À l’abordage ! peut se lire comme une réécriture du Triomphe de l’amour de Marivaux, mais c’est aussi le pendant symétrique d’Arcadie, roman publié en 2018. Chez Marivaux, le philosophe Hermocrate a édifié sa petite communauté autour du refus de l’amour et de la mixité, alors que dans le roman, Arcady prêche l’amour libre et le désir sans entraves – mais dans l’un et l’autre cas, c’est une très jeune fille qui vient éprouver, ridiculiser et in fine pulvériser l’idéologie et la rhétorique ambiantes.
À L’abordage ! reprend scrupuleusement la distribution de la...
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À l’abordage ! peut se lire comme une réécriture du Triomphe de l’amour de Marivaux, mais c’est aussi le pendant symétrique d’Arcadie, roman publié en 2018. Chez Marivaux, le philosophe Hermocrate a édifié sa petite communauté autour du refus de l’amour et de la mixité, alors que dans le roman, Arcady prêche l’amour libre et le désir sans entraves – mais dans l’un et l’autre cas, c’est une très jeune fille qui vient éprouver, ridiculiser et in fine pulvériser l’idéologie et la rhétorique ambiantes.
À L’abordage ! reprend scrupuleusement la distribution de la pièce de Marivaux, il en reprend aussi le découpage et la scansion, cette alternance d’aveux, de refus et de fausses confidences qui conduit à la victoire annoncée de l’amour. Mais là où Marivaux situe l’intrigue dans une Grèce antique conventionnelle, À L’abordage ! se situe résolument dans notre présent le plus contemporain, débarrassé des anachronismes, et en résonance avec des problématiques très actuelles. Le travestissement de Sasha (Phocion chez Marivaux) en garçon est davantage qu’un stratagème : il introduit un trouble dans le genre et contribue à déglinguer la machine matrimoniale propre à la comédie classique. Le dénouement, loin d’arrêter le mariage des seuls jeunes premiers comme chez Marivaux, ouvre sur un mariage pour tous, festif et féérique, encourage le désir transgénérationnel, et se conclut sur une marche des fiertés jouissive et spectaculaire. L’amour triomphe de tout : du dogmatisme sénile d’Hermocrate, mais aussi des inhibitions, des traditions, des préjugés, des normes...
La pièce a été créée et jouée en septembre et octobre derniers, avant le confinement, au Théâtre de la Tempête à Paris, dans une mise en scène de Clément Poirée. Reprise à La Tempête du 7 au 12 décembre 2021, puis dans la banlieue parisienne (Rungis, Kremlin-Bicêtre, Saint-Cloud, Fontainebleau, Fontenay-aux-Roses, Rueil Malmaison, Maisons-Alfort, Corbeil-Essonnes), et en province toute l’année 2022 (Lannion, Viré, Toulouse, Istres, Draguignan, Amiens…).
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QUAND TRIOMPHE L’AMOUR
Une relecture profondément contemporaine de Marivaux par Emmanuelle Bayamack-Tam.
Ses lecteurs le savent, l’œuvre d’Emmanuelle Bayamack-Tam (alias Rebecca Lighieri) est profondément ouverte à la belle audace du champ littéraire le plus contemporain. Et le contre-pied n’est pas le moindre des plaisirs qu’elle s’accorde de livre en livre. Aussi ne sera-t-on pas étonné, juste enchanté, de la découvrir dans cet À l’abordage furetant du côté de Marivaux et plus précisément s’attelant avec grâce et gaieté à une sorte de réécriture libre et théâtra le du Triomphe de l’amour.
Au départ, ce texte est une commande du metteur en scène Clément Poirée qui, séduit par la lecture d’Arcadie (P.O.L, 2018), y avait noté des correspondances possibles avec l’œuvre de Marivaux. Bayamack-Tam s’y adonne à cœur joie à ce qui constitue au fond l’essence même de ses livres précédents, la célébration de 1 ’ amour et du désir, la confusion joyeuse des genres. Une certaine Sasha (un certain ?) à la jeunesse éblouissante s’introduit au sein d’une communauté de gens plus âgés et y sème un profond désordre essentiellement amoureux. Comme chez Marivaux, les adultes devront s’effacer face au désir que Sasha fait naître et devront reconnaître ainsi le caractère fallacieux de leur vertu érigée en dogme.
Quand triomphe l’amour, tombent les masques, fussent-ils d’Arlequin. II faut donc lire Emmanuelle Bayamack-Tam et, pourquoi pas, relire Marivaux ou aller voir la pièce qui sera reprise du 7 au 12 décembre au Théâtre de la Tempête à
Paris.
Olivier Mony, Livre Hebdo, novembre 2021