— Paul Otchakovsky-Laurens

Traversée

Prix Senghor du premier roman francophone 2018
Prix [du métro] Goncourt 2018
Prix Mac Orlan 2019

Francis Tabouret

Francis Tabouret exerce un curieux métier : il est convoyeur d’animaux à travers le monde...en avion, en bateau, il veille au bon acheminement de chevaux, principalement, mais aussi de moutons, de vaches, de taureaux...
Le voyage dont il est question ici a eu lieu fin 2014, à bord du porte-conteneurs Le Fort Saint-Pierre et le texte raconte le quotidien du narrateur et celui des animaux dont il a la charge, de la nourriture à la santé. C’est une observation de tous les instants. Le moindre tressaillement, le changement de comportement d’une bête peuvent être révélateurs d’un début de maladie, d’une déshydratation dangereuse, etc. Et puis il y a la vie à bord,...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Traversée

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Le curieux récit d’un convoyeur d’animaux, voyageant entre la Normandie et la Guadeloupe



On connaissait l’arche de Noé ; voici le porte-conteneurs de Francis Tabouret. Convoyeur (entre autres) de chevaux - en avion comme en bateau - celui-ci se présente comme « une sorte de steward équin », chargé d’acheminer les bêtes à bon port. Fin 2014, notre homme embarque en Normandie à bord du Fort Saint-Pierre, au milieu des conteneurs. L’équipage suivra « les courbes de la Seine » avant de prendre le pont de Tancarville et de partir sur l’Atlantique. Destination : Pointe-à-Pitre. C’est cette odyssée que nous conte l’auteur dans ce premier livre aussi étonnant que captivant. A la manière d’un classique journal de bord, Traversée se concentre sur la mer (cette « autoroute qui avancerait avec le camion »), sur les moindres recoins du bâtiment et sur les marins qui l’habitent. Francis Tabouret décrit ainsi le bateau comme « un monde de ponctualité et de routine », avec ses horaires bien déterminées. Mais les plus belles pages de ce récit sont certainement celles où il s’attarde sur les animaux, qu’il personnalise remarquablement - citons la pouliche baptisée « Anonymement », mais aussi les taureaux « Imposant », « Hamster » et « Indigo » (lequel aura beaucoup de mal à supporter le voyage). Pour la magnifique simplicité de ton, on pense alors à certains livres de Jean Rolin - il y a pire comme nom d’oiseau...


Baptiste Liger, Lire, 28/3/2018





La mélancolie des cargos



Faut-il pour qu’il soit captivant qu’un livre contienne mille péripéties et retournements ? Si l’on prend pour décor un cargo en mer, l’imaginaire devra-t-il faire craindre le naufrage, une attaque de pirates, une épidémie de scorbut ? Francis Tabouret avec un premier livre captivant, démontre le contraire, la douceur de son récit se révélant plus forte que mille dangereuses aventures.
« Pourquoi n’y a-t-il pas de littérature des mers calmes ? », écrit son narrateur au cours de sa traversée de l’Atlantique dans des circonstances bien peu touristiques. Il est soigneur, « convoyeur pour animaux », chargé d’accompagner dans les soutes des avions les chevaux voyageurs. Jusqu’à ce que des fermetures de lignes cargo aériennes modifient les conditions de transport et l’obligent à opter pour le bateau pour franchir l’océan, direction les Antilles : « Treize jours d’eau. » Une écriture au long cours de Rouen à Fort-de-France, où la rêverie côtoie la trivialité du quotidien.
Quinze moutons, huit taureaux et huit chevaux : une arche de Noé miniature, « ferme embarquée » sur un « bateau qui est comme un monastère ». Traversée est le journal de bord de ce voyage, une écriture au long cours de Rouen à Fort-de-France, où la rêverie côtoie la trivialité du quotidien. La poésie commence dès le port, dans la préparation du matériel, le ballet des engins et l’alignement baroque de couleur des conteneurs, bleus, rouges, blancs, gris, verts, orange, ou jaune canari, comme les quatre siens, des « bétaillers ».
Après le départ, on s’apprivoise hommes ou animaux. Les sensations sont comme décuplées bruits, odeurs, images. « Il y a les noms mais il n’y a pas le langage (...). C’est un langage des yeux. » La simplicité de son évocation touche au coeur quand il évoque son soucis de ses protégés, sans candeur ni excès. Les gestes sont simples : changer les litières, nourrir, soigner, observer, rassurer. « Il faut le calme, il faut le temps, la répétition. Le métier est défaire de ce monde de férraille et d’eau, de saillies et de trous, d’un peu de rouille, de dangers, de faire que ces quatre boîtes et de cette petite cour au fond des si hautes piles un monde d’humanité et d’animalité, une chaleur et un chez-soi. » II y a la vie en haut, les jours et les nuits à l’étrange beauté, dans la solitude d’une mer étale. Ni passage ni équipage, le narrateur apprend à se frayer un chemin sur le bateau, cette chose trop grosse, « en proportion avec la mer », avec ses codes et usages, ses hommes rompus à Ia claustration dans le plus grand des espaces ouverts.
Et il y a l’écriture de ces impressions. « Que faire avec tant d’eau. Je veux dire, qu’écrire ? Je crois qu’il me faut des villes, qu’il me faut des montagnes, des choses qui se cachent, des choses qui se découvrent. Que voulez-vous découvrir dans une immensité d’eau ? »
L’arrivée et la fin d’une intimité singulière avec ces animaux son brutales. Il aurait voulu retenir le départ, prolonger, profiter encore de la grâce puisée dans le regard des chevaux et le calme de la mer. Comme Frédéric Moreau que Flaubert évoquait à propos d’autres voyages et d’autres intimités : « Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues. Il revint. Il fréquenta le monde, et il eut d’autre, amours, encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendai insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. »


Sabine Audrerie, La Croix, mars 2018





Histoire d’un livre



Journal de bord du temps long



Récit surprenant du quotidien d’un soigneur d’animaux dans une ferme flottante entre Rouen et les Antilles, Traversée est à la fois le premier livre de son auteur et l’un des tous derniers édité par Paul Otchakovsky-Laurens, disparu au début de cette année dans un accident de la route. L’ironie est cruelle, car le port d’arrivée du Fort-Saint-Pierre, le porte-conteneurs au coeur du récit de Francis Tabouret, ne se trouve qu’à quèlques milles nautiques de Marie-Galante, l’île où le fondateur des éditions P.O.L a trouvé la mort.
Journal de bord du temps long, dans la compagnie de bêtes qui ne verront jamais la mer (barrée par des murs de conteneurs), Traversée devient au fil des pages une méditation poétique sur le temps, l’horizon, le mouvement : « Tous les jours, on vous rajoute une heure. Tous les jours une nouvelle heure vient s’enfiler à votre collier d’heures. Et on porte ses heures sur soi. Quand on se lève, quand on se couche. »
Mais, cependant, le plus impressionnant dans ce court et beau premier texte où il ne se passe quasi rien, tient à la maîtrise époustouflante du rythme de la narration. A la précision redoutable de chaque mot, infusé d’expérience, de langueur, de vision. Et comme le narrateur, on voudrait « ne pas s’approcher encore, s’arrêter juste là, dans cette eau, à distance, mouiller quèlques jours au large ». Et repartir avec les moutons, les chevaux et les taureaux, dans l’odeur de l’écurie, des marins et de la mer.




N. C. A., Le Monde des livres, le 28 juin 2018.

Et aussi

Francis Tabouret Prix Mac Orlan pour "Traversée"

voir plus →

Vidéolecture


Francis Tabouret, Traversée, Traversée Francis Tabouret février 2018