— Paul Otchakovsky-Laurens

Nu-propriétaire

Patrick Varetz

Tout part d’une phrase entendue dans Les Deux Anglaises et le Continent, le film de François Truffaut adapté d’Henri-Pierre Roché : « La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas » ; le narrateur, double de l’auteur, se sentant, du fait de ce morcellement, étranger à sa propre existence, comme s’il n’en était que le nu-propriétaire.

Le texte est composé de dix chapitres qui tentent de reconstituer – malgré les ellipses – le fil d’une existence, depuis la fin des années 1950 jusqu’au tout début des années 2010.

Pour donner vie aux différents fragments d’existence qui entrent dans...

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Le Tour du «Nu-propriétaire»



Patrick Varetz fait table ouverte du passé et dessine un archipel de l’amour



Avec un écrivain comme Patrick Varetz, le passé n’est pas derrière nous mais devant nous. II est inépuisable. On en a pour la vie entière. Par exemple, «au terme d’un long processus, il est fort possible que je parvienne à remodeler mon passé pour lui donner un sens nouveau». C’est la leçon donnée par «le diable», qui s’appelle Robert mais s’est rebaptisé de manière plus romantique, quand il explique l’hexagramme 57du Yi King. Conformément au rituel, son colocataire et partenaire de trip a lancé six fois trois pièces de 20 centimes en se concentrant sur une question vitale, censée déterminer son destin. Nous sommes en 1976. Patrick Varetz a 18ans. Le diable et lui écoutent Neil Young sur une radiocassette à piles -l’électricité a été coupée. Deviendra-t-il écrivain?
Requiem. «Je l’ignore encore, mais il me faudra plusieurs dizaines d’années pour apprendre à maîtriser les mots, et commencer de réunir les fragments dispersés de mon existence.» À ce moment- là, il a déménagé de Lille à Perpignan. II vit avec Patricia, qui a pris l’initiative de leur couple mais cultive désormais une passivité à toute épreuve. Elle écoute des requiem, lit des romans policiers, se balance sur son rocking-chair. Contrairement à l’apprenti-écrivain, qui s’est attelé à un roman et ne gagne pas d’argent semble-t-il, elle a un travail. Elle dessine, reproduit des vestiges archéologiques, à la demande d’une amie archéologue. On est au début des années 80. On écoute le deuxième album de Joy Division. Ainsi les morceaux s’enchaînent-ils, morceaux musicaux, morceaux de vie. Varetz n’a pas encore trouvé sa voix, à l’image de ses maîtres, ceux qui comme Henry Miller écrivent dans un flux naturel. Bien sûr, c’est de manière abusive que nous donnons au personnage de ce nouveau livre le patronyme de l’auteur. Nu-propriétaire, titre qui désigne la propriété quand on ne dispose pas de la jouissance d’un bien, est un roman : la vraisemblance importe davantage que la vérité, est-il indiqué d’emblée. Le lecteur n’est pas en mesure de démêler l’une de l’autre. II s’agit d’un roman de formation, l’histoire d’un homme précipité dans un abîme d’angoisse que seule l’écriture, s’il parvient à devenir ce qu’il est, un écrivain, pourra colmater. À la fin des années 70, à Lille, Patricia étant déjà à ses côtés, l’aimant et le protégeant, le narrateur fréquente un généraliste. «Pour la énième fois, avec une précision inutile, je détaille à l’intention du docteur Kuzlik la nature des symptômes qui m’accablent. Plus que tout, il y a cette sensation dans le creux de la poitrine : ce vide qui, sans prévenir, gagne soudain en expansion, la région du coeur devenant le siège non pas d’une douleur aiguë mais plus exactement d’une crispation impossible à réprimer. » Le terme de vide, constate Patrick Varetz à la fin de Nu-propriétaire, «revenait avec une régularité obsessionnelle dans l’ensemble de mon travail».
Cerisier. On le rencontre dès 1959, «impossible à combler», quand l’enfant d’un an, ivre de lumière, d’air et de blancheur, s’agrippe au chemisier en nylon de la jeune fille, Arlette, qui l’emmène dans le jardin. Deux marches, un cerisier, puis une excavation près des blés où Arlette dénude ses seins. Elle fredonne C’est beau la vie, chanson de Jean Ferrat interprétée par Isabelle Aubret. Ce n’est pas possible, note l’auteur, car l’enregistrement est postérieur à la scène. Mais il lui est associé «dans ce semblant de mémoire queje suis parvenu à reconstituer, à force d’écrire». Arlette, Marietta «la petite voisine», Mimi à Perpignan, pornographique comme un dessin expressionniste : Nu-propriétaire reconstitue un archipel de l’amour, dont la mystérieuse Patricia est l’île principale. C’est soudain tellement triste. Au détour d’un paragraphe, une phrase commence par: «Le jour de sa crémation». Entretemps, en 2010, Patrick Varetz est devenu un auteur publié. Un second détour par le Yi King nous apprend comment il voit ses premiers livres, Bas monde, Petite vie, son enfance étouffée entre un «salaud de père» et une «folle de mère»: «Je ne faisais rien d’autre en écrivant, me semblait-il, qu’interroger les ténèbres dont j’étais issu, me réappropriant et falsifiant de la sorte les premières années d’une existence que j’avais si longtemps occultées. J’en retirais sur le moment une forme d’épanouissement et de bonheur, éprouvant chaque fois le plus grand plaisir à raconter les pires choses.



Claire Devarrieux, Libération, 24 avril 2022

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