— Paul Otchakovsky-Laurens

vous m’avez fait chercher

avec Hadrien France-Lanord & Sophie Pailloux-Riggi

Dominique Fourcade

vous m’avez fait chercher est un livre « total », un univers intime, poétique et politique qui réunit dans un acte littéraire profond poèmes et images, pour « donner la réverbération d’un monde » – celui de l’écriture de Dominique Fourcade. Deux grands poèmes inédits articulent l’ensemble : feston (qui court tout au long du livre) et cantate pour François et pour Gérard (longue élégie sur l’amitié et la disparition, au coeur du livre). Mais le livre s’invente page par page en convoquant des images qui, dans leur interaction, investissent l’écriture et l’espace...

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La presse

« vous m’avez fait chercher », de Dominique Fourcade : de la voix à l’œil du poète


Dans sa nouvelle œuvre, livre d’images, de poésie, de mémoire(s) également, le poète se raconte, mystérieusement, sans emphase.


Nous avons entre les mains un objet qui pèse son poids de papier rectangle, et dont on admire déjà, le feuilletant, ce qu’il semble contenir de surprises. La quatrième de couverture de vous m’avez fait chercher (sans capitale initiale) achève d’intriguer : « n’est qu’un/autoportrait/on s’y est mis à trois ». L’un de ces trois-là nous est plus familier, de fait : Dominique Fourcade, le poète aujourd’hui octogénaire, auteur d’une œuvre considérable, dont on dirait bien qu’il va être ici question. C’est un livre, donc, d’images et de poésie, de mémoire(s) également, qui raconte d’une façon singulière quelque chose comme une vie. Est-ce une autobiographie ?
Ce qui frappe en tout cas, dans vous m’avez fait chercher, que signent ainsi conjointement Dominique Fourcade, Hadrien France-Lanord et Sophie Pailloux-Riggi, c’est d’abord l’idée d’un espace offert au travail du temps : la linéarité blanche et noire des pages, leur impression rompue et rythmée par la couleur des reproductions ou photographies, qui oblige aux détours, retours, raccourcis, repentirs de lecture… On aime cette matérialité de l’ouvrage, comme galvanisée par la possibilité d’une concurrence numérique : vous m’avez fait chercher, dont on imaginerait volontiers les arborescences virtuelles, reste un objet-livre, et tire sa force de cette évidence tangible, sans clic ni lien, sans écran.
De quoi s’agit-il, alors ? Comme Fourcade l’explique dans sa préface, le point de départ est visuel : « Réunir des images qui donnent la résonance et comme la réverbération d’un monde, celui mis en jeu par une écriture qui va de Le ciel pas d’angle à magdaléniennement [P.O.L, 1983 et 2020]. » Autant dire que le poète se propose de refaire, de manière originale, le parcours de son enfance sportive (on le voit ainsi sagement peigné à 10 ans, sur sa carte du Racing Club de France) jusqu’à son dernier recueil. Le principe d’un tel cheminement est dynamique, qui donne de la voix à l’œil, pourrait-on dire. Les images en effet se parlent, créent des effets d’échos entre elles comme avec la vie du poète, ses livres, ses souvenirs, ses propres lectures… L’un des exemples les plus frappants en est peut-être cette double page où quatre couvertures célèbres de volumes publiés aux Editions de Minuit sur la guerre d’Algérie dialoguent littéralement avec la « une » en couleurs de Paris Match annonçant, en novembre 1954, la mort d’Henri Matisse.


La place de la peinture


Ce qui s’entend dans cette conversation, c’est bien sûr l’importance, dans l’existence de Fourcade, de l’expérience algérienne, en même temps que la place de la peinture tout au long de son travail d’écrivain, lui qui fut éditeur des textes de Matisse, proche de Simon Hantaï, dont il organisa une grande rétrospective au Centre Pompidou, ami de René Char, résident new-yorkais et familier d’un monde artistique où la sculpture, la danse et la musique jouent également un rôle essentiel. Ainsi Manet voisine-t-il ici avec Merce Cunningham, et Thelonious Monk avec les fresques de Lascaux : pas de hiérarchie, sinon celle qu’impose mystérieusement le mouvement de la vie, la fête improvisée du sens.
Livre de collages, exercice virtuose de jeu avec des images qui n’obéissent jamais à la seule logique illustrative, vous m’avez fait chercher est aussi un grand livre de poésie, qui peut inviter à découvrir l’œuvre de Fourcade (ne pas la connaître n’est nullement un handicap), mais donne à lire surtout deux textes inédits assez époustouflants. En plus des passages ponctuant d’une certaine façon les images, le « feston » d’un poème court ainsi tout au long de l’ouvrage, magnifique idée mouvante et souvenir de la Passante, de Baudelaire, balançant l’ourlet de sa robe de deuil… Ce texte en italique traverse l’ouvrage et le temps, réécrivant ensemble le trajet de l’œuvre et des jours, dans une sorte de tension jaillissante, serpentine, merveilleuse, tandis qu’une « cantate pour François et pour Gérard » s’élève soudain, droite comme un monument, chant magistral et pourtant sans emphase, qui dit en la faisant ce qu’est la poésie, récapitulant les rencontres, envisageant la mort avec un sourire où se tient tout le charme de l’auteur : « Ce que je me tatoue permettra aux morts de m’identifier, les morts aiment savoir qui les rejoint et ne laissent pas entrer quelqu’un sans son poème. » Ce poème, nous en lisons à coup sûr la beauté.


Fabrice Gabriel, Le Monde des livres, 24 décembre 2021



Note de lecture par Alexis Pelletier (de la revue Poezibao)


En 1986, dans la collection « Textes », Claude Ollier publiait un de ses plus importants récits, Une histoire illisible. Le titre n’était pas une provocation – quoi qu’en ait pu penser une part de la critique – mais une manière de couronner un ouvrage qui, comme l’affirme le texte de la quatrième de couverture, rédigé par l’auteur, montre que « Tout projet biographique participe d’un leurre, toute ligne de vie d’un dessin truqué. » Ces lignes me sont revenues dès que j’ai ouvert vous m’avez fait chercher. Livre avec un titre sans majuscule, livre signé de trois noms, répartis sur deux lignes : Dominique Fourcade sur la première, Hadrien France-Lanord et Sophie Pailloux-Riggi sur la seconde.


Lisez l’intégralité de l’article d’Alexis Pelletier sur Poezibao (janvier 2022)



Piaffant dans un dortoir d’insomnie


ILS S’Y SONT MIS À TROIS POUR QUE DU MÉTIER DE POINTE DE DOMINIQUE FOURCADE VIENNE VOUS M’AVEZ FAIT CHERCHER, LIVRE D’HYBRIDATION ET DE COULEURS ENTRE TEXTES ET IMAGES OÜ TOUTARRIVE...


Du premier livre de Dominique Fourcade publié aux éditions P.O.L, Le Ciel pas d’angle (1983) au dernier paru en 2020, Magdaléniennement, aucun ne comprend d’images. Beaucoup d’oeuvres, de toutes sortes, picturales, sculpturales, musicales et littéraires, y sont néanmoins citées et appelées. Mieux, elles sont comme ingérées dans la phrase, qui mot à mot, se forme, puis échelonne sa page, jusqu’au livre lui-même, donnant corps à la plasticité (non reproduite) d’une série de gestes que le poète importe dans son écriture comme des bouts de roches fluorescentes. Cette opération, multiple, sans cesse réinventée dans le corpus de ses livres, que l’on pense à Son blanc du un ou au Sujet monotype et à Degas, est générale et non exclusive. Plutôt est-elle inclusive, et ainsi fait-elle sauter les systèmes d’enclosures tels qu’ils viennent ségréguer les genres. En cela Dominique Fourcade, et depuis toujours, est un poète transgenre. II bouscule avec une douceur infinie, autant que par effraction frontale et parfois raccords troubles (jusqu’à salir sa phrase sciemment et risquer l’accroc) l’ordre des lexiques pour inventer une syntaxe aux vitesses sidérantes.



Avec Vous m’avez fait chercher (qu’aucun point(d’interrogation ne ponctue), la volonté d’écrire les images tout en les relayant de page en page, les enchaînant les unes aux autres pour les faire étoiler en une autobiographie créatrice, apparaît comme une synthèse tranchante de tout le travail que Dominique Fourcade mène depuis presque quarante ans. Le poète Jean-Claude Pinson a montré combien les régimes tonals de ses livres (« son contrebassé blanc ») tournaient le dos à l’ordonnancement très hiérarchisé de l’ordre chrétien du monde ; et combien ce premier geste, de désaffiliation, avait-il forcé l’écriture à repeupler autrement sa basse orpheline. Les éléments qui la composent sont hétérogènes, mais leur moteur commun est « le parti pris“surfaciste” consistant à dissoudre le sujet pour faire venir au premier plan le médium lui-même ». Vous m’avez fait chercher respecte littéralement cet axiomatique : « Ce livre est une question de regard, regard du lecteur mais aussi et surtout celui que les images portent les unes sur les autres, et cette mise en regard donne lieu à des arcs électriques. Nous avions tout au long l’impression d’orchestrations foudre et de désorchestrations incessantes, les deux en même temps, et les deux vous échappent ». Aussi la simultanéité surfaciste (de la page qui est un ciel) et celle des tempi, dont la logique est expérimentale autant que sensationnelle, crée-t-elle des raccords de montages inédits. En quoi consiste l’échelonnage des images et des textes : tableaux et sculptures, de Lascaux à David Smith en passant par Titien, Manet, Degas..., coupures de presse (la finale Allemagne-Hongrie de la Coupe du monde de football 1954), Bashung en pochette de disque, programme de la semaine des concerts de Stockhausen, fragment de céramique (« L’homme à l’étui pénien »), couvertures de livres nommés « Quatre inimaginables » dont celles de L’Espèce humaine de Robert Antelme, Si c’est un homme de Primo Levi et de livres distincts de Charlotte Delbo et d’Imre Kertész.


Ce grand foisonnement d’images mêle autant la culture populaire que celle des musées (pour le dire vite). C’est un véritable feu d’artifice saisissant par lequel tout esprit de hiérarchisation explose. Mais cette explosion de couleurs ne pourrait être telle s’il n’y avait, non pas à côté, mais agencé dans un carambolage jouissif, un ensemble des textes choisis. Ils apparaissent comme des échos dynamiques à la présence des images, des approfondissements surfaciels de gestes encore autres : il s’agit des textes écrits par Fourcade, inédits, parfois tirés de ses livres, qui sont ici comme des blocs de réponses à toutes les images du volume. Mais aussi des deux index des co-auteur.e.s et d’extraits de textes donnés à lire (Oppen, Dickinson, La Fontaine, Racine, Proust, Portugal, Pasternak, Dante...), de lettres, billets, cartes postales ; etc.


Cette opération de croisement, tout lecteur peut s’y impliquer, elle lui fera traverser le siècle-Fourcade, de sa licence de jeune footballeur au Racing Club de France (1948) à la guerre d’Algérie, en passant par toutes ses passions, la rencontre de Char, celle de l’oeuvre de Matisse, dont la Une de sa mort sur le Paris Match du 13-20 novembre 1954 est reproduite et annonce en même temps un reportage sur « Nos envoyés spéciaux dans le maquis de l’Aurès ». Car Fourcade d’emblée entend que le poème soit l’expérience d’une passion du réel, ce lieu sans lieu où tout arrive : cette « part émergée du réel », Vous m’avez fait chercher la porte jusqu’à son acné, les images étant autant enfouies et comme fondues dans les textes jusqu’à ce qu’eux-mêmes en fabriquent les échos non-visibles ; et si nues, et si réversibles, qu’ils se distinguent féroces et doux sur la page, à l’exemple de cet extrait, clin d’œil à la dernière image du livre : « dans un long canoë silencieux/j’ai mis les deux syllabes du nom de Kafka pour servir d’appelant aux mésanges/et aussi tout ce que je savais de l’absence de destin qui est le propre du temps que j’avais à vivre».


Emmanuel Laugier, Le matricule des Anges, janvier 2022

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Dominique Fourcade, vous m’avez fait chercher , Dominique Fourcade avec Marie Richeux 7/12/2021 France Culture