Tous présidents !
Le président de la République multiplie les « visites surprises » un peu partout dans le pays. Visites de plus en plus étranges et loufoques. Mais un beau jour, ça suffit. L’Élysée fait une communication : « Un imposteur usurpait la place, le rôle, la figure, l’image du président. » Mais ce faisant il les questionne, et il enclenche dans toute la société un mouvement où chacun s’approprie ce personnage de président. Il suffit de mettre une perruque et de prendre la parole. Le mouvement devenu général provoque en retour la peur, des petits groupes réactionnaires pro-police,...
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Tous présidents !
Le président de la République multiplie les « visites surprises » un peu partout dans le pays. Visites de plus en plus étranges et loufoques. Mais un beau jour, ça suffit. L’Élysée fait une communication : « Un imposteur usurpait la place, le rôle, la figure, l’image du président. » Mais ce faisant il les questionne, et il enclenche dans toute la société un mouvement où chacun s’approprie ce personnage de président. Il suffit de mettre une perruque et de prendre la parole. Le mouvement devenu général provoque en retour la peur, des petits groupes réactionnaires pro-police, pro-ordre se forment : « Chacun à sa place », « Que rien ne bouge », « À bas l’angoisse ». Que faire ? Actions, interventions, associations, graffitis. Les écoliers s’y mettent, écrivent eux aussi sur les murs… Répression, fureur, nouveaux partis politiques… « On était dans un drôle de moment. »
Leslie Kaplan propose ainsi une nouvelle fable politique, après Désordre (2019). Un texte très sérieux et très drôle à la fois, sur la folie du monde dans lequel nous vivons.
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Tous présidents ou la joyeuse révolte
Tout a commencé dans un train, autour d’un coloriage et d’une très sérieuse discussion à propos d’une vache peut-être prénommée Mireille. Hélio, le petit-fils de la narratrice, engage la conversation avec Simon, un jeune homme de 19 ans qui dit très naturellement : «Je suis fou. » Quelques jours plus tard, Simon confie à la narratrice, lors d’une promenade au jardin du Luxembourg, qu’il a un grand projet, sans lui dire lequel. Peu après, la radio informe la population que le président de la République fait des visites surprises dans un collège de Seine Saint-Denis, dans un lycée, à la Sorbonne, où, coiffé d’un béret basque, il hurle une citation de Kant dans un mégaphone.
Alors que l’Élysée finit par dénoncer l’imposture, un mouvement grandit dans le pays : une jeune comédienne, déguisée en président, rappelle l’importance de la culture, un ouvrier parle du «stade grotesque du capitalisme », un infirmier en psychiatrie, des maîtresses d’école, un chauffeur de bus coiffé d’une perruque... tous font entendre leurs revendications sur l’éducation, l’hôpital, l’écologie.
C’en est trop pour le pouvoir en place et les partis réactionnaires, qui expriment leur peur et répriment cette joyeuse révolte dont les enfants prennent la tête en recouvrant les murs de graffitis. « Cantine = nul», écrit l’un d’eux, suivi par des milliers d’autres dont Hélio, ravi.
Entre roman et théâtre, Leslie Kaplan met en scène les mensonges et le vide de la parole politique, et la subvertit en inventant des slogans et des actions minuscules qui, mis bout à bout, expriment un désir salutaire de renouveau et, pourquoi pas, de révolution. Une fable réjouissante et salutaire sur la démocratie, l’utilisation du langage et les dérives autoritaires du pouvoir.
S.J., L’Humanité, 7 avril 2022
UN FOU
La folie, chez Leslie Kaplan, est une force de subversion. Un jeune fou, avec qui une grand-mère et son petit-fils sympathisent dans un train, se fait passer avec succès pour « Le président », et se livre à des « visites surprise » dans un collège de banlieue, un lycéen parisien, la Sorbonne, les Invalides. Qu’est-ce que c’est que ce cirque? L’Elysée dément, déploie les forces de l’ordre, mais un vent de fantaisie secoue le pays. N’importe qui peut enfiler une chemise blanche, une cravate, et s’exprimer. Bientôt des actions collectives sont entreprises. Même les enfants s’en mêlent. On aura vite fait de les accuser de terrorisme. II faut que cesse ce foutoir, mais il est difficile à canaliser. À moins que le temps s’en charge, et que «le mouvement» se fatigue de lui-même. «Dans le pays flottait un sentiment diffus et massif, un sentiment d’inachevé, d’inabouti. Pas un découragement, non. Une déception.» Une nouvelle sotie politique, très actuelle, après Désordre.
Claire Devarrieux, Libération, le 24 avril 2022