— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Prières

traduit de l’italien par Louise Boudonnat
Prix Marco Polo Venise 2022

Marco Lodoli

« Mes pauvres vagabondent solitaires dans Rome, à la recherche de quelque chose de plus grand qu’eux : au bout du compte, il ne s’agit probablement qu’un peu d’amour, parce que l’amour efface les étroites limites de l’existence. »

Les Prières réunit trois romans inédits en français : Le Fleuve, Paolina, Proviseur.

Dans Le Fleuve, Alessandro erre la nuit à la recherche de l’homme qui a sauvé son fils de la noyade. Paolina, quinze ans, chemine seule dans la ville à la recherche des trois hommes avec qui elle a fait l’amour, et elle a jusqu’au soir pour savoir si elle gardera ou non...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Les Prières

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Les Prières : La Grand-messe de Marco Lodoli


Au cœur des Prières, nouveau livre de Marco Lodoli, un personnage, essayant tout à trac d’imaginer de quels mots il peut s’agir quand à la messe on confie au Seigneur « Dis seulement une parole et je serai guéri », propose « Un nid pour tous ». Est-ce la forme même, celle d’un nid textuel, que Lodoli choisit pour Les Prières qui se compose de trois courts romans, comme avant lui Les Fainéants, Les Prétendants et Les Promesses ? Toujours est-il que la publication des douze textes regroupés en quatre volumes se sera étendue sur plus de trente ans, et l’écrivain romain confie en préambule du dernier qu’un titre pour l’ensemble « vibre dans [sa] tête telle la dernière et pathétique corde pincée par un vagabond sur une place déserte » : Les Pauvres.


Lisez l’intégralité de l’article de Guillaume Augias sur Diacritik (10 septembre 2021).



Prières pour les pauvres

Marco Lodoli livre une nouvelle trilogie romanesque, envoûtantes équipées de personnages tendus par l’exigence d’une inaccessible vérité.


Pour qui n’a encore jamais franchi le pas, entrer dans l’univers de Marco Lodoli impose d’abandonner quelques repères et de se laisser entraîner dans le vagabondage de ses personnages. Une errance toute relative, masquant plutôt itinéraire obstiné de celui - ou celle - qui, à tâtons, tente désespérément d’atteindre ce qui le dépasse. Et, peut-être, le libérera. Ces batailles intimes se livrent sur une carte de Rome précise, dans cette ville où l’auteur est né en 1956 et où il a toujours vécu, enseignant l’italien dans un lycée de sa banlieue.


Des mots simples, pas d’effets de manche. Marco Lodoli transporte le lecteur avec un naturel saisissant.


Après une première trilogie (Les Débutants, Les Prétendants et Les Promesses), cet écrivain encore trop peu reconnu en France offre avec Les Prières une nouvelle fascinante trilogie romanesque. D’abord, Le Fleuve, ce Tibre jamais nommé qui un jour engloutit le fils d’Alessandro et lui rend par miracle. Un inconnu a plongé. Alessandro n’a pas bougé. Pour expier cette irréparable faute de père, son fils l’oblige à partir à la recherche de celui qui l’a sauvé et s’est aussitôt éclipsé. Tandis que le fils dort à l’arrière de la voiture, une quête nocturne s’engage, pleine d’embardées dans les marges (un cirque, une étrange fête dans un palais romain, le cabinet d’un médecin exerçant auprès des laissés-pour-compte...).

Ensuite, Paolina, 15 ans, que sa mère n’aime pas, que l’école n’aime pas, mais qui n’aime rien tant que courir, courir droit devant elle - ce qu’elle fait très bien. Le médecin vient de le lui annoncer : Paolina attend un enfant. II faut qu’elle revienne avant la nuit pour lui dire si elle veut le garder ou pas. Paolina n’en sait rien, elle a peur. Alors elle aussi s’engage dans une quête qui l’emmène auprès des trois garçons auxquels elle s’est donnée, une fois

Enfin, «LeProviseur», vieil original qui au soir de sa carrière, écoeuré de n’avoir su faire en sorte que l’école enseigne l’essentiel, décide de cadenasser toutes les issues de son établissement et de s’enfer mer dans son bureau avec son fusil de chasse. Sans l’avoir voulu, il a pris en otages une enseignante et l’un de ses élèves. En bas, au milieu des cars de police et des badauds, au pied des puissants projecteurs et des caméras braquées sur sa fenêtre, un commissaire hurle qu’il lui faut être raisonnable.

Trois courts romans, trois tentatives éperdues d’épuiser le sens d’une vie, de tirer un fil au milieu du chaos, ravauder les béances du temps et stopper l’effilochement des êtres. Avec un peu d’amour, juste un peu de générosité, on ferait tant de belles choses. Les «pauvres»de Marco Lodoli, tels qu’il les nomme lui-même, n’en demandent pas plus.

Sous la plume de sa traductrice Louise Boudonnat, les textes de l’écrivain romain, par ailleurs chroniqueur dans les colonnes de La Repubblica, gardent toute leur magie enveloppante et leur poésie sans atours. Des mots simples, pas d’effets de manche. Marco Lodoli transporte le lecteur avec un naturel saisissant. Les phrases glissent avec ses personnages au gré des pensées, des réminiscences, passent sans crier gare du réel à l’onirique. L’écriture se plaît à abolir cette frontière artificielle non pour égarer, mais ouvrir des espaces intérieurs, inexplorés, et mettre sur le chemin de vérités universelles. Quelques scènes sont traversées d’extravagances felliniennes. On les accueille comme on retient un rêve au bord du lit.


Arnaud Schwartz, La Croix, 7 ocotbre 2021