— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Yeux de Mansour

Prix Assia Djebar 2019
Prix Révélation 2019 de la Société des Gens de Lettres

Ryad Girod

Riyad. Arabie Saoudite. Un homme, Mansour, est sur le point d’être décapité sur Al-Safa Square. Son ami, le narrateur, est le témoin halluciné et impuissant de cette exécution. Qui est Mansour ? Un idiot magnifique qui roule dans le désert en Chevrolet Camaro rouge, descendant de l’émir algérien Abdelkader (qui défia la colonisation française au XIXe siècle, et finit par se rendre et s’exiler en Syrie). Il traîne dans le petit milieu expatrié, assiste à une visite du président français François Hollande, et connaît une cruelle et mystérieuse histoire d’amour...
Tout le roman tient dans la voix du narrateur, un...

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Traductions

Danemark : Jensen & Dalgaard | Norvège : Cappelen Damm | USA : Transit Books

La presse

Les Yeux de Mansour de Ryad Girod, cantique pour l’Arabie


Par le regard d’un Syrien exilé en Arabie saoudite, Ryad Girod offre une méditation romanesque sur l’identité arabe et les paradoxes du monde musulman.



La vie est une fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien... La formule de Shakespeare, reprise par Faulkner dans Le Bruit et la Fureur, pourrait être un résumé du roman de Ryad Girod. Composant un chant allégorique moderne, l’écrivain conte l’histoire de Mansour, Syrien exilé à Riyad. Cette figure d’idiot magnifique va endosser tous les non-dits de son intrigue, ouvrant au lecteur une porte d’accès à ce qui n’est plus exprimable ni même saisissable de l’Islam et du monde musulman aujourd’hui. Une réflexion à laquelle l’Arabie saoudite, zone grise de tous les paradoxes, lieu de rigorisme et de progressisme, vient offrir un cadre idéal.

Que voit Mansour, les yeux perdus dans l’immensité du désert saoudien ou balayant Riyad et ses paradoxes? Quelle richesse inaccessible à l’humain s’offre à ses yeux clairs, les mêmes grands yeux et inquiétants yeux bleus que ceux du prince Mychkine ? Cette énigme traverse de part en part ce livre à la beauté envoûtante.

Mansour va être exécuté. Comme le Plume d’Henri Michaux, son imperméabilité aux logiques du monde a causé sa perte : condamné pour hérésie, il sera décapité dans quelques minutes, place Deera. Quelques minutes pour ramasser une grande part de l’histoire des peuples arabes, tenter de "saisir quelque chose à ce monde évoluant à toute allure" ou "d’en accepeter la monstruosité et se contenter d’en comprendre une infime partie, celle qui est à notre taille, et à la rigueur de renoncer à ce qui est plus grand que nous et d’entamer enfin une existence sans prétention, sans grandes aspirations, celles que les larges avenues de Riyad nous enjoignaient de poursuivre, de mall en mall, à bord de luxueuses voitures sans nous préoccuper du reste".

Le texte avance en cercles concentriques, en Algérie, en France, au Moyen-Orient, invitant à une méditation sur une identité souvent dévoyée, citant par exemple des vers du grand Ibn Arabi : "  La religion que je professe / Est celle de l’Amour./ Partout où ses montures se tournent / L’amour est ma religion et ma foi. "

L’écrivain algérien Ryad Girod, professeur de mathématiques à la ville, enracine cette quête dans les trésors de la connaissance soufie. On en découvre de grandes figures (le médecin Avicienne, le philosophe Al Fârâbî), y compris celles politiques et militaires dont on méconnaissait le mysticisme, tel Abdelkader Al Jazaïri, grand résistant de l’invasion coloniale française en Afrique du Nord à partir des années 1830.

Méditation poétique qui fait tourbillonner époques et pensées comme la danse giratoire des soufis, le roman est tout autant ancré dans le présent. Il fait le constat du matérialisme roi et d’une réalité géopolitique volatile, âpre à relier à un passé glorieux, dans une ville où semble se jouer le destin du monde. En témoigne une scène tragicomique, réception "en l’honneur de la visite de Monsieur le Président de la République française François Hollande et toute sa troupe de ministres" au Royaume d’Arabie saoudite le 30 décembre 2013; réunion bien réelle où il fut question du sort de la Syrie entre deux petits-fours.

A l’occupation du devant de la scène et de la parole par les dirigeants du monde, Ryad Girod offre le contraste du retrait métaphysique. Il invite à se tourner vers la phrase scandaleuse de Mansour - " je sui Lui " -, Mansour l’idiot capable peut-être, tel un saint, d’élucider le désordre du monde.


Sabine Audrerie, La Croix, 21 mars 2019



Une étrange défaite


Dans une langue époustouflante, le romancier algérien s’interroge sur la violence et l’autodestruction qui a saisi le monde arabo-musulman.


Pour comprendre ce qui se passe présentement de l’autre côté de la Méditerranée, à Bejaïa, Alger et Oran, où le Maghrébin rétablit "son identité berbère en faisant table rase de son arabité contrariée", on peut lire le journal du matin. En quête d’une lumière venue de plus loin, on peut également s’intéresser aux romanciers de la "génération d’octobre" dont nous avons signalé l’importance dans ces colonnes en septembre 2018. remaqruée en France par Kamel Daoud, cette génération littéraire englobe une volée décrivains arrivés à l’âge adulte au moment des manifestations d’octobre 1988 qui ont débouché sur l’adoption d’une nouvelle Constitution, la victoire des candidats du Front islamique du salut (FIS) au premier tour des législatives de 1991, l’annulation du scrutin et une guerre civile de dix ans. Parmi eux, Adlène Meddi, Samir Kacimi, Samir Toumi et Ryad Girod, dont un premier roman a été publié à Paris par José Cortin, mais dont les éditeurs ont tardé à faire connaître le travail soutenu en Algérie par Barzakh.

Ryad Girod, c’est une voix. Et cette voix a été entendue par le poète et romancier Frédéric Boyer, qui le publie aujourd’hui chez P.O.L Les Yeux de Mansour, le trosième roman de l’écrivain alégrien, se déroule à Riyad, en Arabie Saoudite. Employé dans une entreprise immobilière, le narrateur assiste à la décapitation sur la grande place de Dirah de son ami et collègue architecte Mansour al-Jazaïri. "Les téléphones portables sont sortis, certains commencent à filmer et l’on entend déjà, ici et là, Gassouh ! Gassouh ! Coupez-le ! Coupez-le !"

Tandis que le bourreau prépare son coran et son sabre, le narrateur se souvient des événements qui se sont enchaînés pour en arriver à ce drame. Ancien du lycée français de Damas avec lui, Mansour est le rejeton d’une famille illustre, l’arrière-arrière petit-fils de l’émir Abdelkader, le chef de la résistance à l’invasion française de l’Algérie, guerrier et savant musulman mort à Damas en 1883, enterré près du maître Ibn Arabi, le sage soufi du XIIe siècle, jusqu’au transfert de ses cendres à Alger en 1965.


Un subtil jeu d’échos
Héritier de la science des initiés, Mansour al-Jazaïri a été condamné pour hérésie après avoir prononcé ces simples mots : "Je suis Lui."Qui est comme Dieu ?"Comme si rien de grand ne pouvait plus, ou même ne devait plus, provenir d’un autre Arabe. Hormis le Prophète, tous les autres devaient rester à l’état de Bédouins vicieux, rustres, sans culture et sans grandeur. Trop sales et trop impies pour s’approcher de Lui et L’aimer... Devaient endurer le mépris et la sévérité d’un créateur intransigeant et lointain."

Ecrit dans une langue envoûtante qui déroule ses sortilèges au fil d’un subtil jeu d’échos, de réminiscences et de répétitions, Les Yeux de Mansour célèbre l’héritage soufi contre l’islam noir et violent en rappelant que tout peuple qui perd une pensée "se rue inévitablement dans la violence et l’autodestruction". C’est fort, subtil et merveilleux.


Sébastien Lapaque, Le Figaro, mars 2019



Nouveau monde arabe


Les yeux de Mansour est le troisième roman de l’écrivain algérien Ryad Girod. Écrit en français, il est entrecoupé de passages en arabe. La maison d’édition qui l’a publié l’automne dernier, Barzakh, est installée à Alger et a vendu ses droits à P.O.L, qui l’a publié en France le 7 mars dernier. L’histoire se déroule en Arabie saoudite. Les personnages sont deux jeunes Syriens, une Franco-Libanaise, un Australien, mais aussi l’émir Abdelkader et le mystique Mansur al-Hallaj. Autant dire que Les yeux de Mansour est le roman du nouveau monde arabe, où « tout était devenu trop compliqué à comprendre ».



Retrouvez l’intégralité de cet article de Pierre Benetti sur le site de En attendant Nadeau.

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