— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Cortège

Gérard Gavarry

Tout commence avec un cargo sur l’île de Syros, dans le port grec d’Ermoúpoli, chef-lieu des Cyclades. Et dès ce début on sait que le bateau finira sur un chantier de démolition clandestin, quelque part sur une côte déserte d’Afrique de l’Ouest. À bord, outre des matelots comme des ombres évoluant dans l’outre-tombe, se côtoient un steward, un cuistot, un chat, quelques officiers et surtout trois amis : le commandant, un peu faussaire, un peu trafiquant ; l’écrivain parano ; le tireur d’élite qui a vu de près le pouvoir et l’argent. Plus Perpétue et Jean-Fa, deux enfants dont le terrain de jeu favori est la cale vide, ou presque...

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La presse


Le cortège


Houessou Houessouvi, surnommé Wéwé, est un tireur d’élite. Après une longue carrière militaire, il revient à la vie civile, fonde les entreprises « Houessouvi Security Plus (HSP). » Devenu un homme d’affaires prospère grâce aux services de sécurité qu’il offre, il côtoie toutes sortes de personnages importants du pays. Maurice Audégo, dont il fera la connaissance, le marque particulièrement. Ce dernier, entrepreneur à succès, vient de mettre à terre son adversaire principal et veut fêter sa victoire en grande pompe. Il tient absolument à ce que ce moment de célébration lui permette d’être vu. Aussi a-t-il l’idée d’organiser « le tour de France Audégo ». Défilé triomphal et festif ayant pour but non seulement de frapper les esprits, mais aussi de laisser sur la peau et dans l’organisme tout entier des spectateurs, un souvenir plus fort que n’en laisseraient dans l’intellect images et mots. Maurice met le prix fort en mobilisant soixante-douze véhicules, des carrosseries astiquées, plusieurs chauffeurs, une escorte de motards qui sillonneront différents coins de France pendant deux semaines. Le passage du cortège de voitures fait sensation. Plus spectaculaire encore est la présence de Maurice qui électrise la foule par un véritable bain de foule où il distribue bises, poignées de mains et pincées de joues. Dans cette scène, le narrateur fait comprendre au lecteur que pour Maurice, qui est l’épitome de comment les grands célèbrent leurs victoires, rien ne vaut le contact physique pour impressionner durablement les masses et créer un lien solide avec elles. Ainsi, Le cortège peut être abordé comme un roman d’aventures terrestre, maritime et mnémonique. D’une part, il met en scène le voyage terrestre dans la France métropolitaine de la caravane de Maurice. Celle-ci serpente champs, vergers, pâturages, villages, villes, terrains communaux, enclos à bestiaux, baraques foraines, tribunes et salles de fêtes tout en rassemblant "plusieurs corps, plusieurs visages et plusieurs voix d’homme ou de femme" dans un concert de festivités. C’est d’ailleurs cette tournée triomphale que le narrateur nomme « le cortège ». D’autre part, le récit entraîne le lecteur dans un voyage d’immersion maritime avec le dernier périple du Nauplios, un immense cargo de cent quarante mètres de long. Il a à son bord un trio d’amis (Wéwé, Franky et Gu) et les « pseudo-enfants » de Wéwé que sont Perpétue et Jean-Fa. Leur voyage commence sur les côtes grecques et finit en pays Têgbé sur les côtes africaines, où le Nauplios est discrètement mis en pièces. Cette démolition d’un cargo européen en terre africaine pose en filigrane la problématique du risque pour l’Afrique de devenir la poubelle du monde. Enfin, on trouvera aussi la thématique du voyage représenté dans le « cortège des souvenirs » que plusieurs personnages raniment en diverses occasions pour établir des liens avec le présent.


Patrick Hervé Moneyang, Review of Le cortège par Gérard Gavarry. The French Review 96, no. 4 (2023): 236-236. Pacific Lutheran University



« Le Cortège », cargo de vie. Un roman maritime de Gérard Gavarry



Le Cortège raconte un dernier voyage, celui du Nauplios, un cargo, précisément un «roulier», battant pavillon grec et appareillant du port d’Ermoúpoli sur l’île de Syros, au milieu des Cyclades. Le Nauplios a été vendu par ses armateurs et part vers l’Afrique où, ses cent cinquante mètres d’acier échoués sur une plage, il sera démantelé, découpé à la disqueuse et au chalumeau. À bord, un équipage réduit : Franky, le commandant, un taiseux un peu trafiquant, Wéwé, un tireur d’élite qui organise la sécurité avec son ami Gu, un écrivain qu’on ne voit jamais écrire. Chaperonnés par le steward, deux enfants, une fille, Perpétue, et un garçon, Jean-Fa, courent en liberté à travers les coursives et les ponts, s’émerveillent de tout. Ils se sont approprié la gigantesque cale vide ou presque et, sous le regard du chat du cuistot, y vivent leur robinsonnade.

Le lecteur embarque ainsi dans un roman maritime, traverse toute la palette des bleus de la mer Egée et de la Méditerranée jusqu’au vert émeraude de l’Atlantique Nord. Au bout de deux chapitres, il s’est amariné, a laissé tomber son baluchon de lecteur de roman car il sait ce qu’il adviendra du bateau et comment le livre doit finir. Cela lui laisse de la liberté et du temps pour entendre dans le Cortège les échos de ces histoires qui flottent sur les mers, depuis l’Odyssée jusqu’à Melville. Aussi prend-il le temps de savourer sa lecture, car la prose de Gavarry est cristalline, rythmée secrètement comme les spires d’un nautile, elle égrène les jours, la traversée, dit la sociabilité sur les cargos, parle la langue des marins. Le récit d’aventure et l’imaginaire associé à Henry de Monfreid colorent quelques épisodes de dangers. Le roulier fait des escales dans la réalité afin de vider totalement la cale de ses ballots et de quelques conteneurs. Il y a du trafic, les armes sont chargées. Mais Hermès, le dieu des marchands et des voleurs, protège la route du Nauplios et du roman.

Gavarry fait miroiter tout cela et touche à une poésie primordiale qui n’a pas changé même si les navires grecs du Ve siècle ont cédé la place à des porte-conteneurs géants. L’isolement qui fait de tout bateau une île en mouvement, la solitude et le silence malgré le bruit des diesels et du vent offrent l’occasion de faire défiler le cortège des souvenirs dans une langue tout à la fois immédiate et inouïe.

Dans un de ses livres précédents, Façon d’un roman, où l’on trouve aussi un cargo, Gérard Gavarry se mettait sous l’injonction de Roland Barthes : «Il ne reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue.» Gu, installé dans sa cabine avec son ordinateur, son imprimante et le dictionnaire maritime de Bruno et Mouilleron-Bécar à portée, cherche à combattre les «on» et les «ils» : les clichés, la doxa. « C’est la langue collective, explique Gérard Gavarry. Batailler contre ça étant sans doute vain et naïf, ça fait du romancier un Quichotte. J’ai traité Gu en personnage assez parano et inévitablement burlesque dans ses moments de crise. II s’enferme dans sa cabine, je suppose donc qu’il écrit, peut-être même écrit-il le roman qu’on est en train de lire... Mais en vérité je n’en sais rien et ne tiens pas spécialement à le savoir. »


Jean-Didier Wagneur, Libération, mai 2022




L’adieu au cargo



Ils sont sept : modeste cortège pour accompagner le dernier voyage du Nauplios, cargo battant pavillon grec, voguant d’une île des Cyclades vers l’Afrique, où, sous un autre nom, il sera mis en pièces. A Sète embarquent Franky, le commandant, et Wéwé, un tireur d’ élite. Gu, l’écrivain, n’écrit pas, mais se plonge dans le Dictionnaire maritime, de Bruno et Mouilleron-Bécar (Masson, 1991). Kashi, le cuisinier indien, se surpasse. Et Augustin, le steward, veille sur Perpétue et Jean-Fa. Pour ces deux enfants, ce voyage est une aventure merveilleuse – qu’ils galopent sur le pont ou contemplent le sillage, qu’ils scrutent les cartes marines ou dévorent leur Encyclopédie jeunesse. Habilement construit, magnifiquement écrit, ce roman de Gérard Gavarry mêle une intrigue presque policière au « cortège des souvenirs », que la mémoire ranime avec une vivacité gourmande.



Monique Petillon, Le Monde, juin 2022




« Gérard Gavarry navigue entre deux eaux », un numéro de Vous m’en direz des nouvelles présenté par Jean-François Cadet sur Le Cortège de Gérard Gavarry, à retrouver sur la page de RFI.

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