« Je suis un artiste. Je suis ma prison et ma liberté, mon intelligence et ma connerie, mon courage et ma lâcheté. Je suis un artiste de la haine, comment faire autrement ? Vous rêvez de m’isoler mais je suis un artiste, je reste dans mon coin en plein milieu de chez vous, en plein milieu de votre chambre et de votre tête et de votre sang. Je suis un contre tous et je vous contamine parce que j’apporte ce contre quoi vous n’êtes pas immunisés, n’ayant jamais eu de rapport avec, l’intelligence, le courage, la beauté. »
Une voix s’élève, hurle, se répète, conspue, invective et injurie. Seule contre tous. Monologue effrayant de violence qui...
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« Je suis un artiste. Je suis ma prison et ma liberté, mon intelligence et ma connerie, mon courage et ma lâcheté. Je suis un artiste de la haine, comment faire autrement ? Vous rêvez de m’isoler mais je suis un artiste, je reste dans mon coin en plein milieu de chez vous, en plein milieu de votre chambre et de votre tête et de votre sang. Je suis un contre tous et je vous contamine parce que j’apporte ce contre quoi vous n’êtes pas immunisés, n’ayant jamais eu de rapport avec, l’intelligence, le courage, la beauté. »
Une voix s’élève, hurle, se répète, conspue, invective et injurie. Seule contre tous. Monologue effrayant de violence qui s’en prend à l’Autre, à tous les autres, aux cons. Ce texte limite, à la fois cruel, drôle, scandaleux, fait penser à Thomas Bernhard, mais aussi à Céline, ou encore à Dostoïevski quand la voix rappelle que « la condition humaine (est) bâtie contre l’humanité ». Ou encore : « Vous êtes impitoyables car vous avez mis votre pitié en commun et elle est toute destinée à vous-mêmes sans que vous vous en rendiez compte. » Qui est cet « artiste de la haine » ? Celui qui en nous dénonce « l’horreur du genre humain », espère autant qu’il craint une solitude radicale, et vacille de terreur et de rage devant la bêtise universelle. Texte exutoire, d’un humour féroce, qui tente un impossible règlement de comptes avec l’humanité et les autres. Chaque lecteur se sentira à la fois visé de façon insupportable et tout autant reconnaîtra les accents libérateurs de sa propre haine, de sa propre détresse.
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II y avait « l’artiste de la faim » de Kafka, et voilà « l’artiste de la haine ». Par les temps qui courent, où certains craignent un effondrement du genre humain, lire Vous les autres fait du bien. II rend fataliste. Faut-il vraiment trembler à l’idée qu’une planète peuplée de milliards de cons se volatilise? Celui qui parle donc, « l’artiste de la haine », conspue ce «vous» massif, les autres. Lui semble seul, parfois triomphant, parfois acculé. C’est un fleuve d’imprécations, de mots insultants, qui file au maximum de son débit, ralentit, s’épuise, repart. On imagine la voix qui s’éraille, et la rage indéracinable. On pense à Thomas Bernhard, Céline. En tant que lecteur, on (qui est un con) rit et rarement jaune, donc on est du bon côté, mais rien n’est sûr. Quand volent les noms d’oiseaux, on se sent quand même dangereusement effleuré de toutes parts. Cons de 7 à 77 ans, prenez-en pour votre grade. « II n’y a plus d’âge de raison mais un âge de connerie et félicitations à qui l’atteindra avant l’âge, occasion d’une grande fête de quartier qu’on retransmettra sur lnternet afin que les cons éloignés ne soient pas désavantagés par rapport aux cons de proximité. » Mathieu Lindon est journaliste à Libération.
Frédérique Fanchette, Libération, octobre 2021.
Adieu les cons
Avec Hervelino (P.O.L), consacré au défunt Hervé Guibert (1955-1991), Mathieu Lindon a ouvert l’année 2021 par un texte d’amitié et de gratitude. On peinerait à trouver la moindre trace de la première comme de la seconde dans son nouveau livre, Vous les autres, monologue entièrement tissé d’injures à l’égard de la « minable » condition humaine (« bâtie contre l’humanité, c’est tellement évident »), comme de la « connerie » et de la « lâcheté » caractéristiques de ceux qui l’ont en partage. Pourquoi, comment notre imprécateur, cet « artiste de la haine », a-t-il su se mettre à l’écart du troupeau pour observer sous chaque couture les manifestations de l’abjection commune, et tenir le compte de ce qui l’y répugne ?
C’est l’un des mystères de ce livre, qui semble pouvoir tourner sans s’arrêter autour de son dégoût, qui se nourrit de celui-ci pour le recracher indéfiniment, en un torrent violent qui charrie, au milieu des insultes, des perles de drôlerie. Ce dont on est sûr, en revanche, c’est de son étonnant effet : Vous les autres place le lecteur dans une position intéressante et inconfortable, pas sûr du « camp » (celui du narrateur semi-fou ou celui de la masse des « cons » d’en face) auquel il pourrait ou voudrait appartenir. Dans l’évidente lignée de l’Autrichien Thomas Bernhard, Mathieu Lindon reprend des éléments de l’un de ses premiers livres, L’Homme qui vomit (P.O.L,1988), pour l’adapter à une époque férue de haine.
Raphaëlle Leyris, Le Monde Des Livres, 26 novembre 2021.