— Paul Otchakovsky-Laurens

J’ai fait un voeu

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Elsa Boyer.

Dennis Cooper

Dennis Cooper présente lui-même J’ai fait un vœu, comme son entreprise la plus personnelle et intime : écrire sur George Miles qui lui a inspiré les romans Closer, Frisk, Try, Guide et Period entre 1989 et 2000. Cooper a construit une mythologie littéraire autour de ce personnage. « J’avais, depuis très longtemps, envie d’écrire un roman sur le vrai George Miles… un sujet très difficile pour moi », explique celui que Bret Easton Ellis qualifie de « dernier hors-la-loi de la fiction américaine ». Il s’agit de sortir George Miles, l’ami et amant suicidé dans l’oubli à trente ans,...

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La presse

« Paradis pour Georges Miles », un article de Olivier Steiner à propos de J’ai fait un voeu de Dennis Cooper, à retrouver sur la page de Diacritik.



Dennis Cooper, à George déployé


Le romancier américain consacre un roman à l’amour de jeunesse devenu coeur battant de son oeuvre.



La première fois que Dennis Cooper vit George Miles, «le garçon le plus étrange, doux et beau qu’[il] avait jamais vu sur Terre», celui-ci avait 12 ans et Dennis, 15 - pas encore un écrivain subversif et culte, seulement un ado défoncé. C’était en 1968. George avait pris du LSD et peur de ses pieds, «énormes». Les garçons aux cheveux longs s’éloignèrent de la fête et Dennis, déjà rompu à la prise de drogues hallucinogènes, entreprit de le rassurer. Il l’emmena sur le terrain de sport de l’école et tous deux (ce pourrait être du Gregg Araki) regardèrent les étoiles. «Je suis fou ?» demanda George. «Non, tu es défoncé», répondit Dennis. «"Je ne parle pas de maintenant, dit-il. Je veux dire tout le temps." "Je viens à peine de te rencontrer", dis-je». Dennis détourna les yeux, mais George insista pour qu’il le regarde à nouveau. «Non, reviens, je vais tomber», dit George.
La dernière fois que Dennis Cooper vit George Miles - l’auteur américain, installé à Paris, le raconte dans un entretien récent à Diacritik -, celui-ci avait 28 ans. Entre-temps, ils étaient devenus amis, puis amants, même si George était toujours resté insaisissable. Il était bipolaire, «déchiré en morceaux, puis artificiellement assemblé, recomposé par ses médicaments». Dennis, devenu grand, vécut d’autres aventures, espérant de loin en loin «qu’une autre pilule avait fini par l’unifier», mais ce n’était pas le cas. George fut interné à plusieurs reprises et devint menaçant pour d’autres que lui-même. Il se suicida chez ses parents, en Californie, à l’âge de 30 ans, en 1987. En 1989, Cooper publia aux Etats-Unis Closer, le premier titre d’un cycle de cinq livres - suivirent Frisk (1991), Try (1994), Guide (1997) et Period (2000), tous traduits en France chez P.O.L.

Trou noir. On découvrait une littérature extrême et fantasmatique, peuplée d’éphèbes, de toxicos, de prostitués, où partout la mort rôdait. Une littérature interdite et en même temps drôle, parfois décousue, punk et queer, à ranger pas loin de William Burroughs ou Kathy Acker. On ne savait pas toujours où se situer, mais c’était fou d’y être et, dans une certaine mesure, libérateur. On savait que le cycle portait le nom de George Miles, qu’un amour de jeunesse en était peut-être le coeur battant et le trou noir, mais c’était flou. Aujourd’hui, Cooper est plus clair, il vous aide. Si vous voulez retrouver George dans votre bibliothèque, suivez le guide : il s’est appelé «George, David, Kevin, Ziggy, Robin, Chris, Drew, Sniffled, Egore, Dagger, George». Le George de la vraie vie ne le sut pas, ne lut rien des mots de son ami, puisqu’il était déjà mort lorsque le cycle commença.
Dans J’ai fait un voeu, Dennis Cooper fait chemin retour et convie son lecteur d’hier. L’hôte se montre changé, capable d’extraire «[s] on stylo de l’abattoir pornographique que tu appelles prose depuis trop longtemps». Ce sont des retrouvailles. Elles sont émouvantes parce qu’on dirait le temps venu de se dire les choses. Chacun a vieilli. Le trash ne domine plus, sans que le territoire change littéralement. Les décors sont approchants, «un peu comme les illustrations idylliques des manèges sur les plans qu’on vous tend à l’entrée des parcs d’attractions». Chez Cooper, s’il y a un clown, c’est John Wayne Gacy. Le Père Noël (figure récurrente) participe lui aussi à cet ensemble de conte de fées détraqué. Mais dans ce livre-ci, la plus grande des magies consiste à, d’un coup, voir la brume se lever pour révéler sans ambages la portée métaphorique, intime, d’un chapitre. Soudain, Dennis dit «je», plante ses yeux dans les vôtres et c’est à la fois un monde qui s’écroule et une porte qui s’ouvre.
Corde raide. Combien de temps faut-il pour parler à ses morts ? Nous revient à l’esprit cet autre roman, Dieu Jr. (2006), où un père tentait de communiquer avec son fils, mort dans un accident de voiture, en poursuivant la partie de jeu vidéo qu’il avait entamée. Le père allait explorer l’inexplorable, les grottes des décors, loin derrière la plateforme balisée, et devenait un ours. «Et je ne suis probablement qu’un type défoncé qui se cache là dans votre jeu parce que ma vie est encore plus insolvable que la vôtre», lisait-on alors. Aujourd’hui, on lit: «Jusque-là je n’ai jamais écrit de fiction comme je pense, parle et ressens.» Sans chemins détournés, entend-on, et les chemins mènent à George. La première fois que Dennis Cooper vit George Miles, «il marchait sur la pointe des pieds» comme si «ses chaussures tenaient en équilibre sur une corde raide et que le bitume était de la brume». De cet amour, il parle avec son économie et sa lucidité, au présent. C’est d’une profonde, d’une désarmante beauté.



Thomas Stélandre, Libération, 30 avril 2022

Vidéolecture


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