Un roman inspire un fait divers, qui devient un roman. Telle pourrait être la formule de ce livre qui retrace l’histoire du premier grand kidnapping français qui agita le pays en 1960 avant de découvrir qu’il était calqué mot pour mot sur un roman américain de la Série noire !
Un jeune ouvrier, revenu de la guerre d’Algérie et reconverti dans la vente d’électrophones, se jette dans les nuits parisiennes où son pouvoir de séduction fait des ravages. Il rencontre une jeune reine de beauté danoise qui découvre Paris en traînant aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés en compagnie d’Anna Karina. Tout bascule avec un escroc de 39 ans, antisocial...
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Un roman inspire un fait divers, qui devient un roman. Telle pourrait être la formule de ce livre qui retrace l’histoire du premier grand kidnapping français qui agita le pays en 1960 avant de découvrir qu’il était calqué mot pour mot sur un roman américain de la Série noire !
Un jeune ouvrier, revenu de la guerre d’Algérie et reconverti dans la vente d’électrophones, se jette dans les nuits parisiennes où son pouvoir de séduction fait des ravages. Il rencontre une jeune reine de beauté danoise qui découvre Paris en traînant aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés en compagnie d’Anna Karina. Tout bascule avec un escroc de 39 ans, antisocial viscéral, qui met la main sur un livre de la Série noire qui le révèle à lui-même. Au gré des rencontres, des voyages entre Copenhague et la Côte d’Azur, ces trois personnages que rien ne destinait à réunir, vont se retrouver au coeur de l’affaire la plus retentissante du début de cette décennie 60. S’appuyant sur une enquête approfondie et des documents judiciaires inédits, le livre se déploie comme un roman policier qui peu à peu se déplace sur une autre scène, où la littérature et le cinéma deviennent les vrais protagonistes de l’histoire. On y croise Antonioni au festival de Cannes, Anna Karina, Françoise Sagan, Kenneth Anger, Jean-Jacques Pauvert, Simenon, Histoire d’O et les tournages de Clouzot et de Truffaut. On y rencontre le monde des artistes de music-hall, des concours de beauté. Une France où les médias de plus en plus puissants prennent désormais en charge l’entier récit des événements. Une enquête autour de photos passées à la loupe et de scènes de films dont on découvre l’envers du décor. Une investigation sur les puissances de la fiction et les frontières de plus en plus floues entre la réalité et ses images.
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L’imaginaire au pouvoir
France, années 1960 : des kidnappeurs s’inspirent d’un roman policier pour enlever l’héritier Peugeot. Dans Série noire, Bertrand Schefer mène l’enquête et donne à voir les liens entre fiction et réalité.
Le quatrième roman de Bertrand Schefer fait partie de ces livres dans lesquels on a envie de se replonger dès la dernière phase achevée, pour mieux saisir tel élément de l’intrigue, tel détail qui nous aurait échappé. Série noire s’ouvre sur la treizième édition du Festival de Cannes et le désastre de la projection de L’Avventura d’Antonioni, ce "faux film policier" prémonitoire, en quelque sorte, de l’histoire à venir. En arrière-plan des festivités, parmi la foule des prétendants au succès, deux quidams se rencontrent. Dorothy, jeune mannequin danoise prise au piège de sa position fragile d’étrangère, croit trouver chez Roland, avocat réputé, sa planche de salut. Elle épouse celui qui se révèle être un escroc et se retrouve impliquée malgré elle dans une affaire retentissante, qui tint la France en haleine pendant des années : le kidnapping du fils héritier de la famille Peugeot, fleuron de l’automobile française.
Excellent polar qui s’appuie sur une enquête approfondie et des documents inédits. Série noire est un roman passionnant sur les pouvoirs de l’imaginaire, du cinéma et de la littérature, véritables protagonistes de cette histoire. Il fut avéré lors du procès que les kidnappeurs avaient calqué leurs actes -mot pour mot- sur un polar américain de la collection Série noire. On apprend aussi que l’un des deux avait investi une partie de la rançon dans la production d’un film érotique. Kenneth Anger avait tourné plusieurs scènes de son adaptation d’Histoire d’O. grâce, en partie, à l’aide financière du ravisseur. S’appuyant sur un entretien que le cinéaste d’avant-garde accorda aux Inrockuptibles en 1997, Série noire révèle aussi la dimension politique de l’affaire, quasi -scandale d’Etat dont on ne révèlera pas ici les détails. Le roman décrit enfin le basculement du pays dans une nouvelle époque, ce moment où le storytelling s’imposa dans les médias de masse, où le fait divers vint nourrir le grand écran et vice-versa.
À l’efficacité du polar qui énumère les faits, l’auteur allie une forme remarquable d’ellipse, proche du haïku japonais. Un minimalisme qui lui permet des digressions éclairantes. Schefer est au fond un moraliste, dans la grande tradition littéraire du terme.
Yann Perreau, Les Inrockuptibles, août 2018
Histoires d’un rapt
Bertrand Schefer signe la reconstitution palpitante d’un kidnapping retentissant. Une façon de réfléchir aux rapports entre fiction et réalité.
Au dos du livre, pas un mot sur l’auteur (Bertrand Schefer, 46 ans, quatre romans au compteur, celui-ci compris, depuis 2012 : Cérémonie, La photo au-dessus du lit, Martin), aucun résumé. Seulement cette phrase : "Pour une fois, c’est le roman qui inspire un fait divers.". En quelques mots, tout est dit. Schefer revient en effet ici sur "l’affaire la plus retentissante de la décennie" : celle, dans les années 60, du kidnapping de l’héritier, un garçonnet, de la famille Peugeot. Le procès des deux ravisseurs mettra au jour leur source d’inspiration : l’idée de l’enlèvement de l’enfant est née à la lecture de Rapt, un roman policier américain de la Série Noire de Gallimard, signé Lionel White... "Rien de tout cela ne serait arrivé s’il n’y avait pas eu ce livre." Ce polar leur a littéralement servi de mode d’emploi, les kidnappeurs le suivant au mot près (même les termes de la demande de rançon sont copiés-collés de la missive fictive imaginée par l’écrivain américain, comme on le voit pages 121-122 avec la mise en vis-à-vis des deux courriers !). Bertrand Schefer excelle à rendre l’atmosphère si particulière de cette époque (les belles carrosseries -Impala, Thunderbird, Dauphine-, Sagan, Simenon, L’avventura d’Antonioni, Histoire d’O, l’actrice Anna Karina, le milieu interlope du music-hall entre vrais artistes et faux mondains...), à faire revivre, entre Paris, la Côte d’Azur et Copenhague, ces personnages réels aux trajectoires incroyables : le duo de ravisseurs d’abord, Roland de Beaufort, séducteur, flambeur, mythomane et Pierre Larcher, un escroc un peu beaucoup sociopathe, en fait le véritable cerveau de l’opération, mais aussi, ne l’oublions pas, Lise Bodin, une reine de beauté danoise, la compagne de Roland.
D’une manière très minutieuse, documentation fouillée à l’appui, Schefer se livre à une véritable reconstitution des faits, interrogeant la portée de ce fait divers curieusement oublié : "Notre enquête porte sur cet oubli-là, sur des figures destinées à l’oubli, effacées par un temps qui, s’il n’est pas dans la nuit de l’histoire, est dans un clair-obscur, ou mi-ombre mi-lumière, comme ne sachant pas, ne parvenant pas à se déterminer. Ce sera donc aussi l’histoire de la disparition d’un événement." Son récit est donc à plusieurs facettes ; en même temps qu’il expose de subtiles études de caractère et le sénario abracadabrantesque de cette affaire, il montre comment ce fait divers qui a défrayé la chronique pendant un an, tenant en haleine les Français médusés, fait basculer les mentalités dans une fascination médiatique trouble dont nous ne sommes plus jamais sortis depuis, bien au contraire. La frontière entre fiction et réalité n’a de cesse d’être toujours plus poreuse. L’une et l’autre s’entrelacent, s’emmêlent jusqu’à se confondre et c’est en fin de compte ce que nous raconte ce livre palpitant : le vertige de cette confusion.
Anthony Dufraisse, Le Matricule des Anges, septembre 2018