— Paul Otchakovsky-Laurens

Mausolée

Louise Chennevière

« C’est là, au seuil de la ville, immense, tentaculaire, de cette première nuit sans toi, que j’ai commencé à comprendre. Combien je t’aimais. »

Être amoureuse, follement, comme on peut l’être à vingt-cinq ans, et finir par être abandonnée. Connaître les doutes, les mensonges, les lâchetés, la jalousie. Histoire fatale et banale, familière. Celle des romans d’amour. Celle des amoureuses de tous les livres. C’est à la fois l’histoire de la narratrice du roman de Louise Chennevière, et l’objet de sa révolte. Une jeune femme indépendante, soucieuse de vivre sa liberté, se retrouve...

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Traductions

Espagne : Dos Manos

La presse

Après l’amour

Certaines phrases restent inachevées, interrompues en plein cœur par un point abrupt. D’autres restent en suspens, arrêtées sur une virgule suivie d’un blanc. Le récit avance ainsi, par à-coups, rétif. Quelque chose résiste dans ce livre tout en mise en abyme. Le « Mausolée » que l’on lit – on pense à Guibert – contient celui en train de s’écrire, ce texte que la narratrice déverse presque malgré elle, à la fois dans une forme d’urgence et de refus. Elle souhaite, par ce geste aussi beau que vain, enfermer dans un mausolée de papier l’homme qu’elle a follement et sensuellement aimé, garder à jamais celui qui a fini par la quitter. Le retenir et le détruire dans un même mouvement. Chanter l’amour et dire le kitsch éculé de ce chant dans un même élan, ce chant « écrit par celle que tu avais faite de moi », dit-elle. « Celle que je m’étais toujours promise de ne jamais devenir, car je savais depuis trop longtemps, depuis toute petite, comment finissent les romans d’amour, et comme elles étaient, toujours, à la fin, éperdues, abandonnées, les femmes. Mortes. » Pour ne pas rejoindre la cohorte littéraire d’amantes délaissées, les Anna K. et autre Emma B., elle écrit, dans un corps-à-corps tendu avec les mots. Une lutte éperdue que Louise Chennevière remporte par K.-O.

Elisabeth Philippe, L’Obs, août 2021



Louise Chennevière Mausolée

«Peut-être […] parce que les mots ne peuvent que ressasser des poncifs, charrier des clichés, que la parole n’est qu’un chaudron fêlé, impuissante à saisir l’absolue singularité […].» Avec Mausolée, son deuxième roman, Louise Chennevière s’attaque hardiment à ce sujet traité depuis des siècles et à haut risque : la peine d’amour. Deux ans après une rupture douloureuse, la narratrice, une fille de 25 ans, revoit brièvement, dans une ville au bord de la mer, l’homme qu’elle a aimé. En fait elle l’aime toujours. Pendant deux ans elle a écrit, bâti un monument de mots pour détruire cet amour prétendument défunt, décortiquer son désarroi. Les pages du livre en cours s’éparpillent, comme des vêtements jetés au sol. Louise Chennevière dit avec lucidité et profondeur ce qu’est une passion amoureuse quand on est une femme d’aujourd’hui qui se veut autonome, à une époque où le modèle d’Anna Karénine fait surtout froid dans le dos. Ici c’est le manuscrit enchâssé dans le roman qui est ¬condamné, il ne sera pas fini, la narratrice le sait.

Frédérique Fanchette, Libération, 28 août 2021



Orphée féminin

Le deuxième roman de Louise Chennevière est un texte non dédicacé et pourtant infiniment adressé et dédié. Roman d’amour qui s’écrit à rebours, Mausolée est plein de sa fin, dont la narratrice traque les signes depuis ses débuts, et s’achève sur l’heureuse scène de la première rencontre. À travers une langue à la fois lyrique et corrosive, la narratrice retraverse le cours de son itinéraire amoureux et vient en re-signifier les contours. Loin de se condenser dans ces heureux retournements narratifs, le récit exprime tout du long ses enrayements successifs, sa propre difficulté à s’écrire.


Mausolée s’ouvre sur une scène insituable, qui dit le renversement d’une parole à travers l’inversion d’un geste, celui de se retourner. Au cœur d’une nuit et du silence, comme une façon de ne pas disparaître tout à fait, la narratrice déploie ses souvenirs et inaugure le récit d’un amour tout juste passé. Ce n’est plus l’être aimé, abandonnant son amante, qui jette un dernier regard en arrière, c’est elle qui se retourne vers son amant qui disparaît. Louise Chennevière ne rejoue pas simplement le mythe orphique, elle le déplace. Loin d’assumer le mutisme d’une Eurydice, la narratrice abandonnée de Mausolée parle. Et, à l’image de cette inversion de la figure d’un Orphée au féminin, toute la suite du texte paraît s’écrire à l’aune de cette réversibilité salvatrice.


Lisez l’intégralité de l’article de Anna-Livia Marchaison sur En Attendant Nadeau(8 septembre 2021)



Un « Mausolée » dont jamais je ne te laisserai partir

Une jeune femme follement amoureuse finit par être quittée.
Louise Chennevière tisse le récit d’un amour perdu, sans pathos ni clichés


« C’est peut-être à cause de ton prénom, un si beau prénom. C’eût été peut-être plus facile de t’oublier s’il avait pu désigner, un autre que toi, si j’avais pu en changer à l’envie, le contenu, un autre corps, un autre cul. Mais il ne dit rien d’autre que toi, te dit tellement mieux que ne pourraient jamais te dire aucun de ces milliers de mots que j’avais amassés là, sur la page, humiliés par ces quelques syllabes de rien du tout, ton nom. Que j’ai crié cette nuit, comme alors. Mais, je pourrais, gueuler tout ce que je veux, écrire, tu ne reviendrais pas ».

On ne saura pas comment il s’appelle. Ni elle. Elle, qui tout au long de « Mausolée » (titre dont il n’est pas interdit de penser qu’il tend vers « Le Mausolée des amants » d’Hervé Guibert), le deuxième roman de Louise Chennevière, décline avec ardeur, sans trêve ni répit, le chemin de croix du chagrin d’amour, de son temps dilaté.


L’éternel retour


L’histoire commence ainsi, par cette « scène initiale », inoubliable : l’abandon. Une jeune femme de vingt-cinq ans voit partir son amant, aimé d’un de ces amours si total qu’il a fait jusque-là l’économie d’être nommé ; un de ces amours pour lequel il faudrait trouver d’autres mots que l’amour... la passion, peut-être. Mais c’est avec lui qu’elle demeure, avec son souvenir qu’elle vivra tout de même chaque jour, chaque heure, chaque nuit, seule ou en vaine compagnie, dans une sorte d’atroce présent, d’éternel retour. Deux ans passent sans passer vraiment, où elle s’interdit de contacter l’absent avant une ultime rencontre dans la ville de bord de mer où il vit désormais. Permanence du désir, permanence du chagrin, permanence de la douleur et goût paradoxal de la souffrance puisque souffrir c’est aimer encore, maintenir quelque chose vivant.


Inachèvement


La beauté fulgurante de ce « Mausolée » tient à la fois à son extrême contemporanéité dans l’intemporalité de son « sujet ». Les rets de passion dans lesquels se débat son héroïne ont parfois été ceux d’autres personnages, chez Duras, chez Ernaux, mais ici Louise Chennevière se vêt de la plus belle robe qui soit, celle de la littérature.


C’est par et pour elle que le lecteur ira chez cette femme de la colère à une certaine forme d’apaisement. L’écriture en tension permanente, se déploie dans une scansion, des râles parfois qui sont ceux de « maladie » dont il est ici question. Phrases inachevées puisque en la matière rien ne se finit jamais, ponctuation baroque et fondamentalement poétique, lyrisme sec (pas de larmes, surtout pas de larmes), refus on l’a dit de nommer quoi que ce soit, ni lieux, ni signes d’époque, tout cela est d’une splendide autant qu’aride justesse. Roman ? Récit ? Poème ? Confession ? Qu’importent les classifications qui ne s’accordent qu’au quotidien. C’est un livre. Si court et qui paraît immense. Un monolithe noir dont les échos se feront longtemps encore entendre dans notre mémoire. Aussi longtemps que chacun d’entre nous se souviendra avoir été un jour été amoureux et l’être désespérément, merveilleusement, resté.


Olivier Mony, Sud Ouest, 19 septembre 2021



Coeur battant


D’UNE RUPTURE AMOUREUSE, LOUISE CHENNEVIÈRE CONSTRUIT UN MAUSOLÉE DE MOTS. POUR REPRENDRE CORPS ET PARLER POUR TOUTES LES FEMMES ABANDONNÉES. RENCONTRE.


On la retrouve dissimulée derrière de larges lunettes de soleil, attablée à la terrasse d’un joli rade de Ménilmontant, un quartier parisien quelle a longtemps fréquenté. Louise Chennevière appréhende sa première rentrée littéraire et la sortie de son deuxième roman aux éditions P.O.L. « Ça me fait marrer d’écrire un roman d’amour », lance-t-elle d’une voix légèrement enrouée par un week-end que l’on devine festif, en se demandant si la littérature n’est jamais autre chose qu’une lettre d’amour.
Par son adresse à l’être aimé en vue de le « liquider », Mausolée peut détonner dans le paysage littéraire contemporain. Un certain lyrisme menace chaque page mais reste contenu. La narratrice parle et écrit à rebours, après avoir été quittée, dans ce temps de l’effondrement où l’on se retrouve « abandonnée comme une enfant en plein milieu de la nuit », dit-elle à toute vitesse. En une seule nuit, son héroïne dont on ne connaît ni le nom ni l’origine sociale - elle habite une grande ville et pratique les bars - tente de réduire l’écart entre sa propre douleur, les mots pour la dire et l’autre, l’amant qui est avec une autre, part, revient... Après trop de silences et de dénégations, la narratrice venge celle qui s’est tue, reprend possession de son récit : « et ma langue renvoyée à la place qui avait toujours été, la sienne, dans ce lieu intime, nocturne, secret, condamnée à parler cette voix, avec laquelle j’avais fait corps, cette voix qui n’était pas la mienne, ces mots que les siècles, les livres avaient mis dans ma bouche, ces mots qu’avaient prononcés, dans le silence de ces journaux intimes, infâmes, indignes, tant de femmes avant moi ».
Continue-t-elle « d’apprendre à être féministe » avec son nouveau roman, comme elle l’avait affirmé à propos du précédent, Comme la chienne ? La réponse est catégorique, absolument : « pour moi, cette souffrance amoureuse est toujours politique ». Ce qu’elle désire, c’est interroger la violence des relations de genre en littérature et en amour et inverser les rapports de force entre héroïnes et auteur (mâle). Une phrase du journal de Sylvia Plath quelle aurait bien mise en exergue de son livre : « Si j’étais un homme, je pourrais en faire un roman. Étant une femme, pourquoi ne puis-je rien faire d’autre que pleurer et être pétrifiée, pleurer et être pétrifiée ». Plongée depuis l’écriture de Mausolée dans les journaux d’Alejandra Pizarnik, Béatrice Douvre et tous les « grands romans d’amour », de L’Astragale à Anna Karénine en passant par Madame Bovary, l’autrice de 28 ans résume : « les héroïnes ou autrices finissent toujours abandonnées, suicidées, sous des rails », « mais dans cette histoire, c’est ellequi écrit et c’est lui le personnage ! »
À la mode dans les milieux militants quelle fréquente, les discours sur les relations libres, comme la théorie dont elle est tout imprégnée, « l’emmerdent », même si elle estime qu’il faut sans doute « en passer par là ». Tandis que la révolution sexuelle de sa génération souffrirait « encore de tant d’inégalités », son féminisme est nourri de remises en questions et d’incertitudes : «je ne suis pas figée dans mes positions, déclare-t-elle, mais c’est ce qui fait que tu restes en vie, non ? » On la sent soudainement songeuse : « non, l’amour ce n’est pas une toute petite chose », avant d’évoquer les femmes mortes sous les coups de leur conjoint, « par amour » a-t-on dit si longtemps. Sa fraîcheur, son enthousiasme mêlés à une colère diffuse l’emportent sur sa clarté, il est parfois difficile de la suivre, on aimerait quelle finisse plus souvent ses phrases, pour comprendre par exemple en quoi elle a « un problème » avec Passion simple d’Annie Ernaux, ce très court texte fait lui aussi de descriptions cliniques du sentiment amoureux.
Actuellement, elle travaille à un livre sur Paris pendant le confinement. Sa ville natale dont elle est très sensible aux changements, à ses lieux qui meurent et quelle a préféré quitter pour ne pas « devenir une écrivaine parisienne ». Après avoir sillonné plusieurs mois la France, elle s’est installée à Orange où elle travaille, pendant l’été, comme serveuse dans le PMU « le plus pourri de tout le Vaucluse ». Sur son rapport à l’écriture et à l’argent, elle n’a pas non plus la langue dans sa poche. Dans un article brûlant intitulé « La littérature est morte, vive la littérature ! », publié ce même printemps 2020 sur la revue en ligne Lundi matin, elle réagissait à une tribune du Monde, signée par des éditeurs et écrivains, pour « sauver » le livre pendant la crise sanitaire. Louise Chennevière proposait une tout autre vision de la littérature et de celles et ceux qui écrivent. Une activité et un engagement loin de se réduire à un métier : « choisir d’écrire, c’est refuser de travailler », ne rien attendre des autres, encore moins du marché.


Flora Moricet,Le matricule des anges, septembre 2021.



Mausolée


“Est-ce que ça vaut aussi tu finiras par l’écrire?’ Revenue voir la ville, parcourir les lieux d’un amour déchu dont elle consigne les lambeaux dans un manuscrit Mausolée, une jeune femme de 25 ans retrouve pour une nuit son ancien amant. À l’incandescence des retrouvailles succède le premier matin sans lui, ravivant une blessure jamais cicatrisée. II va falloir tenter d’oublier, à nouveau, même si c’est impossible. Enchaînant clopes et souvenirs brûlants, arpentant le pourtour du gouffre amoureux, Louise Chemievière rembobine la rencontre, l’étreinte, le délitement d’un scénario implacable, avec tous les mots qui sont tus. “(...) parce que ce ne sont pas des choses qu’on dit quand on est une jeune femme raisonnable, et libre, indépendante, qu’on existe par soi-même, que par soi-même on tient, toute seule comme une grande (.. .)Recfusant le statut d’amoureuse éperdue des “romans d’amour", Chennevière s’y regarde plonger, tête la première. Labourant cette vieille douleur lancinante, les efforts déployés, les garçons passés, elle revient sur ce texte en jachère, tentative éperdue de retenir le désir: “te dire”. Sur le thème éternel des amants désunis, passion et littérature se disputent une partition fiévreuse et poétique, où se déposent des virgules en lévitation.


F.D, Focus Vif (Begique), 28 octobre 2021.

Vidéolecture


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