu Bermann, Un état d’urgence, Un état d'urgence Mathieu Bermann janvier 2018

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