Le 19 janvier 1981, à vingt-deux ans, la photographe américaine Francesca Woodman (1958-1981) se défenestre de son appartement à New-York. C’est alors une jeune artiste inconnue qui peine à trouver un lieu pour exposer son travail après avoir tenté sa chance comme assistante dans le milieu sans merci de la photo de mode. Elle déclarait n’être « pas arrivée à la bonne époque », dans un monde où la commercialisation de l’art et la célébrité prenaient de plus en plus de place. Aujourd’hui, Francesca Woodman est une icône, pionnière de la photographie performative. Elle a inspiré bien des théoriciennes...
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Le 19 janvier 1981, à vingt-deux ans, la photographe américaine Francesca Woodman (1958-1981) se défenestre de son appartement à New-York. C’est alors une jeune artiste inconnue qui peine à trouver un lieu pour exposer son travail après avoir tenté sa chance comme assistante dans le milieu sans merci de la photo de mode. Elle déclarait n’être « pas arrivée à la bonne époque », dans un monde où la commercialisation de l’art et la célébrité prenaient de plus en plus de place. Aujourd’hui, Francesca Woodman est une icône, pionnière de la photographie performative. Elle a inspiré bien des théoriciennes féministes et figure désormais parmi les grands noms de la photographie du XXe siècle. Absolument de son temps. Et du temps d’aujourd’hui, où chacun s’enferme dans la multiplication sans fin des images de soi, mises en scène systématiques de selfies dont elle fut à sa manière l’initiatrice.
Il y a quelques années Bertrand Schefer découvre les images de Doug Prince qui en 1976 avait photographié son amie Francesca dans l’atelier délabré qu’elle occupait à Providence. À l’endroit même où elle mettait en scène ses propres images, s’exposant souvent nue, floue, masquée, dissociée. Le choc de la révélation de ces images précède celui des photos de Woodman elle-même, lors de la toute première exposition qui lui est consacrée en France, en 1998 aux Rencontres d’Arles. « C’est la personne que je voulais comprendre, voir, connaître », comprend Bertrand Schefer. Toutes ses photographies dessinent un impossible et inaccessible autoportrait. Il entreprend alors le récit personnel de cette « rencontre », et cherche dans sa vie à retrouver ou rejoindre Francesca Woodman. Tantôt comme figure amoureuse à jamais perdue, tantôt comme dernière lueur d’un mythe de l’artiste anéanti d’avoir rencontré trop tôt son œuvre et brisé par le cynisme de la réussite.
Enquête romanesque et autobiographique qui tente de saisir d’où vient et où va la fascination toujours croissante que Francesca W. exerce depuis sa disparition. Comment elle a saisi, dans ses autoportraits et sa vie, un mouvement dans lequel chaque génération se reconnaît et se projette : saisie fulgurante des désirs et difficulté de l’identité.
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« Francesca Woodman », objet de fascination pour l’écrivain Bertrand Schefer
Bertrand Schefer livre un récit fulgurant sur celle qui l’obsède depuis plus de 25 ans, la photographe Francesca Woodman. À l’image du Nadja d’André Breton, l’auteur trace un chemin romanesque entre lui et celle qui est à l’origine de ces lignes. C’est l’histoire d’une rencontre, celle de l’auteur-narrateur à l’aube de ses 26 ans (il en a aujourd’hui 51) et de la défunte photographe Francesca Woodman. En se rendant à un entretien d’embauche dans une maison d’édition de livres d’art, Bertrand Schefer découvre l’œuvre de l’artiste italo-américaine. Il suffit d’un regard posé sur ces photos pour qu’elles lui soient inoubliables. Et si le coup de foudre, le vrai, n’était limité ni dans le temps, ni dans l’espace ? S’il avait le pouvoir de transcender la réalité ?
Dans un récit court et resserré, Bertrand Schefer assemble – comme il le ferait avec les pièces d’un puzzle – les morceaux d’une vie, celle d’un météore. Il se plaît à fouiller dans le passé de celle qui le fascine. Aller à sa rencontre devient son obsession. Je traque l’histoire manquante. On parle souvent d’image manquante. Mais là il s’agit d’histoire manquante, de trou. L’image comme un trou, un puits noir qui vous aspire. Juste là pour venir nous chercher.
Son souffle vital
Il s’est promis d’écrire sur elle, pour la sauver de l’oubli, pour traquer les zones d’ombre et venir les éclairer, un peu comme un enquêteur ferait la lumière sur cette énigme que représente Francesca Woodman, défenestrée en 1981 à l’âge de 23 ans. C’est à 13 ans qu’elle reçoit de son père son premier appareil photo, un Yashica 635, la boîte noire avec laquelle elle se révèle et dans laquelle, paradoxalement, elle s’enferme pour ne plus jamais en sortir. Alors dès cet instant, l’adolescente entre dans la photographie comme la foudre […] Comme si on avait tendu un violon à un novice et qu’une sonate était sortie d’un coup. Son cursus est ensuite celui dont rêve tout apprenti artiste américain des années soixante-dix, la Phillips Abbot Academy puis la Rhode Island School of Design, un parcours encouragé par des parents eux-mêmes artistes : sa mère est céramiste et son père est peintre.
Francesca sort du lot, atypique partout où elle va, sa solitude l’accompagne. Il n’y en a que pour son travail, son art, il est son souffle vital et ce poison qui la consume. Quand d’autres passent leurs années d’études à façonner leur personnage artistique, elle trouve d’emblée le sien. Elle se met en scène dans des photos tour à tour fantasmagoriques, sensibles, fragiles, sensuelles et anachroniques, des œuvres qui disent déjà beaucoup de son état mental, mais surtout de son talent. En archéologue insatiable, Bertrand Schefer traque les moindres informations utiles à son rapprochement salutaire. Qui étaient ses amis ? Comment vivait-elle ? Qui était la femme derrière l’artiste ? Les deux sont-elles dissociables ? Les articles à son sujet sont peu nombreux et les témoignages de ses anciens camarades paraissent de ce fait indispensables, tout autant que les quelques extraits de son journal intime publié çà et là, de manière éparse. Il en résulte un hommage en 80 pages, comme une ode à celle qui mourut en laissant derrière elle une œuvre conséquente désormais reconnue.
Soisic Belin, Marianne, mars 2023
Le destin d’ange de Francesca Woodman, vu par Bertrand Schefer et Deborah Levy
Entre 1973 et 1981, la photographe Francesca Woodman a créé une œuvre singulière, organisant autour de son propre corps, toujours saisi dans une présence/absence, un vaste réseau de correspondances, qui l’apparente aux surréalistes. Quand la littérature s’en empare, cela donne pour Anne-Sophie Barreau une miniature parfaite sur la « représentation de la forme féminine » chez Deborah Levy dans La position de la cuillère (Éditions du sous-sol,) et une femme et une artiste avançant d’un même pas – les mises en scène de la disparition orchestrées par la seconde n’étant que le miroir inversé de la présence en monde de la première – dans le texte vibrant et poétique de Bertrand Schefer (Francesca Woodman – éditions POL).
Le destin d’ange de Francesca Woodman, vu par Bertrand Schefer et Deborah Levy un article de Anne-Sophie Barreau paru dans Singulars à retrouver dans son intégralité en cliquant ici : Singulars (article du 22 juillet 2023).