Dans Populations, Anne-James Chaton propose de drôles de portraits des peuples d’aujourd’hui en se servant des mots et des regards des écrivains d’hier qu’il détourne à son profit. L’auteur relit de grandes œuvres et y prélève matière à composition de courts récits ou des analyses des caractères de nos contemporains. Les Allemands dont il décrit le tempérament en effectuant une relecture singulière d’Être et Temps de Martin Heidegger, des Japonais au travers des Haïkus revisités du poète Basho, des Français montrant un tout autre visage après une réécriture ciblée de...
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Dans Populations, Anne-James Chaton propose de drôles de portraits des peuples d’aujourd’hui en se servant des mots et des regards des écrivains d’hier qu’il détourne à son profit. L’auteur relit de grandes œuvres et y prélève matière à composition de courts récits ou des analyses des caractères de nos contemporains. Les Allemands dont il décrit le tempérament en effectuant une relecture singulière d’Être et Temps de Martin Heidegger, des Japonais au travers des Haïkus revisités du poète Basho, des Français montrant un tout autre visage après une réécriture ciblée de À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, des Américains portraiturés à partir du chef d’œuvre Témoignages du poète Charles Reznikoff, des italiens aux particularités si prononcées quand on suit, de façon libre, le texte de L’histoire Naturelle de Pline l’Ancien. Selon la nature du texte relu par l’auteur et la clé de relecture appliquée – par exemple toutes les occurrences du mot « espèce » dans L’Origine des Espèces de Charles Darwin pour les Anglais, ou les descriptions des rêves des patients dans L’interprétation des rêves de Sigmund Freud pour les Autrichiens – l’autochtone se donne à voir sous d’autres traits, parfois insoupçonnés, comme ces Autrichiens que l’on découvre lubriques à souhait, ou ces Français oscillants sans cesse entre le savoir-vivre et la trivialité.
Le livre rassemble quinze populations et se déploie sur les cinq continents.
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Quinze peuples, un jongleur
On ne le sait que trop :les populations sont mouvantes, qui peuvent d’ailleurs aussi bien se déplacer que l’être, déplacées. Reste leur ancrage dans la mémoire des bibliothèques, peut être, cet ancrage dont joue ici comme un jongleur Anne-James Chaton, poète performeur dont chaque titre invente un dispositif formel. Populations se distribue en quinze chants versifiés, chacun puisant dans une oeuvre majeure, sans qu’elle ressortisse nécessairement de la littérature, puisqu’on y trouve aussi bien De l’origine desespèces,de Charles Darwin (1859) - pour caractériser les différentes espèces de Britanniques -, qu’À la recherche du temps perdu côté français ou le Yi Jing cher aux Chinois. Dès lors très différents les uns des autres, les quinze chants présentent cependant une étrange continuité, celle d’appeler la voix la plus haute, tandis que les citations volent entre les mains du jongleur comme autant de stéréotypes animés. Toujours drôle, l’exercice est enthousiasmant quand l’oeuvre du poète Charles Reznikoff caractérise la population américaine, plus incertain dans le recours à Freud pour sonder l’inconscient autrichien.
B. LE, Le monde, 05 mai 2022